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CHANSONNIER HISTORIQUE
DU XVIIIe SIÈCLE
RECUEIL DE CHASSONS, VAUDEVILLES
SOSSETS, ÉPIGBAMMES, ÉPITAPHES
CT AUTRES VERS SATIRIQUES ET HISTORIQUKS
Formé
Avec la Collection de Clair amhault, de Maure pis
ET AUTRES M A X U j- C R I T S INÉDITS
ÎIECUEIL CLAIRAMBAULT-MAUREPAS
CHANSONNIER
HISTORIQUE
DU XVIII« SIECLE
Publié avec Introduction, Commentaire, Notes et Index
PAR
EMILE R A UNIE
ARCHIVISTE PALÉOGRAPHE
Orné de
Fortraits a l'eau-forte par ROUSSELLE
PARIS
A. QUANTIN, LMI'RTMEUR-ÉDITEUR
7, RUE SAINT-BEXOIT,
I881
DEUXIEME PARTIE
LE RÈGNE DE LOUIS XV
MINISTÈRE DU DUC DE BOURBON
ET DU CARDINAL FLEURY
I724-I742
LOUIS HENRI DE BOURBOîî-CO^DE
\l) PreTT.ier mmislre de Louis XV ©
Rousselle se.
A.Quani-.n Iinp iidit-
LIBRARY
UNn^ERSITY OF CALÎFORNT.
INTRODUCTION HISTORIQUE
LE RÈGNE DE LOUIS XV
MINISTÈRE DU DUC DE BOURBON
ET DU CARDINAL FLECHY
4 PEINE Philippe d'Orléans, premier ministre de
j\. Lonis XV, venait-il de rendre le dernier soupir qne
le duc de Bourhon, suivi d'une foule de courtisans, se
rendit chez le roi. Le jeune prince, tout en larmes, avait
à ses côtés l'èvêque de Frèjus, son précepteur, qui, le pre-
mier moment de la douleur passé, lui conseilla, pour
réparer la perte qu'il venait de faire, d'offrir à monsieur
le Duc la place du défunt; il regarda l'évcque sans mot
dire, et donna son approbation par un signe de tête. Le
secrétaire d'État La Vrilliére, qui avait dressé par
avance la patente du ministre, proposa de lui faire prêter
serment; l'èvêque et le roi acceptèrent, et le dite de
Bourhon s'empressa de prononcer la formule accoutumée.
II Introduction historique.
A insi la succession politique du Régent se trouva réglée
quelques ijistants après sa mort.
Le nouveau maître de la France, Henri-Louis de
Bourbon, arrière-petit-Jils du grand Condé, était alors
âgé de trente-neuf ans; il 7i avait aucime expérience des
affaires : la chasse avait été jusqu 'alors sa principale oc-
cupation ; à peine l'avait-il délaissée quelque temps, à
l'époque du Système, pour satisfaire par l'agiotage la cu-
pidité traditionnelle de sa famille. Il n'avait certes pas
tous les vices de son prédécesseur, mais il n avait pas non
plus ses brillantes qualités, et ?ie paraissait guère capable
de se concilier l'affection oïl l'estime du peuple qu'il était
appelé à régir. Esprit étroit et sans volonté, il obéissait
aveuglément à son impérieuse maîtresse, la fille du trai-
tajit Berthelot de Plenezf, dez'enue marquise de Prie.
« Avec de la beauté, l'air et la taille de nymphe , beaucoup
d'esprit, et pour son âge et son état de la lecture et des
connaissajices, dit Saint-Simon, c'était un prodige de
l'excès des plus funestes passions : ambition, avarice,
haine, vengeance, domijiation sans ménagement, sans
mesure, sans vouloir souffrir la moiiidre contradictioji,
ce qui rendit son règne un régne de sang et de confusion. »
Désireuse de suppléer à l'incapacité de so7i amant, elle
choisit pour son conseil des guides éclairés, les frères
Pâris-Duver7iay , habiles financiers qui avaient opéré la
liquidation du système de Law, et avec leur concours
elle inspira tous les actes du gouvernement. ^ A la vertu
près c'était wie héroïne, écrit, avec juste raison, l'abbé
Legendre : oji lui rendait compte de tout, elle avait des
commis chez elle à qui elle dictait les dépêches, et c'était
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. m
elle proprement qui gouvernait l'Etat sous le nom de
monsieur le Duc. » L'Angleterre comprit qu'il fallait
compter avec sa toute-puissance et lui offrit la pension
qu'elle payait naguère au cardinal Dubois ; la marquise
accepta en attendant les contrihutiojis qu' elle se proposait
d'arracher à la France.
Au début de son ministère, monsieur le Duc, donnant
tin exemple d'intolérance qui parut a7issi singulier
qu'odieux après la Régence, persécuta les protestants : il
leur ititerdit l'exercice de leur religion et de le^ir s pro-
fessions et décréta la confiscation de leurs biens. Son or-
domiance, plus sévère encore, s'il était possible, que les
édits de Loiùs XIV, ne fut heureusemeiit pas mise à
exécution, et le premier ini7iistre l'oîiblia bientôt, préoc-
cupé qu'il était de ses intérêts personnels et du soin
d'affermir son pouvoir. Le Régent, comme on le sait,
avait fiancé Louis XV à une i^ifante d'Espagne, qui était
venue habiter Versailles en attendant qu'elle fût en âge
d'épouser le roi. Mais son extrême jeunesse retardait
pour longtemps V accomplissement du mariage ; si dans
l'intervalle Louis XV venait malheureusement à mourir,
la couronne passait aie duc d'Orléans, le fils du Régent,
qui avait tout récejnment épousé une princesse de Bade
et que monsieur le Duc considérait, à bon droit, comme
un ennemi personnel. C'était là lui danger qît'il fallait
conjurer sans retard, en renvoyant l'infante de cinq ans,
et en s'assurant d'une reine plus mûre, capable de
donner zin Dattphin à la France. Une courte maladie du
jeune roi qui inspira des craintes à son oitour âge pré-
cipita l'exécution de ce projet : 07i dressa îine liste des
Introduction historique.
princesscsdc l'Europe qui pouvaient convenir à Louis XV,
et la marquise de Prie examina les raisons qui militaient
en faveur de chactine d'elles. Ufi moment il fut question
des sœurs de monsieur le Duc, mai s la favorite, redoutant
leur caractère altier, les écarta; il en fut successivement
de même pour toutes les princesses qiii appartenaient aux
familles régnantes, et celle que Von choisit dut presque
uniquement la couronne à l'obscurité dans laquelle elle
avait passé sa vie : c'était Marie Leczinslia. Fille d'un
seignetir polonais qu'tcn caprice de Charles XII avait
jadis pourvu du trône de Pologne et que la politiqtie de
Pierre le Grand en avait dépouillé, la future reine ré-
fugiée avec son père à Wissembourg, y vivait dans un
paisible isolement d'une modique pension que le minis-
tère de France payait fort mal. Oji parla de ses vertus
et de sa douceur à J/'"^ de Prie, pour qui cette indication
fut U7i trait de hunier e ; elle comprit combien il lui serait
facile de dominer une reine étrangère à l'intrigue, et de
mettre a profit pour goiLverner le roi la reconnaissance
qu'elle ne manquerait pas de tètnoigner à cetix qui l'au-
raient élevée au trône. Monsieur le Duc pensa comme
sa maîtresse; l'infante d'Espagne fit renvoyée à son père
et le mariage de Louis XV avec la fille de Stanislas
Leczinsl'i, déclaré /^ 27 mai 1725, fut célébré trois mois
après.
Dès lors monsieur le D21C et sa maîtresse, assurés de
la gratitude de la reine, et confiants dans l'appui qu'elle
devait leur prêter, se laissèrent aller à tous leurs caprices.
On fit un procès à l'ancien secrétaire d'Etat de la
guerre. Le Blanc, qui avait eu le malheur de déplaire à
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. v
la favorite j et on l'enferma à la Bastille conivie coupable
de concussion : mais l'opinion picbliqne se prononça en
sa faveur et îtJi arrêt du Parlement le mit à l'abri d'une
persécution inique. D'aîitre part, pour subvenir aux
besoins ÎJicessants d'une administratio7i sans éco7iomie,
les frères Paris se virent obliges de recoîcrir à de nou -
veaux impôts tels que la ceinture de la reine, cojitri-
hution oppressive pour les corps de métiers, et le cin-
quantième, taxe qui devait être perçue en nature sur
tous les biens du pays. Le Parlement refusa d'enregistrer
les édits; on triompha de son obstination par la tenue
d'un lit de justice. Aux vexations des gouvernants vin-
rent s'ajouter toutes sortes de calamités qiii augmentèrent
les maux de la France. L'intempérie des saisons n'avait
pas permis aux moissons de mûrir : l'état des récoltes fit
craindre une disette, et cette inquiétude amena îine
grande cherté de la farine. Des gens en crédit formèrent
aussitôt des magasins et gagnèrent des sommes immenses
par le inonopole du blé. Il y eut des soulèvements popu-
laires provoqués par le prix du pain, et quelques mal-
heureux furent exécutés; cette répression parut d'autant
plus odieuse que les frères Paris, la marquise de Prie et
le premier ministre lui-tnême étaient soupçonnés d'avoir
spéculé sîcr la misère publique. Aussi la nation entière
se déchaîna-t-elle violemtîient contre le ministère, caicse
première de ses malheurs; toutes les classes de la société
avaient souffert de soft ineptie ou de sa cupidité et s'en
plaignaient hautement; l'évêque de Fréjus prit sur lui
de satisfaire les opprimés et de les débarrasser de cette
agence de pillards. En présence du mécontentement gêné-
VI Introduction historique.
rai, il conseilla au duc de Bourbon de chasser delà cour
If me d^ Prie, qui était dame du palais de la reine. Le
duc fit la sourde oreille, et la favorite menacée résolut à
son tour d'exiler le précepteur ; mais tout son crédit
devait échouer dans cette entreprise dont l'uniqiLe résultat
fut sa disgrâce et celle de S07i amant.
Le précepteur du roi, qui aurait pu, lors de la mort
du Régent, pre7idre la direction des affaires aussi facile-
ment qu'il l'avait fait donner à monsieur le Duc, s'était
borné à garder pour lui la feuille des bénéfices. A ce titre,
il réglait seul toutes les questions religieuses ; de plus,
comme il assistait aux entretiens de monsieur le Duc
avec le roi relatifs aux questions politiques, il pouvait,
grâce à l'ascendant qu'il avait su prendre sur son royal
disciple, intervenir sans cesse dans le gouvernement.
M^^de Prie, fermement résolue à annuler son influence ,
essaya de lui enlever, avec le concours de la reine, tout
contrôle sur les affaires de l'État. Dans ce but, elle en-
gagea Marie Leczitiska à conseiller à son époux de venir
travailler chez elle avec son premier ministre : le précep-
teur, qui n'avait aucun prétexte poicr suivre le roi
dans cette intimité, devait ainsi se trouver naturellement
exclu, et perdre insejisiblement le crédit dont il jouissait.
Dès que ce système eut été mis en pratique, Fleury en
devina la portée et, quoique incertai?i si le roi était du
complot ou si l'on avait surpris sa bonne foi, il prit le
parti de s'éloigner. Il écrivit donc au prince une lettre
d'adieu, fer me et respectueuse, mais empreinte de tristesse,
da7is laquelle il lui communiquait son intention bien
arrêtée de finir ses jours dans la retraite; cela fait, il se
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. vu
rendit à Issy, dans wie maison de campagne attenant
au sèmiiiaire des Sidpiciens, « son refuge habituel quand
il était inécoîitent ou feignait de l'être », comme le dit
malicieuseme'nt Voltaire.
Lorsque le roi, de retour chez lui, lut la lettre, il fut
vivement affecte du départ de son précepteur. C'était
peut-être le seul personnage delà cour pour lequel il eût
une affection sincère, car il avait toujours trouvé en lui
un conseiller bienveillant et un maître aimable qui le
charmait par sa physionomie imposante et sereine, par
la douceur de so7i caractère, par le son même de sa voix.
A la pensée de ne plus le revoir, il fondit en larmes. Le
duc de Mortemart, premier gentilhomme de la chambre,
témoi7i de sa douleur, lui remontra qu'il était facile de
tout réparer en ordonnant à monsieur le Duc de rap-
peler l'évêque. Fort soulagé, le foi accepta la proposition;
le premier minisire se vit contraint d'écrire à Fleury
pour lui transmettre le désir du prince, et le préccpteiir
revint à la cour. S'il affecta de ne point se plaindre et
de ne demander ni satisfaction ni vengeance, ce fut pour
travailler activement à débarrasser l'Etat de tous ceux
qui prenaient part au gouvernement depuis la Régejice.
Il prépara si habilement la disgrâce du premier ministre
que celui-ci n'eut aucun soupçon de l'orage prêt à éclater
sur sa tête. Le w juin 1726^ le roi, partant pour Ram-
bouillet, invita monsieur le Duc à venir le rejoindre et
lui reco77imanda de ne pas le faire attendre pour souper;
quelques heures après, le Duc, à son grand éton?tement,
reçut de M. de Charost, capitaine des gardes, l'ordre de
se retirer à Chantilly oie ît?te escorte le conduisit sans
V. b
VIII Introduction historique.
retard : sa maîtresse fut reléguée à Courhcpine en Nor-
mandie, oie elle devait bientôt mourir de douleur et de
rage. Et le roi lui-même prit soin d'écrire à la reine,
qu'il savait toute dévouée aux deux exilés, de se conformer
désormais aux volontés de son précepteur comme aux
siennes propres. La chute du preîiiier ministre fut ac-
cueillie avec enthousiasme par toute la nation, et le
peuple de Paris aurait même fêté soji départ par des
feux de joie si la police 7i' eût pris soin d'éviter un pareil
affront à un prince du sang. Tandis que les favoris de
monsieur le Duc résignaient leurs fonctions, Fleury rap-
pelait ses victimes ; le secrétaire d'Etat Le Blanc revint
au département de la guerre, et Le Pelletier Des Forts
remplaça au contrôle général des finances le conseiller de
j/nic ^^ Prie, Pâris-Duvernay, momentanément enfermé
à la Bastille. Ouvertement honoré de la confiance du.
roi, le vieil évcque prit alors la direction des affaires, et
la garda sans interruption pendant les dix-sept derjiières
années de sa vie.
« S'il V a jamais eu quelqu'un d'heureux S2ir la
terre », remarquait Voltaire, c'était sa?is doute le car-
dinal de Fleury ; la fortune l'avait élevé insensiblement
mais sûrement au premier poste de l'Etat. Fils d'un re-
ceveur des tailles du Languedoc, il avait été produit à la
cour de Louis XIV par le tout-puissant cardinal de
Bonzy dont la protection l'avait mis en rapport avec
les grande s familles de la cour, et lui avait valu la charge
d'aumônier de la reine et puis du roi. L'archevêque de
Paris le soutint auprès de Louis XIV, qui le trouvait
trop dissipé et V estimait médiocrement, et il fut nommé
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. ix
à l'évêché de Frèjus. Mais ce siège lointain, dans un
pays peu agréable, pesait au prélat comme un exil : il
disait plaisamment que, dès qu'il avait vu sa femme, il
avait été dégoûté de so7i mariage, et terminait une de ses
lettres adressée au cardinal Ouirini par cette signature
facétieuse : Fleury, évêque de Fréjus par l'indignation
divine. Aussi se dé^nit-il le plus tôt qu'il pîit de ses fonc-
tions, prétextant à ses diocésains que l'état de sa santé le
mettait désormais dans l'impuissance de veiller à son
troupeau ; i?iais, à vrai dire, il n'avait jamais été ma-
lade. Son abnégation méritait récompense ; on lui donna
l'abbaye de Tourmts où il eut l'occasion de se signaler
par quelques rigueurs contre les jansénistes, et ce zèle de
circonstance le désigna aux faveurs de Louis XIV ; ap-
puyé par le maréchal de Villeroy, il obtint du roi mourant
le titre de précepteur du jeune Louis XV. Grâce à ses
fonctions, il put vivre à la cour, calme et retiré, durant
les folies de la Régence, et jeter les bases de sa grandeur
future en s'assurant par un dévouement bien entendu
l'affection et la confiance de son disciple.
Le Régent et Dubois, jaloux de soji crédit, lui offrirent
pour l'éloigner l'archevêché de Reims, mais il le rcfiisa
avec autant d'habileté que de modestie : il ne voulait
point, disait- il, se laisser distraire des soins qu' il donnait
à l'éducation du jeune roi. A la mort du duc d'Orléans,
ce fut hci qui prépara les voies au duc de Bourbon, et
son désintéressement n'était encore qîi'îcn calcul intelli-
gent. Prendre le potivoir avant monsieur le Duc c'était
affrojiter une dangereuse rivalité ; mieux valait le lui
confier et attendre une occasion favorable pour le sup-
Introduction historique.
planter. L'occasion n'avait pas tardé à se présenter, et
l'évëque de Frèj'us s'était emparé sans bruit et sans
éclat de lu direction des affaires, avec l'entier assentiment
du roi et de la nation. Quelques mois après le chapeau
de cardinal, que vionsieur le Duc l'avait empêché jtis-
qu' alors d'obtenir, lui fut doiuié par la cour de Rome, et
ajouta a ses dig7iités le seul honneur qu'il pût eiicore
ambitionner.
Ennemi du faste et de l'éclat, et sacrifiant volontiers
l'apparence à la réalité du pouvoir, le cardinal Fleury
ne demanda point le titre de premier 7ninistre et se con-
tenta d'en avoir tout le crédit. Sans attire fonction qtie
celle de conseiller att conseil du roi, il assistait à toutes
les conférences des ministres avec le prince, et réglait
toutes les mesures à prendre. L'expression de sa volonté
devenait un ordre absolu, et le roi, accoutumé à son asce7i-
dant voilé, mais toujours efficace, ne potivait penser autre-
ment que hii. « jamais roi de France, dit à ce propos
Saint-Simon, noîtpas même Louis XIV, n'a régulé d'une
mafiière si absolue, si sûre, et si éloignée de toute contra-
diction, et n'a embrassé si pleinement et si despotiqueynent
toutes les différentes parties dti gotivernement, de l'Etat
et de la cour jusqiCatix plus grandes bagatelles. Le feu
roi éprouva souvent des etnbarras par la guerre domes-
tique de ses ministres et quelqtiefois par les représenta-
tions de ses généraux d'armée et de quelques grands
distingués de sa cotir. Fleury les tint tous à la même
mesure^ sans consultation, satis oser hasarder nul débat
entre eux. Il ne les faisait que pour recevoir et exéctitcr
ses ordres sans la pltis légère réplique, pour les exéctitcr
Duc de Bourbon^, C ardinal Fleury. xi
très ponctuellement et lui rendre simplement compte,
sans s'échapper une ligne an delà et sans que pas tin
d'eux ni des seigneurs de la cour, des dames, ni des
valets qui approchaient le plus du roi osassent proférer
une seule parole à ce prince de quoi que ce soit qui ne
fût bagatelle entièrement indifférente. » Le crédit de
Fleury était si fortement établi qu'il eût été dangereux
de rien tenter auprès du roi contre lui; la reine le savait
bien et, quelqiie irritée qu'elle piit être de l'exil de ses
protecteurs, elle ne songea pas un seul instant à inter-
venir en leur faveur, pas plus qu'elle ne chercha à in-
fluer sîcr le gouverjiement.
Le cardinal prenait le pouvoir dans un moment favo-
rable, car la France, épuisée par les terribles secousses
qui l'ébrajilaient depuis un quart de siècle, appelait de
tous ses vœîLx le rétablissement de l'ordre au dedans et
le maintien de la paix à l'extérieur. Pour donner satis-
faction au pays dont les aspiratioîis s'accordaiejit avec
son caractère pacifique, Fleury concentra vers ce double
but tous les effortsjîe sa politique. Esprit médiocre, sans
principes arrêtés, rendu timide par so?i gratid âge plus
encore que par son naturel, il ne songea jamais à éblouir
par l'apparence d'une fausse grajideur et se préoccupa
surtout d'assurer le repos de l'Etat. La France put donc
respirer sous son gouvernement, qui fut pour elle l'époque
la plus heureuse du règiie. Aussi n'y a-t-il point lieu
d'être surpris si les historiens ont prodigué leurs
éloges au vieux ministre, et le témoignage du sévère
Duclos peut être regardé sur ce point comme un échc^
fidèle de l'opinion publique.
V. , b.
XII Introduction historique.
« L'èvêqiie de Frèjiis, dit-il, sans changer le plan du
gouvernement qu'il trouvait établi, et qui aurait eu besoin
d'une autre forme dans la partie des finances, établit, du
moins, une administration économique, qu'il suivit con-
stamment dans tout le cours de sa vie que dura son
ministère. On peut lui reprocher trop de confiance dans
les financiers. Il ne pouvait ignorer que leur prétendu
crédit n'est que celui qu'ils tirent eux-mêmes du roi,
quand ils paraissent le lui prêter. Il les soutint, faute
de connaître les moyens de s'en passer, ou craignant
peut-être d'entreprendre à son âge une réforme qu'il
71 aurait pas le temps d'achever ou de consolider. Il y
suppléa par l'ordre et l'économie, qui, dans quelque gou-
vernement que ce soit, doivent être la base de toute ad-
ministration. Ce qu'il y a déplus essentiel pour la régie,
il en donnait l'exemple. Jamais ministre ne fut si dés
intéressé. Il ne voulait en bénéfices que ce qui lui était
nécessaire, sa7is rien prendre sur l'État, pour entretenir
U7ie i7iaiso7i 77iodeste et une table frugale . Aussi sa suc-
^essio7i eût à peine été celle d'im i7iédiocre bourgeois, et
7i' aurait pas suffi, à la dixiéi7ie partie de la dépense du
tombeau que le roi lui a fait élever.
« Coi7Wte je 7ie vetix que re7idre justice et 7i07i faire
U7i éloge, je 7ie dissi77iulerai pas qiLon reproche avec rai-
S071 à ce 77ii7iistre d'avoir laissé tomber la 77iarine. So7i
esprit d'économie le troi7ipa sur cet article. Sa confia7ice
en Walpole lui fit croire qu'il pourrait e7itretenir avec
les Anglais U7ie paix inaltérable, et en C07iséque7ice s'épar-
g7ier la dépense d'une 77iari7ie. Il devait se7itir que la
j:o7iti7niité de la paix dépendait du soin qu'il prciiait de
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. xiii
la conserver, qii'elle tenait à son caractère, et que des
circonstances imprévues et forcées pouvaient toujours
allumer la guerre avec les Anglais, 7ios ennemis naturels.
Par une contrariété singulière, il craignait d'entreprendre
des réformes que son grand âge ne lui permettait pas
d'achever, et en d'autres occasions il agissait comtne s'il
se f lit cru immortel.
« S'il a porté quelquefois trop loin l'économie, ceux
qu' elle gênait e?i mur mitr aient, et tâchaient de persuader
qu'il ne voyait pas les choses en grand; et mille sots qui
ne voient ni en grand, ni en petit, répétaient le même
propos. Mais le peuple et le bourgeois, c'est-à-dire ce qu'il
y a de plus nombreux, de plus utile dans l'État, et en
fait la hase et la force, avaient à se louer d'un ministre
qui gouvernait un royatime comme iine famille. Quelque
reproche qu'on puisse lui faire, il serait à désirer pour
l'Etat, il serait à désirer qu'il n'eût que des successeurs
de son caractère, avec une autorité aussi absolue que la
sienne. Ce qui enfin est décisif, on n'a pas regretté la
Régence, on a maudit le ministère de monsieur le Dilc,
on voudrait ressusciter son successeur, et nous savons à
quoi nous en tenir sur ce que noiis avons vu depuis. »
Aiîisi que l'on peut en juger par ce dernier trait, si le
ministère du cardinal Fleury parut 2inc heureuse époque
aux contemporains, ce fut surtout par comparaison avec
les temps qui l'avaient précédé et ceux qui le suixnrent.
Entre les folles aventures financières de la Régence et du
ministère de monsieur le Duc, et la domination méprisable
des favorites de Louis XV, l'administration paisible du
cardinal Fleury, le soin qu'il apporta à rétablir l'ordre
XIV Introduction historique.
devis les finances épuisées, à maintenir la paix ati dehors
et à développer au dedajis le commerce et l'industrie, mc-
ritaietit d'être considérés comme des bienfaits. Mais, en
somme, par ses actes, aussi bien que par ses résultats,
S071 gouvernement fut loin d'être aussi favorable à la
France qu'on l'avait espéré, et sa politique, qui péchait
tout à la fois par manque de grandeur et par e.xcès de
timidité, ne fut pas souvent heureuse. Dès le début il
s'attira une légitime popularité par la suppression du
cinquantième ; mais l'édit de la réduction des rentes la
lui fit perdre tout aussitôt , et le rôle qu'il joua dans les
querelles religieuses contriSua fortement à le discréditer
aux yeux de la 7iation.
Momentanément négligées sous le ministère de monsieur
le Duc, les controverses relatives à la bulle Unigenitus
allaient susciter de nouveaux troubles, et l'intolérance
du cardinal devait se montrer encore plus rigoureuse
que le fanatisme du P. Le Tellier. Autrefois ja?iséniste
ardent, Fleury était passé par calcul du côté des jésuites,
et, désireux de tout pacifier, il était bien décidé maintenant
à ne pas ménager ses adversaires qu'il considérait, non
sans raison, comme des fauteurs de désordre. Dès le
début de son mifiistère, il trouva une occasion favorable
pour déployer à l'égard des appelants la sévérité par
laquelle il espérait triompher de leur résistance. L'évêque
de Senez, Jean Soanen, se croyant sur le point de mourir,
avait adressé à ses diocésains une instruction pastorale,
en forme de testament spirituel , dans laquelle il expliquait
son opposition à la bulle et renouvelait son appel au futur
concile. Fleury ordonna aussitôt la tenue d'un concile
Duc de Bourbon^ Cardinal Fleury. xv
provincial pour jn^er ce prélat récalcitrant. Otiatorze
évéqties assemblés à Embrnn, sons la présidence de
Tencin, l'nn des hommes dont l'Église de France avait
le moins à s'enorgueillir, furent appelés à juger la con-
duite d'un vieillard universellemejit estimé et qui vivait
comme un apôtre; Soanen fut déclaré coupable et des-
titué de ses fonctions èpiscopales. C'est en vain que les
appelants, le cardinal de Nouilles à leur tête, protestèrent
cojitre cette décision ; c'est en vain que cinquante avocats
au Parlement conclurent dans une consultation célèbre à
la nullité d 'un coficile que les jansèyiistes qiialifiaient de
brigandage. Fleury, inflexible et résolu à faire un
exemple, confirma la sentence portée contre Soanen,
qu'im ordre du roi exila à l'abbaye de la Chaise-Dieu.
Peu après, un coup tout aussi violeyit et 7ion moins
imprévu vint encore frapper les jansénistes : ce fut la
rétractation du cardinal de Noailles. Par sa haute
situation le cardinal était tout à la fois l'homme le plus
marquant et le plus influent du parti jansénien, et, bien
que l'indécision de son caractère et ses variations perpé-
tuelles n' eussent jamais permis d'attendre de lui un con-
cours sérieîix, les jansénistes étaient fiers de le compter
dans leurs rangs. Fleury résolut de leur enlever cet
appui plus nominal que réel, et supplia l'archevêque de
Paris d'assurer par une soumission entière au Saint-
Siège la paix de l'Église de Fra?ice. Le P. de La Tour,
général de l'Oratoire et conseiller intime de Noailles, le
secrétaire d'État Chauvelin, le duc de Noailles, neveu du
cardinal, et sa nièce la duchesse de Grammont, désireux
de plaire au ministre, talojuièrent si bien le vieil arche-
XVI Introduction historique.
vêque qu'à la fin il céda et se laissa arracher un man-
dement par lequel il acceptait sans réserve la Constitution
Unigenitus et révoquait tous ses actes d'opposition anté-
rieurs. Mais le cardinal de Noailles avait une autre
nièce, la duchesse de La Valliére, zélée janséniste qui
avait pris ses mesures pour annuler la soumission qu'elle
redoictait de la part de son oncle, en lui faisant signer
d'avance mie déclaration par laqiielle il désavouait tout
ce qu'il pourrait faire à l'avenir en faveur de la bulle.
Aussi le peuple de Paris fut-il étrangement surpris
lorsqu'il vit afficher le viême jour et presque à la même
heure, à la porte des églises, deux écrits du cardinal qui
se détruisaient mutuellement. Il devint toutefois bien
évident que Noailles restait toujours l'adversaire de la
bîille, puisqu'il déclara par deux actes subséquents, l'un
du ly décembre 1728^ l'autre du id février 1729^ c'est-
à-dire deux mois avant sa mort, qu'il n'avait jamais eu
la pensée d'accepter la Constitution. Mais en dépit des
rétractations tardives du prélat, Fleury était arrivé à
ses fins; s' il 71' avait pas obtenu la soumission de Noailles
il avait du moins ruiné le crédit et l'influence du car-
dinal par le spectacle de ses brusques et incompréhen-
sibles variations. Aussi la mort de Noailles causa-t-elle
peu de tristesse aux jansénistes.
Son successeur, cependant, le leur fit regretter. M. de
Vintimille, évêque d'Aix, appelé à l'archevêché de Paris f
se montra dès le principe partisan résolu de la Constitic-
tion et voulut faire adopter ses idées au, clergé de son
diocèse. Les résistances qu'il rencontra ne l'arrêtèrent
pas : approuvé par le cardinal Fleicry et secondé par le
Duc de Bourbon. C ardinal Fleury. xvir
lieutenant de police Hérault, il eut recours à la violence.
Les prêtres opposants furent interdits ou exilés ; la Sor-
bonne, d'oie Von avait exclit par lettre de cachet tous les
docteurs appelants, adhéra à la Constitution, et les maîtres
de Sainte-Barbe, soupçonnés de jansénisme, se virent
brutalement arrachés de leur école et remplacés par des
Sulpicicns. Ces mesures de rigueur n'étaient que les
préliminaires de l'acte décisif viédité depxiis longtemps
par Fleury pour rétablir l'ordre dans l'Église et faire de
la bulle Unigenitus une loi de l'Etat. Le 24 mars 1730
le Parlement reçut du ministre une déclaration par
laquelle il était enjoint à tous les ecclésiastiques dit
royaume d'accepter piirement et simplement la Consti-
tution. Une vive agitation se produisit alors parmi les
magistrats, et Fleury, redoutant un échec, imposa l'enre-
gistrement par un lit de justice.
Ce coup d'autorité iiUntimida point les jansénistes ; ils
ripostèrent par une propagande plus active que janmis et
appelèrent les miracles à leur aide. Un prêtre de la pa-
roisse Saint-Mcdard, le diacre François de Paris, fils
d'un conseiller au Parlement, était mort en 1727^ appe-
lant et réappelant au futur concile. Le pauvre peuple du
quartier auquel il avait distribué tout son bieiifit de son
tonibeau un lieu de pèlerinage et prétendit que le défunt
opérait des miracles. Pendant trois années, ce ne fut
qicunc ruinejir vague et sans consistance ; mais lorsque
les opposants, comprenant tout le parti qu'ils poîirraient
tirer de la crédulité populaire pour recruter des
adeptes, curent imprimé la Vie de saint Paris et cer-
tifié la vérité des cîires miracideuscs accomplies sur sa.
Tn trodiiction h i s toriqu e.
tombe, le petit cimetière Saiiit-Mèdard fut envahi jour
£t 7iuit par la foule, et les prodiges se multiplièrent dans
des proportions inouïes. Et ces prodiges étaient juridi-
quement attestes par des tèmoi7is qui croyaient les avoir
vus parce qu'ils ètaietit allés là avec l'espérance de les voir.
La foule grossissant toujours, des scandales se produi-
sirent; la police dut intervenir , pour fermer le cimetière,
et les plus obstinés des enthousiastes allèrent continuer
leurs cojwulsions dans les maisons. Il s en fallait, cepen-
dant, que les troubles fussent totaleme?it apaisés par cette
-mesure, car les jansénistes trouvaient toicjours matière à
discuter. En 1730^ trois curés du diocèse d'Orléans, in-
terdits par leur évêqîie pour avoir manifesté hautement
leur opposition à la bulle, avaient appelé conwie d'abus
mi Parlement, en vertu d'une consultation rédigée par
quarante avocats de Paris. Un arrêt du conseil d'État
condamna les principes énoncés par les avocats, et leur
ordonna de se rétracter, tandis que quelques prélats, qui
voyaient dans le mémoire des avocats une atteinte à leur
juridiction ecclésiastique, traitèrent les auteurs sans
viénagements dans leurs instructions pastorales, et l'ar-
cha'êque de Paris ne craignit point de les déclarer héré-
tiques. Poîir calmer l'effervescence des deux partis, le
Parlement supprima jusqu'à nouvel ordre l'ordonnance
de l'archroêqiie, et Fletiry prescrivit par arrêt du conseil
un silence absolu sur les questions en litige. Mais, par
tDie contradiction singidière, il autorisa quelques mois
après la publication du mandement de M. de Vintimille:
sur ce, grande colère des avocats, qui, d'un conunun ac-
cord, cessèrent leurs fonctiojis. Onze d'entre eux furent
Djic de Bourbon. Cardinal Fleury. xix
exilés, sans que le roi voulût recevoir les dèputaiions des
magistrats qui voulaient parler en leur faveur ; mais on
les rappela, au moment de la rentrée du Parlement, pour
que la justice ne fût point interrompue. Le calme était à
peine rétabli lorsqu'u7i nouveau mandement de M. de
Vintimille fulminé contre les Nouvelles ecclésiastiques
raviva la querelle du, gouverjiement avec les parlemen-
taires. En condamnant cette gazette janséniste, dont les
plus actives recherches de la police ne pouvaient arrêter
ni l'impression ni la distribution, l'archevêque de Pans
avait parlé de la bulle comme d'un décret reçu par l'iini-
versalité du clergé. Le Parlement irrité voulut protester ,
le roi lui intima l'ordre de ne se mêler en rien des af-
faires ecclésiastiques, qti'il se réservait d'évoquer à son
conseil. Cette décision, qui enlevait au premier corps de
l'Etat une notable partie de ses attributions, fut accueillie
avec indignation par les magistrats, et ils décidèrent de
se démettre de leurs fonctions. Les députés qu'ils en-
voyèrent à Conipiègne pour adresser des remontrances
au roi ne furent pas écoutés, et le même jour Fleury exila
l'abbé Pucelle et le conseiller Titon, coupables d'avoir
apporté trop d'ardeur dans la défense des prérogatives
du Parlement. Aussitôt nouvelle députation des magis-
trats demandant le retour des exilés ; pour toute réponse
quatre autres à" entre eux furent envoyés en exil, et Fleury
menaça les récalcitrants d'une répression énergique. Le
Parlement, intimidé, parla d' accommodement j le cardinal,
pressé par les circonstances, se hâta de 7nettre à profit
sa bonne volonté : on rappela les exilés et le Parlement
reprit ses fonctions co77ime à l'ordinaire, le \\ juillet 1732.
XX Introduction historique.
Le cardinal s' était montré conciliant, non par égard
pour le premier corps de l'Etat, mais par suite des ap-
préhensions que lui causait la diplomatie de l'Europe ;
la crainte d'une guerre extérieure l'empêchait de s'en-
gager plus avant dans une misérable querelle intestine.
En dépit des sacrifices qu'il avait faits pour s'assurer de
la pai.x, les événements politiques allaient l'obliger à
prendre les armes. Le protégé de Pierre le Grand, Au-
guste LL, roi de Pologne, mourut en 1733; l'Autriche et
la Russie, désireuses d'assurer le trône à son fils, en-
voyèrent aussitôt des troupes sur la frontière, tandis que
Louis XV déclarait aux ambassadeurs étrangers réunis
à Versailles qu'il ne soufir irait pas que l'on entravât la
libre élection du roi. Elle eut lieu en effet, et ce fut Sta-
yiislas Lecziîiski que les Polonais proclamèrent presque
à l'unanimité ; mais un dissident se proîionça en faveur
d'Auguste III et la lutte s'engagea entre les prétendants.
Stanislas reculait devant la guerre et cherchait à tem-
poriser : Auguste III profita de ses lenteurs et de son
hésitation pour entrer dans Varsovie, escorté des Russes
et des Autrichiens, et pour se faire couronner roi à Cra-
coT'ie. Obligé de fuir , Stanislas se réfitgia précipitamment:
à Dantzick : il y fut aussitôt assiégé, et Fleury, en dépit
de sa timidité, fut contraint de secoîcrir le beau-père du
roi de France. Il se jeta dans la mêlée bien à regret, et
seulement pour donner satisfactioîi à l'opinion publique;
il équipa lUie faible escadre, sur laquelle furoit embarqués
quinze cents soldats : c'était une dérision d'envoyer une
si petite poignée d'hommes contre trente mille ennemis.
Notre ambassadeur en Danemark, le comte de Plelo, se
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. xxi
nul bravement a leiir tête, et trouva la mort sous les
murs de Dantzick, en cherchant à franchir les lignes
russes. La place, incapable de résister, capitula, et Stanislas
s'enfuit, déguise en matelot, laissant aux mains d'Au-
guste m la malheureuse Pologne livrée à l'influence de
la Russie et de l'Autriche qui devaient, d'un commun
accord, préparer sa ridne.
Cependant la France, humiliée de cet échec, réclamait
une revanche : l' èloignerne7it des lieux ne permettant pas
de s'attaquer à la Russie, on se toicrtia contre l'empereiir
avec le concours de l'Espagne et de la Sardaigne dont
la politique spéculait sur l'affaiblissement de l'Autriche.
La France et l'Espagne, que l'imprévoyance de monsieur
le Duc avait failli brouiller, s'étaient rapprochées, dès
17 2g, par le traité de Séville. Celui de Turin, négocié
par^ l'habile secrétaire d'Etat des affaires étrangères
Chauvelin, avait fortifié l'entente des deux pays en assu-
rant à l'infant don Carlos le royaume de Naples. Par
la convention de la Haye, qui garantissait les Pays-Bas
contre toute attaque, l'oji obtint la neutralité de l'A ngle-
terre et de la Hollande, et l'empereur se trouva sans
alliés. Les hostilités commencèrent à la fois sur le Rhin
et en Italie; le vieux maréchal de Berwick s'empara de
Kehl et entreprit le siège de Philipsbourg oii il eut la tête
emportée par un boulet, tandis que Villars prenait
Milan et allait mourir devant Turin. Son successeur, le
maréchal de Coigny, vainqueur à Parme et à Guastalla,
conquit le Milanais, et le général espagnol, duc de Mon-
temart, établit par la victoire de Bitonto l'injant d'Es-
pagne sur le trône de Naples. Comme VhonneiLr de la
XXII Introduction historique.
France était su^samment venge par ces triomphes, le
timide Fleury ne votilut pas poursuivre ses succès, et
l'empereur se hâta de souscrire aux conditions de paix
que lui offrait son ennemi victorieux. Par le traite de
Vienne, conclu en 1735 et définitivement signé en 1738,
l'infant don Carlos fut reconmi roi de Naples, et le roi
de Sardaigne, qui avait compté sur le Milanais entier, en
reçut seulement deiix provinces; l'empereur gardait le
reste, et en échange de son abandon des Deux- Siciles oti
lui donnait pour hii-même les duchés de Parme et de
Plaisance, tandis que l'on assignait à son gendre l'héri-
tage prochain du grand-duc de ToscaJie. D'autre pari,
Stanislas renonçait au trône de Pologne qu'il avait oc-
cupé deux fois sans pouvoir le conserver, mais il gardait
le titre de roi, et le duc de Lorraine lui cédait le
Barrois, avec réversion future à la cotironne de Frarice,
en lui promettant la cession de la Lorraine pour le
moment oïl il serait lui-même en possession de la Tos-
cane. Fleury, qui avait fait la guerre plus par amour-
propre que par intérêt, n'exigeait rien au delà j mais
Chauvelin le poussa à user de ses avajitages et à ré-
clamer la Lorraiîie aux mêmes co7iditions que le Barrois,
ce qui fut obtenu sans difficulté. Une pension de qiielques
milliojis payée au duc de Lorraine jusqu'à la mort du
grand-duc de Toscayie suffit pour assurer à Louis XV
l'une des plus belles acquisitions territoriales de l'époque.
Et la France, par ses succès dans la lutte et sa mode-
ratio7i datis la victoire, deviiit l'arbitre respecté des
yiations de l'Europe; mais sa gloire paisible ne fut pas de
longue durée.
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury, xxiii
L'im des plus hetireicx résultats de la guerre exté-
rieure avait été d'apaiser inse7isiblement les discordes
intestines. Tandis que les prélats constitutionnaires et
les jansénistes C07itinuaient à se traiter réciproquement
d'ignorants et d'impies, et que les convulsionnaircs
joziaieîit encore à huis clos leurs comédies extatiqueSj le
public oubliait cette bonne Constitution, comme il
l'appelait par raillerie. Fleury lui-même, pour ne point
compliquer les embarras delà situation, tenait la balance
à peu près égale entre les partis et condamjiait indis-
tinctement leurs actes et leurs écrits. Mais à peine les
négociations pour la paix étaient-elles entamées qu'tm
événement bizarre vint raviver la discorde. Un conseiller
au Parlement de Paris, Carré de Montgeron, homme
ignorant et faible d'esprit, devenu coiwulsionnaire outré
par suite des miracles qu'il croyait avoir vus ou opérés,
alla, au covwiejicement de l'aiinée 1737, trouver le roi
h Versailles, se jeta à ses pieds et lui présenta un gros
recueil en le priajit d' en prendre connaissaiice au nom
de la vérité qu'on lui cachait; cela fait, il disparut. Le
recîceil en question cojitenait la relation d'une foule de
miracles du bienheureux Paris remise au naïf conseiller
par les gens de son parti qui lui avaient tourné la tête ;
il était précédé d'une lettre au roi dans laquelle Carré
attaquait violemment Rome, les jésuites et le ministère.
Le roi remit le tout à Fleury, qui expédia sans retard
une lettre de cachet pour enfermer à la Bastille le fana-
tique Montgeron. Aussitôt grande rumeur aie Parle-
ment; les robins, voyant dans l'emprisonnejnent de leur
confrère une atteinte portée à leurs privilèges, protester e?it
XXIV Introduction historique.
contre la sévérité dîi cardinal qni, pour toute réponse,
transféra le prisonnier da?is la citadelle de Valence d'où,
il ne drc ait plus sortir.
Poîir en finir avec V opposition janséniste, Fleury
résolut alors de faire rayer des registres de la Sorbonne
l'appel an futur concile qui s'y trouvait inscrit depuis
1718. A la faveur des dissensions survenues dans l' Uni-
versité, il fit élire comiiu recteur un prince de la maison
de Rohan^ l'abbé de Ventadour, ce qui devait faciliter la
réussite de ses projets. La Sorbonne, consultée à l'as-
semblée générale de mai 1739^ supprima l'ancien appel
et déclara quelle acceptait la Constitutio7i purement et
simplement, sans restriction ni réserve. Quatre-vingt-
deux membres de l'Utiiversité voulurent protester : ils
furent destitués de leurs grades ou chassés de leurs
chaires, comme le vénérable Rollin. Ce beau zèle itltra-
montain de Fleury s' expliquait par une ambition que le
vieux ministre n'avouait pas, mais que l'on croyait
deviner : il briguait la papauté. Clément XII, alors
âgé de quatre-vingt-neuf ans, se trouvait à toute extré-
mité ; Fleiwy , plus jeune de deux années, comptait bien
lui survivre et aspirait a lui succéder. De là ses
7'igucurs contre les jansénistes ; de là aussi sa faveur
pour Tencin, récemment nommé cardinal, qu'il avait
chargé de soutenir ses intérêts à Rome. Mais ces ma-
nœuvres n'aboutirent pas. Prospero Lambertini fut élevé
au trône pontifical et Fleury déçu oublia la bulle et ses
adversaires.
De plus graves préoccupations venaient d'ailleurs
r assaillir . Les fautes d'une administration imprévoyante
Duc de Bourbon, Cardinal Fleury. xxv
çue son esprit affaibli ne pouvait plus ni diriger ni
contrôler avaient, provoque une famine générale ; le
peuple de Paris accabla le ministre d'injures et demanda
à grands cris son èloignement. Mais le vieux précepteur,
dont la retraite était univers elleme7it désirée et chez qui
la passion du pouvoir s'était développée avec les années,
avait pris soiti d'encourager l'apathie naturelle de son
disciple pour l'èloigJier des affaires, en même temps qu 'il
écartait du ministère tous les hommes doîit le mérite
pouvait lui porter ombrage. C'est ainsi que le secrétaire
d'État Chauvelin fut redevable de sa disgrâce à l'irri-
table défiance du cardinal dont il avait inspiré les meil-
leurs actes par ses sages conseils et sa science du droit
public. Fleury se laissa persuader que le garde des
sceaux, aspirant à sa succession et lassé de l'attendre,
travaillait secrètement à se créer un parti. Saiis appro-
fondir la réalité du fait ^ sans réfléchir qu'il avait besoin
d'un appui solide pour résister aux intrigues, il ne vit
que son omnipotence menacée, et pour la sauvegarder il
exila brutalement Chauvelin, d'abord à sa terre de Gros-
bois, puis à Bourges. Cette vengeance inattcndiie ne
mit pas le prélat à l'abri de tout danger. De jeunes
courtisans admis dans la familiarité du roi et se croyajit
honorés de sa co7ifiance résolurent de saisir le timon des
affaires, et Chauvelin, de sa retraite, dirigea lui-même
cette intrigue qui tourna promptemeîit à la confusion de
ses auteurs. •« Le cardiiial, dit Duclos, en fut instruit et
vraisemblablement par le roi lui-même. Il en rit de pitié,
les traita en enfajits, envoya les uns mûrir dans leurs
terres, ou devenir sages auprès de leurs parents. Il laissa
XXVI Introduction historique.
les autres à la cour en hitte atix ridicules çîl'oji ne leur
èpars;na pas. C'est ce qu'on appela alors la conjuration
des marmousets. »
CepeJidant le public , qui désirait impatiemment la
chute du mi7iistre, avait compte sur l'avènement d'tine
maîtresse pour amejier à Versailles une révolution in-
térieure et arracher le pouvoir au vieillard décrépit qui
menaçait de tomber en enfajice. Mais la cojuplication
attendue, loin d'être funeste au cardinal, affermit son
autorité, puisqu'il prévint un retottr d'ijijluence de la
reine et enleva plus que jamais au roi toute idée de gou-
verner. On sait que la disgrâce de monsieur le Duc, dont
Marie Leczinsha avait favorisé les intrigues contre
Fleury, fut un premier coup porté à la bonne intelli-
gence des deux époux. Bie7i que le roi, pour tinter le
viorne ennui qu'il trouvait auprès d'elle, allât presque
toujours passer ses soirées da7is l'aimable société de Ram-
bouillet, il restait toujours fidèle à ses dn'oirs. La reine,
plongée dans une dévotion trop austère et peut-être mal
conseillée par son directeur, chercha à le détacher d'elle;
la mauvaise grâce qu'elle affecta dans leurs relations
triompha de la constance du roi. Louis, furieux d'être
repoussé, jura que tout était rompu entre eux et ne
revint jamais à ses prejniers sentiments. Parmi les dames
de la cour qui se disputèrent son affection, il ne tarda
pas à distijiguer Loidse-jfulie de Nesle, comtesse de
Mailly. Douce et réservée, la favorite possédait toutes
les tendres qualités d'un cœur seiisible j elle aimait le
roi pour lui-même, saJis aucune arrière-pensée d'intrigue
ou d'ambition, et ne lui demandait d'autre grâce que
Duc de Bourbon^ Cardinal Fleury. xxvii
celle de lui plaire et de le divertir par ses gais propos
et ses manières enjouées. Elle jouissait à la cour de l'es-
time de tous, car elle 7ie pouvait iiiquièter personne, et
l'ombrageux Fleury, rassure sur son compte, favorisait,
dit-on, ses amours inojensives. Ce faisant, il croyait
sauvegarder son crédit; mais îui brusque cha?igement
survenu dans les affections du roi faillit le ruiner.
La préférée des sœurs de J/™^ de Mailly, Pauline-
Félicité de Ncsle, pensionnaire à l'abbaye de Port- Royal
des Champs , avait à plusieurs reprises supplié la
favorite de l'appeler auprès d'elle à la cour. M^^^ de
Mailly, cédant à ses instances, la fit venir à Versailles,
la prit poîcr confidente et parla d'elle en termes si flat-
teurs qtie le roi voulut l'admettre da?is sa société. La
jeune fille, qui avait demandé à quitter le couvent avec le
projet bien arrêté de supplanter sa sœur et qui comptait
non sur sa beauté, mais sur les agréments de son esprit
et l'ascendant de son caractère, 7m t tout en jeu pour
captiver le roi. Elle sut se rendre si agréable et si né-
cessaire que le prince subjugué délaissa brusquement sa
première maîtresse, et il fallut bientôt, pour cacher la
nouvelle passion du roi, trouver un mari à la jeune
favorite. L'archevêqjie de Paris, qui comptait sur la
bic7iveillance dic inojiarque pour devenir cardinal, pré-
senta son neveu, le comte de Vintimille ; il fut accepté et
le mariage conclu sans retard. Dès qu'elle fut bien
assurée de l'amour du roi, Af"^" de Vintimille voulut
l'arracher à son apathique indolence et lui inspirer le
goût des affaires en le délivrant de la tutelle de son vieux
précepteur. Sans rien risquer ouvertement cojitrele car-
XXVIII Introduction historique.
difial, elle s'attacha à ruiner insensiblement son crédit et
à préparer sûrement sa disgrâce ; tnais les événements
protégèrent encore une fois le ministre menacé. Au mo-
ment même de sa plus grande faveur, J/^'^ de Vinti-
mille mourut subitement des suites de couches et le roi,
plongé par cette mort imprévue dans une sombre mélan-
colie, alla chercher des consolations auprès de J/'"^ de
Mailly. Avant qu'il eût subi le joug d'une autre sœur de
sa première favorite, laitière marquise de La Tour ne lie,
le cardinal eut le temps d'arriver au terme de sa
longue carrière; mais les complications de la politique
européenne vinrent ruiner l'œuvre de paix qu'il avait si
longtemps poursuivie, et la fin de son ministère fut dé-
sastreuse pour la France.
L'emperc2ir Charles VI mourut au mois d'octobre
1 740^ après avoir consacré les dernières années de sa vie
à obtenir de tous les grands Etats de l'Europe la recon-
naissance de la pragmatique sanction de 1 7 1 3 qui trans-
mettait sa succession à sa file Marie-Thérèse. Mieux
eût valu, disait avec raison Frédéric II, une armée de
cent mille hommes que ces parchemins inutiles ; car à
peine l'empereur eut-il expiré que cinq compétiteurs se
présentèrent pour disputer l'héritage qu'il avait si mal
garanti. Tandis que les puissances iîidécises s'agitaient
zrainement pour faire tin empereur et que Marie-Thérèse
s'efforçait d'asstirer au duc de Toscane le partage de
toutes ses couronnes, le moins connu et le plus audacieux
des prétendants, le roi de Prusse Frédéric II, entrait
bravement en campagne et i?iaugurait la longiie guerre
de la succession d'Autriche. La nature lavait doué de
Duc de Bourbon. Cardinal Fleury. xxix
talents remarquables et son père lui avait laissé un
riche trésor et une armée bien disciplinée; il profita de
la co7ifusion générale pour utiliser ses ressources, eiivahit
la Silèsie qu' il convoitait et la conquit par la seule bataille
de Molwitz. Ce fut le signal d'une lutte européenne.
Fleury, que sa timidité naturelle et son grand âge
éloigyiaient de toute velléité belliqueicse, n'avait point hâte
de s'engager dans la mêlée. Il lui répugnait de prendre
part à tine guerre dojit il était difficile de prévoir les
suites, et surtout d'être un des premiers à violer la
pragmatique qii il avait promis de maintenir et de faire
respecter au besoin. Mais un parti ave?itureux, conduit
par deux petits-fils de Fouquet, les frères de Bclle-Isle,
trio7np]ia de son hésitation et de ses scrupules. Il fut
décidé que la France soutiendrait l'électeur de Bavière
qui réclamait la couronne iinpèriale et favoriserait les
prétentions des compétiteurs de Marie-Thérèse au détri-
ment de la viaison d'Autriche que l'on se préoccîtpait
avant tout d'abaisser. Le traité de Nymphembourg fut
concht sur ces bases, le iZ mai 1741^ entre la France et
l'Espagne; tous les adversaires de l'Autriche y adhé-
rèrent. Deux armées françaises se portèrent aussitôt vers
l'Europe centrale : l'iDie, commandée par le maréchal de
Maillebois, pénétra en Westphalie pour seconder les
troupesprussicnnes; l'autre, réunie à celle de Bavière, en-
vahit la haute Autriche etconquit Prague ctla Bohême, ce
qui permit à l'électeur de se faire couronner à Francfort,
sous le nom de Charles VII. Marie-Thérèse vaincue alla
soulroer ses fidèles Hongrois et, pour désarmer son plus
redoutable adversaire, elle fit à Frédéric II le sacrifice
XXX Introduction historique.
de la Silèsie. Le roi de Prusse satisfait oublia l'alliance
française et se retira de la lutte, tandis que le roi de
Sar daigne y ejitrait pour le compte de l'Autriche et que
r Angleterre, après avoir renversé du vii'nistère le paci-
fique Walpole, promettait à l'Autriche un subside de
douze millions. La France devait donc supporter tout le
poids d'une guerre qu'elle avait voulu soutenir pour le
compte d' autrui.
Le retour des troupes autrichiennes sur le haut Da-
nube aggrava la situation en coupant à l'armée française
la retraite en Bavière. Fleury, effrayé de ces revers,
écrivit au général autrichien Kœnigsegg pour lui faire
d'humbles avances; Kœnigsegg publia ses lettres et le
rendit ridicule aux yeux de toute l'Europe. Cependant
Maillebois, qui opérait en Franconie, s'empara d'Egra
pour dégager l'armée enfermée dans Prague et Bclle-Isle
délivré put faire en plein mois de décembre, à travers
la neige, la glace et les ennemis une retraite aussi pètiible
que glorieuse. Dix jours après, le brave Chevert, qui était
resté dans la ville avec les malades et les blessés, en sortit
avec les honiuurs de la guerre. Les derniers de nos
alliés, les Espagnols, n'éprouvèrent de leur côté que des
revers en Ltalie. C'est au milieu de ces tristes conjonctures,
le 2() janvier i'/^2>,çue mourut le car dijial Fleury, lais-
sant la France sans ministres, sans généraux et sans
trésor, obligée de tenir tête à l'Europe entière coalisée
contre elle.
P^^^^^^^^.J/^.^^^^^^J^^
ANNÉE 1724
LE DUC DE BOURBON
Peuples, lorsque l'indigence
Vous causa tant de malheur,
Voulez-vous savoir l'auteur
Des maux que souffrit la France-?
Je n'en dirai pas le nom,
]Mais voyez la ressemblance :
Je n'en dirai pas le nom,
Or, écoutez ma chanson.
Il porte sur deux échasses
Un corps fait comme un cotret,
Sa tête montre à regret
1, Louis-Henri de Bourbon, nommé le duc d' Enghien ,
puis Monsieur le Duc, devint premier ministre de
Louis XV, à la mort de Philippe d'Orléans.
2, Lors du système de Law, il avait fait preuve d'une
insatiable cupidité ; et l'on avait appelé par dérision la
tourbe des agioteurs qui opéraient sur la place V.ndôme
le camp de Coudé.
Clairambault-Maurepas
L'œil qu'il perdit à la chasse.
Je n'en dirai pas le nom,
Il faut respecter sa place.
Dans cette informe machine
Réside un diminutif
De cet esprit sensitif,
Qui sur les bêtes domine.
Je n'en dirai pas le nom,
L'âme répond à la mine^.
Ainsi que dessus les bêtes
Les hommes ont l'ascendant,
Sa catin, depuis longtemps,
Le fait marcher à courbettes.
Je n'en dirai pas le nom,
Elle le mène à sa tête".
1. « Moins capable que son prédécesseur, mais, autant
que lui, livré à la débauche, il était grand, maigre, d'une
figure peu revenante, d'une humeur brusque et peu com-
mode, curieux et aimant les choses rares et précieuses;
possesseur d'une très belle femme, dont il ne connaissait
pas tout le prix ; cherchant ailleurs des plaisirs qu'il était
peu en état de goûter. » {Mém. secrets povr servir a
l'histoire de Perse.)
2. La de Prie. (M.) — « M. le Duc est d'un esprit très
borné, et ne sachant rien, n'aimant que son plaisir et la
chasse, étant très attaché à la marquise de Prie, fille de
Berthelot de Pleneuf, directeur général des vivres dans les
dernières guerres. C'est elle qui gouvernera et qui tirera de
l'argent tant qu'elle pourra, aussi bien que M. le Duc et le
comte de Charolais, son frère. Il suffit d'être du sang des
Bourbons pour ne pas haïr ce métal. » {Journ. de Barbier?)
Année I'j24'
Quand le chef de la Régence,
Premier ministre, périt,
En escroc il se saisit
De cet emploi d'importance^.
Je n'en dirai pas le nom.
Mais Dieu ! quelle différence.
Pour diriger la finance
Il n'a pris pour tout conseil
Qu'un déserteur sans pareil
En vol et en insolence^.
Je n'en dirai pas le nom,
Je l'attends à la potence,
Je n'en dirai pas le nom,
Or, écoutez ma chanson ^
1. A peine le duc d'Orléans rendait-il le dernier soupir
que M. le Duc fut prêter serment au roi de la place de
premier ministre, avant même d'avoir ses provisions. Ce
fut M. de la Vrillière, secrétaire d'État, qui le servit dans
cette occasion, oubliant tout ce qu'il devait à la maison
d'Orléans. (M.)
2. Paris Duvernay, soldat aux gardes de la compagnie
de Montarant, se trouva du nombre de ceux qui furent
accusés d'avoir volé le carrosse de Bruxelles. Montarant
le fît sauver à Namur, où il resta jusqu'à ce que l'affaire
fût assoupie. Duvernay lui en a marqué, depuis qu'il est
en faveur, une reconnaissance infinie. (M.)
3. Nous ferons remarquer, en tête de ce volume, que la
plupart des pièces dont il est composé, ne figurent pas à
leur véritable date dans le Recueil Clair ambaidt. Il a donc
fallu recourir à de nombreuses transpositions pour obser-
ver l'ordre chronologique des événements.
C l air ambault-M au repas.
LE MARIAGE
DU DUC D'ORLÉANS
D'ORLÉANS la duchesse
A dit à son enfant :
J'envoie avec vitesse
Au pays allemand -
Choisir une fillette,
Dont tu seras mari
D'elle très chéri. —
Ma mère, cette fille
Est petite, dit-on,
N'est belle ni gentille^
1. Louis d'Orléans, fils du Régent (1703-1752), qui avait
pris à la mort de son père le titre de duc d'Orléans, épousa,
en 1724, Auguste-Marie-Jeanne de Bade, fille du prince
Louis de Bade, qui avait été grand général de l'empereur.
Ce mariage, déclaré au mois de mars, fut célébré le 18 juin.
2. « Le marquis de Matignon, second fils du maréchal
de France, va la demander au nom du roi. AL d'Argenson,
comme chef de la maison de M. le duc d'Orléans, est
chargé de procuration pour aller signer le contrat de ma-
riage, et M. le marquis de Conflans, premier écuyer du
prince, va la chercher à Rastadt où elle demeure avec son
frère. » {Journal de Barbier}^
3. L'avocat Barbier n'avait sans doute pas bien vu la
princesse lorsqu'il la trouvait « blanche, petite, potelée,
assez jolie, et fort ragoûtante. » Sa première impression
Année ij2j.. 5
Et n'a pas le teston ^.
De plus, elle aime un homme -
Oui me ferait cocu,
S'il en était crû. —
Mon fils, elle est pucelle,
Du moins l'assure-t-on ;
De plus, bien damoiselle
Et faite de façon
Que nombreuse lignée
Naîtra de cet enfant
Très facilement.
Avec cette assurance.
On part incessamment
Pour amener en France
Ce bijou si charmant.
Dieu bénisse l'ouvrage
Que fera peu souvent
Monsieur d'Orléans.
changea bientôt et il remarque que : « l'on ne peut pas
dire qu'elle soit jolie, elle a même l'air un peu grossier. »
1. « Cette princesse n'est point de famille électorale,
elle n'est pas riche ; on ne la dit pas belle, mais c'est une
Allemande qui sera féconde, et voilà comme Henri IV les
voulait. Ce mariage ne plaît pas aux Condé : il les
éloigne du trône, et l'on parle de renvoyer l'infante, qui,
ne donnant pas des enfants au roi de si tôt, en approche
le duc d'Orléans. » ijourn. de Marais.) — Le duc d'Or-
léans eut deux enfants de sa femme, qui mourut en 1726,
des suites de couches.
2. Le prince de Taxis, Allemand. {Note de Marais?)
Clair amhault-Aîaurepas.
LES PRINCESSES
De toutes nos princesses
Hélas ! que fera-t-on ?
Les faire chanoinesses
Y a trop de façon ^ ;
Roche-sur- Yon seule
Au chapitre entrerait,
Si elle voulait-.
Pour la jeune et charmante
Princesse Charolais,
Faut la faire l'amante
I)e notre jeune roi,
Elle est vive et fringante,
Elle lui montrera
A faire cela^.
1. Le collège des chanoinesses de Remiremont, le plu s
important de France au XViri'' siècle, n'admettait que des
personnes nobles ; or, les princesses de la maison de Bour-
iDon-Condé étaient filles d'une bâtarde de Louis XIV.
2. La famille des Conty, à laquelle appartenait M^^^ de
la Roche-sur- Yon, n'avait contracté aucune alliance avec
les filles légitimées de Louis XIV.
3. « On dit que le jeune duc de la Trémoille était
gagné par M''^ de Charolais qui devait lui faire dire au
Roi certaines choses qu'on ne veut pas que le Roi sache.
Cette princesse, qui est fort aimable, est fort décriée. »
[Joiirnal de Marais)
Année 1^24,
La princesse de Sens^
Et celle de Clermont-,
En grande diligence,
En Espagne s'en vont,
La reine, leur cousine ^,
Maris leur trouvera
Dans ce pays-là,
La princesse du Maine
A les yeux si brillants
Que, sans beaucoup de peine.
Elle aura des amants.
Et madame sa tante ^
Voudra bien lui montrer
A les épouser.
1. Élisabeth-Alexandrine de Bourbon, nommée Made-
moiselle de Gex, puis Mademoiselle de Sens , fille de
Louis II de Bourbon et de M^'e de Nantes, était la plus
jeune des sœurs de M. le Duc,
2. Marie-Anne de Bourbon, nommée MadeTiioiselle de
Clermont, sœur de la précédente. Lemontey nous apprend
qu'elle avait épousé secrètement un duc de Melun, tué à
la chasse en juillet 1724, lors du voyage que le roi fit à
Chantilly,
3. M"'' de Montpensier, fille du Régent, mariée à
Louis P"", roi d'Espagne, en 1724, par suite de l'abdication
de son père Philippe V,
4. « C'est la comtesse de Toulouse qui a épousé ce
prince après une longue galanterie. » {Note de Marais) —
La marquise de Gondrin, devenue comtesse de Toulouse,
était une sœur du duc de Noailles.
Clair amh au It-Ma urepa s.
EPITRE
AU PRINCE DE TINGRY
Prinxe, qu'espères-tu ! qu'attends-tu ! que veux-tu
La France ne connaît que les exploits du c. ..
En vain de tes aïeux tu veux suivre les traces ;
La bravoure aujourd'hui n'est plus source des grâces;
Deviens un fat, un b..., un perfide, un coquin.
Ou fais de ta compagne une adroite catin,
Je réponds de ta gloire. Adore l'injustice,
A l'innocent trahi ne te rends pas propice,
Honore Duvernay, respecte la de Prie,
Elle a sous son jupon les dons du Saint-Esprit^,
Là, sous de belles fleurs, symbole d'innocence
Croissent les pensions, les bâtons, la finance;
Là, deux nymphes sans fard règlent seules l'Etat
Et des moindres zéphirs punissent l'attentat-;
Là, du plus rude hiver on ne craint point l'outrage
1. A propos de la nomination des cordons bleus du mois
de fé\Tier 1724, dans laquelle il ne fut pas compris. Ma-
rais constate que « le prince de Tingry est des plus fâchés
de n'y point être; mais son nom, brouillé dans l'affaire de
La Jonchère, lui a toujours nui et lui nuira toujours pour
les dignités. Voilà ce que c'est que d'aimer trop l'argent,
et quel vice à un homme de cette condition. »
2. Pour l'intelligence de ces derniers vers il faut lire
Mauriceau, Traité des accouchements^ qui nous assure que
Année iy2^.
Et les plaisirs y sont le plus pénible ouvrage.
De cet avis, seigneur, profite sagement ;
La fortune est à toi, dis un mot seulement;
Car, enfin, n'attends pas qu'un honneur chimérique
T'élève aux dignités sous un règne lubrique.
En ce monde, chacun recherche ses pareils,
Prince, c'est assez dire; adieu, suis mes conseils.
GAZETTE DE CHANTILLY
^Mesdames, vous trouverez bon
Qu'on vous écrive sur ce ton,
Landerirette,
Ce qui se passe à Chantilly,
Landeriri.
le moindre air, reçu de la matrice, cause des révolutions
extraordinaires et que les nymphes servent à en défendre
l'entrée. (M.)
I. Le roi quitta Paris le 30 juin pour aller passer un
mois à Chantilly, chez M. le Duc. Le Joicrnal de Barbier
nous fait connaître le motif de ce déplacement : « On
croit dans Paris qu'on va faire de grandes affaires à
Chantilly ; mais le sujet véritable du voyage est très
croustilleux ; on veut tâcher de donner au roi du goût
pour les femmes et de lui faire perdre son... On espère
que cela le rendrait plus traitable et plus poli ; en effet,
il n'y a guère de jeunes gens dans ce voyage, tous ceux
qui sont nommés sont d'un certain âge. C'est AP"'= de
La Vrillière qui est chargée de la commission, ou de le
lO Clair ambault-Maurepas.
Pour mettre en goût le roi Louison,
On a pris quinze mirlitons^
Qui tous le balai ont rôti.
Le moineau ^, las d'avoir joué,
Les seconds rôles chez Condé
Veut jouer les premiers ici.
La Nesle en veut avoir sa part;
Qui croirait que les deux Villars
Se mettent sur les rangs aussi?
Le monarque en est si charmé.
De leur plaire il est si pressé
Qu'il se
La Rupelmonde a, ce dit-on,
Assuré qu'elle l'avait blond,
Mais le blond s'est trouvé roussi.
faire... la petite d'Epernon, qui est très jolie et très jeune,
ou de le prendre pour elle-même. Ce dernier sera plus
aisé, car la jeune duchesse ne pourra pas faire tout ce
qu'il faut pour cela, au lieu que M'»'^ de la VriUière, qui
est jolie et qui est femme d' expérience , mènera le roi dans
quelque bosquet et lui fera faire... »
1. Quinze dames de la cour nommées pour être du
voyage. (M.) — « Entre elles les dames de Prie et de Nesle,
toutes deux rivales du maître de la maison, et M™^ de
Graves, fille du maréchal de Matignon, qui est la com-
mode de M'"*= de Prie. » {Journ. de Marais)
2. La marquise de La VriUière. (M.) — Françoise de
Mailly, femme de Louis Phelypeaux de La VriUière, secré-
taire d'État.
Année Ij2^. ii
Il n'y manquait que la Tessé^
Et le tout complet eût été;
Mieux qu'aucune elle eût réussi.
Une fille de Matignon ^
A voulu dresser un Bourbon,
L'aventure a mal réussi.
La Fillon a représenté
Que l'on allait sur son marché,
On l'a renvo3'ée à Billy^.
La fille à Pleneuf^ voudrait bien
S'appliquer le roi très chrétien :
L'enfant en a peu de souci.
On ne soupire en ce séjour
Que pour Plutus et pour l'amour,
Les servantes s'en mêlent aussi.
La Tavannes^ a dit à d'Agout :
Monsieur, comment vous portez-vous .''
Depuis six jours, le me cuit.
1. La marquise de Graves, fille du maréchal, fut sur-
prise par son mari couchée en badinant avec le comte de
Clermont, prince du sang. (M.)
2. Gentilhomme du comte de Clermont. (M.)
3. M"'e de Prie. (iM.)
4. « Le vicomte de Tavannes, écrit Marais, a renvoyé
sa femme, qui avait perdu son peloton à Chantilly où se
trouvait le portrait de AL d'Agout, son amant très secret...
Cl air a m bau l t-AIa u repas.
Jusqu'à demain j'en écrirais,
Mais à quelqu'un je déplairais.
Finissons donc par ces deux-ci.
Dans certain bosquet écarté
Certain oracle a prononcé
La centurie que voici.
Six mois après le mois de juin
Sera chassée fine catin^,
Landerirette,
Par un général étourdi,
Landeriri.
A Chantilly n'y a point d'abbé;
Pourquoi donc si peu de clergé ?
Mais c'est que leur reine est ici-.
Certaine dame, ce dit-on"^,
Perdit ici son peloton,
C'est dommage, il était joli.
Le monde dit que M. de Tavannes est injuste d'accuser
sa femme, lui qui couche avec M"^'' de Creil qui est la
sœur de sa femme. Cela se dit tout haut, et voilà comme
les maris ont toujours tort. »
1. M»"* de Prie. (M.)
2. M'"^ la marquise de Charost. (M.)
3. M™*^ de Tavannes, dame d'honneur de M'"'^ la du-
chesse douairière, avait le portrait de M. de Lyonne ca-
ché dans un peloton, (M.)
Année IJ24.
Cette dame faisait des nœuds,
Son peloton parut aux yeux
De quelque très méchant esprit.
Il le poussa subitement
Et le roula si brusquement
Oue l'effondrillon on en vit.
Le roi de France
A dit à son ami :
J'ai fait une ordonnance
Datée de Chantilly,
x\fin qu'en diligence
Un chacun vienne ici
Me
Sabran, cette effrontée,
A dit au grand Bourbon
Tu ne m'as pas nommée,
Cependant j'ai un ...
Tout prêt au badinage
De la jeune guigui
De notre Louis.
14 Clairambault-Maurepas.
Margot la ravaudeuse
Disait à son ami :
Que fait-on de ces gueuses
Qu'on mène à Chantilly ?
Quoi ! pour un pucelage
Faut-il mener le train
De dix-sept catins.
L'AIR GRAVE 1
Avoir l'air grave ou l'air commode
C'est le pléonasme à la mode-;
Cet affront est-il donc nouveau ?
Non, non, l'aventure est commune.
1. A propos de M"^*de Graves, que l'on trouva couchée
avec le comte de Clermont à Chantilly, au mois de juillet
1724. (M.) — « Le prince de Clermont, qui n'a que quinze
ans, frère de IM. le Duc, en a conté à M'"'^ de Graves qui
n'a pas fait la difficile, et qui n'a pas voulu refuser un
prince du sang. Le mari, qui les a pris sur le fait, s'est
voulu fâcher, puis s'est pris à rire et fait un mauvais per-
sonnage. C'est la plus laide de toute la liste. » {Journal
de Marais.)
2. « Quand une femme est soupçonnée de galanterie
un peu forte, écrit Marais, on dit qu'elle est grave. »
Année 1^24.
Marquis, cours à Fontainebleau
Ta femme y fera ta fortune ^.
L'air grave suit le mariage;
De tout époux, c'est l'apanage :
Vulcain avait l'air sérieux;
César, des hommes le plus brave,
Quoique placé parmi les dieux,
Fut soupçonné d'avoir l'air grave.
Par respect pour l'aimable prince
Qui relève ta mine mince,
Reçois cet honneur doucement,
Crains-tu que cocu l'on te nomme?
Non, l'on dira tout simplement :
Il a l'air s:rave, le bonhomme.
Je suis cocu !
Disait un marquis en colère.
Je suis cocu !
Je le sais fort bien, car j'ai vu
Par une porte de derrière,
Sortir un prince sans lumière.
Je suis cocu !
I. Au retour du voyage de Chantilly, le roi alla
Fontainebleau. (M.)
Clairambauh-Maurepas.
LES EXPLOITS
MADAME DE LA VRILLERE
A LA fin notre jeune roi
S'est soumis à la douce loi
Du dieu qu'on adore à Cythère^^
Laire lan laire.
De dix-sept bêtes qu'il courut,
Quoique toutes fussent en rut,
Il n'a choisi qu'une grand-mère.
Mais quoique l'objet de son choix
Ne soit pas un morceau de roi,
C'était la meilleure ouvrière -
1. L'avocat Barbier, d'ordinaire bien informé, émet une
opinion toute différente. « Il ne paraît pas, dit-il, qu'on
ait réussi dans le dessein du voyage de Chantilly. Le roi
ne songe qu'à chasser et il ne veut point tâter du... »
Et il ajoute bonnement : « J'avoue en mon particulier
que c'est dommage, car il est bien fait et beau prince ;
mais, si c'est son goût, qu'y faire ? Il est en place à ne se
point gêner. »
2. Barbier, comme on l'a déjà xu, la trouvait fetnme
d'expérience, et cela non sans raison, car elle avait eu
Année 1^24.
Pour dresser un jeune courrier
Et l'affermir sur l'étrier
Il lui fallait une routière;
Aussi depuis cet heureux jour
Tout tremble sous elle à la cour,
Tant de sa conquête elle est fière.
Battons le fer quand il est chaud,
Dit-elle , en faisant sonner haut
Le nom de sultane première.
Je veux en dépit des jaloux
Qu'on fasse duc mon époux ^,
Lasse de le voir secrétaire.
Je sais bien qu'on murmurera,
Que Paris nous chansonnera;
Mais, tant pis pour le sot vulgaire.
Par l'épée ou par le fourreau
Devenir duc est toujours beau,
Il n'importe de la manière.
longtemps pour amant le marquis de Xangis, et peut-être
aussi le Régent,
I. Le marquis de la Vrillière mourut en 1725, sans avoir
obtenu ce titre de duc qu'il désirait ardemment. Sa
femme, plus heureuse que lui, devint dame d'atours et
duchesse par son second mariage avec le duc de Mazarin,
qui la laissa veuve au bout de trois mois.
i8 Clairambault-AIaurepas.
Bien des maris sont convaincus
D'être authentiquement cocus
Et de duchés ne tâtent guère.
Laire lan laire.
LA JOIE
DE
M. DE LA VRILLIÈRE
Le roi m'a fait cocu dessus mon âme,
J'admire mon bonheur;
J'irai bientôt, le tout grâce à ma femme,
Au plus haut point d'honneur.
D'un pareil trait faut-il que je m'attriste ?
Je serai ministre, moi.
Je serai ministre.
Cocu d'un roi le fait est honorable ,
Peste ! je le sais bien.
Un noir chagrin serait très condamnable :
Ce serait fuir le bien.
Je ne veux point de ces honneurs austères,
Je suis La Vrillière, moi,
Je suis La Vrillière.
Année 1^2 4. 19
Dans ma famille un chacun a des cornes :
Pourrai-je en refuser ?
Tous mes parents les ont hautes sans bornes;
Moi, sans les mépriser,
Si notre roi m'en veut planter cinquante,
Souffrons qu'il les plante, lui,
Souffrons qu'il les plante.
MOMUS FABULISTE
Certain chasseur, lassé de ne rien prendre.
S'en retournait l'air triste en sa maison,
Lorsqu'en chemin, tout proche de s'y rendre.
Son chien sentit un vent de venaison;
Royal chasseur, ma fable est-elle obscure ?
Lure, lure,
La Vrillière l'expliquera.
La, la, la, la.
La lance en main et le corps en haleine
Sitôt il crie : A moi Luriault, Mériault ;
Mais son gibier lui sauva toute peine.
Se couchant bas au seul bruit du taïaut.
20 Clair amb au 1 1" AI au repas.
Jeune Louis, ma fable est-elle obscure ?
Lure, lure.
La Vrillière l'expliquera,
La, la, la, la.
Un gros cyclope à tête effarouchée,
Franc ignorant du timon de l'Etat,
Avec sa rosse au mors mal abouchée
Par vils chemins menaient un potentat.
Cher duc borgnon, ma fable est-elle obscure
Lure, lure.
La de Prie te l'expliquera,
La, la, la, la.
LES PRELATS
ET
LA BULLE UNIGENITUS^
Lâches prélats, que l'intérêt domine,
A mauvais jeu vous faites bonne mine;
I. Chanson faite à l'occasion de l'assemblée du clergé
de France, tenue au mois d'octobre. « Les évêques y de-
Année 1/2^. 2i
Mais
Le ver secret, qui vous mine,
Ne vous quittera jamais.
Vous brillerez pour un temps par vos titres,
Vos cordons bleus, vos chapeaux et vos mitres
Mais
N'êtes-vous pas des bélîtres
De vous perdre pour jamais ?
Pour nous sauver, messieurs les commissaires,
Indiquez-nous les sentiers nécessaires;
Mais
Il faut des guides sincères;
Tellier ne le fut jamais.
Du Saint-Esprit nous adorons le souffle,
Xous respectons le pape et sa pantoufle ;
Mais
Pour la bulle du maroufle,
Xous n'y souscrirons jamais.
mandèrent au roi la permission de tenir des conciles pro-
vinciaux pour juger MM. de Bayeux et de Montpellier
sur leurs écrits. Il y eut une lettre de la même assemblée
au Roi, pour se plaindre qu'on ne leur laisse pas la li-
berté qu'ils désireraient pour faire main basse sur les appe-
lants. Cette lettre était si séditieuse que, dès qu'elle de-
vint publique, le Parlement ne put se dispenser de la
flétrir par un arrêt. » {Abrégé chronologique des principaux
événements de la Constitution^
22 Cl air amb ault-Maurepas.
Nous révérons l'Eglise et ses conciles
A leurs décrets nous sommes bien dociles;
Mais
A des papes imbéciles
Doit-on obéir jamais ?
L'autorité du pape justifie
Par le dépôt que le Christ lui confie;
Mais
On souscrit s'il édifie
Et s'il ne détruit jamais.
Le beau décret, le plaisant codicille
Oui nous défend de lire l'Evangile;
Mais
Si le Saint-Père est fragile
L'Eglise ne l'est jamais.
Oui, ce décret, que l'erreur accompagne,
Sera prescrit par toute l'Allemagne,
Mais
Baisons-le comme en Espagne,
Enfermons-le pour jamais.
Année I'J24> 2'^
ÉPIGRAMMES DIVERSES
Ilion gémit sous la cendre,
Pour avoir produit un Paris;
Que ne devons-nous pas attendre,
En ayant quatre dans Paris !
SUR VILLEROY
ViLLEROY revient à la cour';
Chaque bon citoyen, charmé de ce retour,
Voudrait qu'un si grand personnage,
Qu'un seigneur, qu'a marqué le ciel au meilleur coin,
1. Les frères Paris, devenus tout-puissants par le crédit
de M'"^ de Prie, étaient généralement détestés. L'achar-
nement qu'ils mettaient à perdre le secrétaire d'Etat de
la guerre Le Blanc, pour complaire à la favorite, leur
valut cette épigramme.
2. Le maréchal de Villeroy revint de son exil à la fin
de juin ; le peuple accueillit son retour avec enthousiasme
et voulait même le saluer par des feux de joie. !Mais le
jeune roi avait perdu le souvenir de son vieux gouverneur,
et lorsqu'il le vit à la cour, il ne lui dit pas un mot et ne
le regarda même pas.
24 Clairambaul t-AIaurepas.
Pût vivre désormais le double de son âge,
Et que notre monarque en pût être témoin ^
SUR RICHELIEU "
Richelieu, La Pe3-ronie
A formé notre lien;
Pour te prouver ta folie,
La vérole est tout mon bien,
Je te la donne;
Et mon c..., dont tu la tiens,
Fait ta couronne.
SUR imbert-^
Mox fils d'apothicaire
A bien changé d'état,
Car il est secrétaire
1. « Le poète n'est pas de la cour, remarque Marais, et
n'a pas consulté le goût du roi, qui ne voudrait pas vivre
si longtemps pour voir toujours le maréchal à côté de
lui. »
2. « Il a eu, depuis peu, les bonnes grâces d'une dame
que l'on ne tient pas bien saine (M'"^ de Gontaut, gâtée
par son mari) et il a été chanté. » ^Mémoires de Marais.)
3. Valet de chambre de M. le duc d'Orléans, dont le
père avait été apothicaire. (M.) — Il avait été envoyé en
Année 1^24. 25
Envoyé à Rastadt,
Pour chercher la monture
D'un prince, qui n'osit
Prendre femme ici ^.
SUR MALLET-
Le héros de la fanfreluche '^
Gisait dans la fatale huche,
La mort l'ayant pris au collet ;
Nul n'osait prétendre à la place
D'un petit-maître aussi complet,
Quand le souverain du Parnasse
Dit en pinçant son poil follet :
Aux emplois du Dariollet,
Moi, dieu des fictions, je nomme,
Et reconnais pour gentilhomme
Le fils du charpentier Mallet*.
qualité de secrétaire à Rastadt, faire les premières dé-
marches relatives au mariage du duc d'Orléans.
1. C'est M'"^ Imbert qui parle de son fils. (M.)
2. Jean-Roland Mallet, économiste et financier, membre
de l'Académie française.
3. Feu de Charmoy, dit îjiilord Colifichet. (M.)
4. Il avait acheté la survivance de la charge de gentil-
homme ordinaire de Charmoy, surnommé milord Colifichet.
La fille de M. Mallet a épousé le président Rosdier. (M.)
26 C lairamb aul t-Maurepas.
SUR FOXTEXELLE-
Le phénix de nos beaux esprits,
Poète, orateur, astronome,
Va de Clarisse chez Chloris
Lire sa pièce du Fantôme'^.
Or, un fantôme, ami lecteur,
Surprend et s'exhale en fumée;
Ainsi va de la renommée
Et des rentes de notre auteur.
SUR LA TRAGÉDIE DE MARIAXNE^
Ci-GiT qui fut brillante avant que de paraître
Qui, paraissant, cessa de l'être ;
1. Bernard Le Bo\âer de Fontenelle (1657-1757), neveu
du grand Corneille, l'un des plus célèbres écrivains du
XVIII*' siècle, exerça ses talents dans les genres les plus
divers, et dut à ses nombreux ouvrages une réputation
bien méritée de bel esprit et de savant. Il fut membre de
l'Académie des inscriptions, de l'Académie des sciences, et
secrétaire perpétuel de l'Académie française pendant qua-
rante-deux ans,
2. « Cela a rapport à une pièce de théâtre intitulée :
le Fantôme, que l'on dit qu'il va lire chez ses amis, et
qu'il ne veut point donner au théâtre. Il a fait tant dialo-
guer les morts qu'il peut bien représenter des fantômes. »
{Corresp. de Marais.)
3. Représentée le i" mars 1724. (M.) — Marais écri-
Année 1^2 4. 27
Un seul jour éclaira sa vie et "son trépas :
Chacun la vit mourir sans regret, non sans trouble.
Passant, tu ne perds rien, si tu ne la vis pas,
Si tu la vis, tu perds le double^.
vait à la fin de fé\Tier : « On nous annonce une comédie
de Marianne qui va être jouée et qu'Arouet, poète infa-
tigable, nous donne pour ce carême. » Et peu après :
« La tragédie a été jouée et a tombé dès la première re-
présentation. »
I. C'est que l'on paye le double aux premières représen-
tations. (M.)
ANNÉE 1725
LES
TROIS DUCS AU PARLEMENT^
Or, écoutez, petits et grands,
Le très piteux événement,
Qui vient d'arriver en France :
Trois ducs et pairs ont pris séance
Parmi messieurs du Parlement,
Pour y blâmer monsieur Le Blanc-.
1. Messieurs les ducs de Richelieu, de La Feuillade, ma-
réchal de France, et de Brancas, s étant trouvés aux pre-
mières assemblées du Parlement, pour le procès de M. Le
Blanc, ci-devant secrétaire d'Etat et complices, et ayant
cessé d'y aller, ont donné lieu à ce vaudeville. (M.)
2. Le lundi 8 janvier 1725, toutes les Chambres du
Parlement assemblées à la grand'Chambre pour travailler
à l'affaire de M. Le Blanc et de Michel La Jonchère, ci-
devant trésorier de l'extraordinaire des guerres, soupçonné
d'avoir participé au meurtre du sieur Sandrier, commis de
La Jonchère, M. le duc d'Orléans et le prince de Conti
s'y trouvèrent à toutes les séances jusqu'à la fin en faveur
V. 3.
^o Clairamhault-Maurepas.
Tous les ducs ont été camards,
Quand ils ont su que le Villars,
Richelieu et La Feuillade
Ont fait cette belle cacade,
Et que, pour eux, l'honneur n'est plus
Qu'un vain et chimérique abus.
Ils y furent tous trois lundi,
Entrèrent encor le mardi;
Mais, mercredi, plus ils n'osèrent,
Et, depuis, ils n'}^ retournèrent.
S'y voyant siffles, bafoués,
Montrés au doigt de tous côtés ^.
C'est monsieur lé duc d'Orléans
Qui, du temps qu'il était Régent,
de M. Le Blanc. ^IM. Les ducs de La Feuillade, de Bran-
cas et de Richelieu y vinrent le premier et le second
jour pour faire leur cour à M. le duc de Bourbon ; après
quoi, ils ne parurent plus. MM. Fallu et Delpech de
Mireuille furent rapporteurs de l'affaire, qui fut jugée le
22 janvier et renvoyée à la Tournelle sans qu'il fût parlé
dans la prononciation de l'arrêt de M. Le Blanc, nonobs-
tant lès conclusions du procureur général qui tendaient à
le décréter de prise de corps.
Cette affaire ne s'est pas menée sans intrigues de part
et d'autre. Le Parlement en général était pour M. Le
Blanc. Les Paris avaient excité M. le Duc contre La Jon-
chera et M. Le Blanc. (M.)
I. « On les avait regardés dans le public comme les
espions de M. le Duc, et ils s'étaient retirés. On a fait des
chansons sur les trois ducs et on les a tympanisés.»(^<3z/r-
nal de Barbier.)
Année 1725.
A donné lui-même le grade
De duc et pair à La Feuillade ;
Et cependant on voit, pour prix
De ce bienfait, qu'il le trahit.
Villars, qu'il a fait pair aussi,
Lui tourne casaque aujourd'hui.
Admirez la reconnaissance
Des grands que l'on nous vante en France :
Sans le Régent, sans ses bontés,
Villars aurait été ruiné.
Pour Richelieu, sans en parler,
Le monde le connaît assez.
Etourdi, plein de confiance,
Content de faire une imprudence,
Au risque même du mépris,
Pourvu que l'on parle de lui.
Que ces trois bons ducs a présent
Viennent disputer fièrement
Le pas à toute la noblesse.
Quand on les voit avec bassesse
Prendre rang sur les fleurs de lys
Pour faire leur cour aux Paris.
Or, prions tous, à deux genoux,
Le dieu de l'empire des fous
Qu'il engage par sa marotte
^2 Clair a uib aal i- Maurep a s.
Le commandant de la calotte,
De donner charge en ses États
A ces trois fameux magistrats.
LA VANITE DE DODUN
DoDUX dit à son tailleur -
Marquis d'Herbaut je me nomme,
Je veux être en s^rand seigneur
1. Charles Gaspard Dodun, marquis d'Herbaut (1679-
1736) fut successivement conseiller au Parlement de Paris,
à la quatrième Chambre des enquêtes, président de la
même Chambre, intendant de Bordeaux, maître des requêtes
de l'hôtel du roi, et contrôleur général des finances,
le 21 a\TiI 1722.
2. « Il est arrivé une aventure divertissante à la cour,
M. Dodun, contrôleur général des finances et puissam-
ment riche, a acquis le marquisat d'Herbaut, proche
Orléans, et la charge de lieutenant du roi d'Orléans. Cela
lui a paru trop bourgeois de rester un homme de robe,
surtout ayant le cordon bleu ; il a pris l'épée, s'est fait
appeler M. le marquis d'Herbaut, et, entre autres choses,
il s'est fait galonner un habit, ni plus ni moins qu'un
habit d'un officier des gendarmes. Cela a paru si ridicule
qu'on n'a pas pu y tenir. Il est fort haï. On a recherché
l'origine du sieur Dodun, et on a trouvé que son grand-
père avait été laquais ; et, enfin, on a fait des chansons sur
lui et sur M. Dodun, qui ont été chantées jusque par les
décrotteurs. M™^ Dodun en a été huit jours sans dormir. »
{Journal de Barbier.)
Année ij25. 33
Habillé, et voici comme :
Galonnez, galonnez, galonnez-moi^
Car je suis bon gentilhomme.
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Je suis lieutenant du roi.
Cela suffit, dit le tailleur :
N'épargnons rien pour cette emplette.
Je comprends bien que Monseigneur
Veut la chamarrure complète.
A la cour on l'admirera
Et à la ville on chantera :
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Je suis Heutenant du roi.
Oui, dit sa chère moitié,
Et contrôleur des finances.
Ma foi ! c'est un bon métier.
Des meilleurs qui soient en France,
Galonnez, galonnez, galonnez bien.
Car nous aimons la dépense ;
Galonnez, galonnez, galonnez bien.
Un habit comme le sien.
Mon cousin, dit le tailleur.
Il n'est point de gentilhomme
Oui ait l'air de grand seigneur.
Comme aura votre personne :
Galonnez, galonnez, galonnez-vous,
Votre aïeul si galant homme.
^4 Clairambault-Maurepas
Galonnez, galonnez, galonnez-vous,
Portait galons comme vous.
La Dodun dit à Frison ^ :
Coiffez-moi avec adresse,
Je prétends avec raison
Inspirer de la tendresse :
Tignonnez, chignonnez, bichonnez-moi,
Je vaux bien une duchesse,
Tignonnez, chignonnez, bichonnez-moi,
Car je soupe avec le roi^.
Ma foi, lui répond Frison,
Quoiqu'à friser je me tue,
Malgré votre beau chignon,
Vous ne serez point courue :
Tignonnez, bichonnez, moutonnez bien.
Ce sera peine perdue,
Tignonnez, bichonnez, moutonnez bien.
Sans argent, vous n'aurez rien.
Certain soir, en sa gaîté
Voulant qu'on rendît hommage
1. « Le fameux Frison, qui avait été laquais, frisait fort
bien. Toutes les femmes de la cour l'appelaient et ne vou-
laient confier qu'à lui leur tête ; il avait réellement un
talent supérieur qu'il avait formé chez Bligny... Il est de-
venu un homme important, remarquable par ses saillies
pleines de simplicité et de mérite. » [Mémoires de Maiirepas.)
2. Elle soupa un jour du carnaval à Marly avec le
roi. (M.)
Année 17 25,
35
A ses occultes beautés,
Dit : laissez là mon visage ;
Mais troussez, mais troussez, mais troussez-moi,
Et vous trouverez, je gage.
Mais troussez, mais troussez, mais troussez-moi,
Et vous trouverez de quoi.
Aussitôt le gai Dodun
Leva sa cotte légère ^,
Et fit voir à un chacun
La croupe de sa bergère :
Convenez, convenez, convenez donc
Que c'est Vénus par derrière.
Convenez, convenez, convenez donc
Que c'est un vrai Cupidon.
Dieux que l'épouse a d'attraits !
Que l'époux a l'âme bonne !
Que le ciel de ses bienfaits
Comble à jamais leurs personnes !
Tignonnons^ galonnons, bichonnons-les,
Puisque chacun d'eux l'ordonne,
Tignonnons, galonnons, bichonnons-les.
Le peuple en fera les frais.
I. On dit que M. Dodun, soupant un soir avec ses amis
et voulant caresser sa femme devant la compagnie, elle se
défendit, et qu'il la prit malgré elle et lui troussa ses
jupes par derrière devant le monde. (M.)
■26 C l air a m bail 1 1- AI au repas.
A Dodun dit Lézignan^ :
Mon oncle, prenez ma brette^,
Et qu'en échange, à présent,
Votre noir manteau je mette :
Fagotez, fagotez, fagotez-moi
En président des enquêtes^;
Fagotez, fagotez, fagotez-moi,
Nargue du souper du roi !
Dodun, mon ami,
Qui t'a fait si brave;
Tu n'as pas l'habit
D'un ministre grave;
Voudrais-tu briguer quelque emploi
Dans les mousquetaires du roi ^ !
1. Gayardon de Lézignan, conseiller au Parlement de
Paris et cousin-germain de Dodun. Dodun, qui n'avait pas
d'enfants, l'institua par testament son légataire universel.
2. Epée de duel, à lame longue et effilée, qui était sur-
tout en usage aux trois derniers siècles, et se portait
sur le côté, très inclinée à cause de son extrême longueur.
3. Dodun avait abandonné les fonctions de président
de la quatrième Chambre des enquêtes, pour celles de
contrôleur général.
4. « Toute la cour s'est exercée et a fait couplets sur
couplets. !Mais le contrôleur général a laissé chanter, et sa
femme, qui est fort laide (fille de Sachot, avocat), est assez
bonne femme pour une bourgeoise et reçoit bien du
monde. Elle appelle ^P'*-" de Clermont, princesse du sang,
MigJionnej et on en rit. » {Mémoire de Marais.)
Année 1725.
37
LE JANSENISME
L'ABBESSE DE CHELLES^
Je suis prophète, jeune Iris-,
Mon nouveau jansénisme
Va gagner la cour et Paris ;
C'est fait du molinisme :
Les docteurs à vos agréments
Xe peuvent pas répondre,
Et vos yeux sont des arguments
Oui savent tout confondre.
1. « Il s'est répandu une lettre de M"-*^ d'Orléans,
abbesse de Chelles, où elle a fait une profession de foi
très janséniste, et on ne sait quel moine lui a mis cela
dans la tête. Par arrêt du conseil du 28 avril, cet écrit a
été supprimé. L'arrêt porte que ce ne peut être rou\Tage
de cette princesse parce que l'auteur, peu instruit des
titres qui appartiennent aux princesses de son rang, lui
donne celui d'Altesse royale au lieu d'Altesse sérénissime,
qui, seul, convient à sa naissance. Il est dit encore que
cet écrit est rempli d'erreurs, que l'Église a condamnées
depuis longtemps, et d'expressions contraires à l'esprit de
soumission que l'état monastique qu'elle a embrassé l'oblige
à garder plus indispensablement. » (J/ém. de Marais.)
2. Cette pièce facétieuse est « une déclaration d'amour
d'un dévot janséniste à M""^ de Chelles. » (M.)
o8 Clair amhault-3I aurepas.
N'allez pas^ comme avec Ouesnel
En use le Saint-Père,
Me faire un procès criminel.
Je crains votre colère.
Pour mes tendres réflexions.
Quelle heureuse fortune
Si de cent propositions
Vous en acceptiez une !
Je vois en vous de Port-Royal
Ressusciter l'élite ;
Vous avez l'esprit de Pascal
Et d'Arnauld le mérite^.
On peut exalter vos attraits
Sans craindre l'hyperbole,
Et j'estime plus vos essais
Que ceux du gi-and Nicole.
Que dans vos 5^eux Janséniens,
Je trouve fortes armes,
Que la bulle Unigenihis
Tient peu contre vos charmes !
Pour vous plaire, Iris, de bon cœur
Je me fais janséniste.
I. « Devenue habile janséniste par les soins du béné-
dictin, son directeur, elle voulut être savante dans les
Écritures, et en extraire les passages qui lui paraissaient
favorables à ses sentiments. Deux secrétaires choisissaient
ces passages, et elle y ajoutait ses réflexions. » {Mém. de
Richelieu.)
Année 17 25. 39
Mais avez pour moi la douceur
D'une âme m.oliniste.
Je vois l'amour armé de traits
Qui vous suit à la trace,
De votre air vif, brillant et frais,
La grâce est efficace.
Je soutiendrai ce dogme-là,
Et ma thèse est publique.
Quand on devrait chez Loyola
M'appeler hérétique.
Je défendrai vos doux appas
En docteur de Cythère,
Contre eux on ne me fera pas
Signer le Formulaire.
Si par malheur votre courroux
Me condamne ou m'exile,
Je n'en appellerai qu'à vous,
Non au futur concile.
40 Cl airambaul t-AIaurepas.
LES EXPLOITS
DU DUC DE BOURBON
Mes amis veulent pour rire
Que je fasse une chanson
Sur certain prince borgnon,
Objet digne de satire.
Je n'en dirai pas le nom,
Sa race tombe en délire,
Je n'en dirai pas le nom.
Or, écoutez ma chanson.
Il tire son origine
D'un fameux roi des Français
Par ses illustres exploits
Il cause notre ruine.
Je n'en dirai pas le nom.
Il est d'une mince mine.
Sur nos blés son entreprise ^
Est peu digne de son sang,
I. On soupçonna le duc de Bourbon de participer à des
monopoles qui avaient pour résultat de porter le blé à un
prix excessif. « Les blés des hôpitaux et d'autres endroits
publics, lisons-nous dans les Mémoires de Marais, ont été
enlevés et vendus la moitié plus qu'ils n'avaient été ache-
Année ij25. 41
Sans estime de son rang
Grands et petits le méprisent.
Je n'en dirai pas le nom.
Il tient de la bâtardise.
D'un air farouche et sinistre
De tout temps il fut doué;
D'un infâme gain luré,
Il a surpassé le cuistre ^
Je n'en dirai pas le nom,
Il est à présent ministre.
Jadis traître à la patrie,
Sa casaque il retourna,
Le pardon le ramena.
Jadis traître à la patrie :
Donc son nom reste flétri;
De la crasse il est pétri.
Dans sa damnable maxime.
Adultère, furieux,
Il croit son sort glorieux ;
tés. Les officiers de police, au lieu de les faire diminuer
dans les marchés, les faisaient augmenter. Il a été dé-
fendu dans les lieux voisins, d'en faire venir à Paris,
pour entretenir cette disette et cette cherté affreuses, et on
n'a point douté qu'en deux ou trois marchés elle a pro-
duit neuf millions au profit de qui il vous plaira. On a
joué le sort de la ville de Paris et peut-être de la France
à ce jeu secret. »
I. Le cardinal Dubois.
42 Clairamb ault-Maurep as.
Il s'en loue, il s'en estime.
Je n'en dirai pas le nom.
Il ne vit que pour le crime.
Habile pour la lésine,
Il s'empare de nos grains,
Rehaussant le prix du pain,
Sur notre vie il rapine.
Je n'en dirai pas le nom.
Il empeste la farine.
Pour ministre des finances
Il a pris un scélérat,
Un fourbe, un gueux, un soldat.
Digne gibier de potences.
Je n'en dirai pas le nom,
Je respecte les puissances.
D'une illustre lieutenance
Il doue un maître fripon ^
De sa maîtresse le c...,
A produit son opulence.
Je n'en dirai pas le nom.
Il est bourreau de la France,
Je n'en dirai pas le nom.
J'honore trop les Bourbons.
i. Ravot d'Ombreval, lieutenant général de police. (Cf.
ci-après p. 40.)
Année 1710. 43
LE MARIAGE DU ROI
L'iNFAXTE est partie, Dieu merci,
Disait le Duc au roi Louis ^:
Mais, sire, il faut être papa.
AUchiia.
Vos sujets nous demandent tous
I. Le renvoi de l'infante d'Espagne, Anne Victoire, qui
devait épouser Louis XV, fut décide, au mois de mars
1725, par le duc de Bourbon, obéissant en cela à des mo-
tifs d'intérêt personnel qui ne furent un secret pour per-
sonne.
« On commence à s'apercevoir, dit Marais, que le ren-
voi de l'infante est un effet de la haine de la maison de
Condé contre celle d'Orléans. Le roi a été malade, on a
craint de le perdre ; le duc d'Orléans eût été roi, et M. le
Duc eût mal passé son temps. Si le roi garde l'infante, il
n'ain-a d'enfants de sept ou huit ans d'ici ; il peut mourir,
la même crainte reviendra ; la branche d'Orléans régnera
et celle de Condé sera disgraciée et rejetée bien loin. Il
faut donc renvoyer l'infante et marier le roi à quelque
princesse de son âge, dont il aura des enfants, et les espé-
rances des Orléans tombent. Voilà comment on a rai-
sonné. Avec ces beaux dehors que la nation approuve
AL le Duc a pris son parti et l'a fait prendre au roi, qui,
de son côté, n'aime pas l'infante et ne peut la souffrir. »
L'infante quitta Versailles le 5 avril, pour retourner à
Madrid.
44 Cl aira??ib aul t-Alaurepas,
A voir un Dauphin né de vous
Et quelle reine on leur donnerai
Si j'osais, je vous offrirais
Ma jeune sœur Vermandois -
Bien mieux qu'une autre elle fera
AUeluia.
Par Wissembourg, Londre et Paris
L'on cherche une femme à Louis :
1. Le choix de la future reine de France n'était pas
sans embarrasser M. le Duc, préoccupé avant tout d'af-
fermir son pouvoir. Il chargea le comte de Morville de
dresser une hste générale de toutes les princesses de l'Eu-
rope en état d'être mariées : elles étaient quatre-vingt-
dix-neuf, dont vingt-cinq catholiques, trois anglicanes,
treize calvinistes, cinquante-cinq luthériennes, et trois
grecques. M. le Duc distingua dix-sept des plus notables,
et les signala au roi dans un rapport où les noms étaient
accompagnés de quelques annotations sommaires.
2. M, le Duc avait un moment songé à donner au
roi sa sœur, M"'' de A^ermandois; il fut détourné de ce
projet par M™« de Prie qui ne trouva pas la princesse dis-
posée à subir ses conditions. Il fut aussi question de
M"^ de Sens : « On dit, écrit Barbier, que la politique de
M. le Duc va jusqu'à marier le roi à M^e de Sens, sa
sœur. Cette princesse est belle, mais elle a vingt ans et
par conséquent trop âgée pour le roi. Peut-être a-t-on
imaginé ce mariage sur l'intérêt que M. le Duc y avait,
parce qu'il deviendrait beau-frère du roi, et conserverait
par là et sa place de premier ministre, et la supériorité
sur le duc d'Orléans pour le crédit et l'autorité. » Mais
la marquise de Prie, qui craignait toujours d'élever dans
la famille de son amant une rivale de son propre crédit,
fit encore avorter ce projet.
Année iy25. 45
On ne sait pas qui la sera,
Alléluia,
Monsieur le Duc est fort fâché
De ce qu'on le croit empêché
Pour laquelle il entonnera.
Il dit au roi : Prenez ma sœur ;
Elle est jolie comme un cœur;
Bien mieux qu'une autre elle fera :
Mais le roi n'a rien répondu
Par la crainte d'être cocu,
D'ailleurs le sang ne convient pas.
Le ministre lui répliqua :
Aimez-vous mieux la Leczinska ^
Que la France n'approuve pas.
I. « Voici une autre reine de France dont on parle :
c'est la fille du roi Stanislas de Pologne qui a été détrôné
et qui est à Wissembourg. Cette princesse a vingt et un
ans ; elle est bien faite et bien élevée ; son père est roi ou
l'a été. Il fut élu après que le roi de Suède eut obligé le
roi Auguste à renoncer ; mais le roi de Suède ayant été
obligé de fuir en Turquie, le roi Auguste est venu en
Pologne reprendre sa place, a chassé Stanislas, et c'est sa
fille qu'on destine au roi. Il est de la famille des Leczinski,
et il n'y a guère eu en France de reine de cette sorte. »
{Mém. de Marais.)
46 Clairamhault-Maurepas.
Ou bien plutôt la d'Hanover ^
Dont les parents sont en enfer,
Pour qui Rome ne dira pas :
Le roi répondit à Bourbon
En lui montrant les deux talons
Pour moi Fréjus décidera,
Alléluia.
I. « On disait que le roi épousait la princesse Amélie, fille
du prince de Galles, fils du roi d'Angleterre et duc de
Hano\Te. Elle n'a pas encore quatorze ans. » {Journal de
Barbier.) Elle figurait avec sa sœur aînée, la princesse
Anne, sur le rapport présenté au roi par M. le Duc qui
avait formulé à leur endroit les observations suivantes :
« Anne, fille du prince de Galles. — 15 ans. — Protes-
tante. Il faudrait demander la conversion de la princesse.
Cela pourrait s'obtenir, le duc de Hanovre étant le plus
proche héritier, — Cette alliance serait avantageuse et
amènerait l'alliance de la Hollande et de la Prusse. —
L'Angleterre apaiserait l'Espagne. — On peut objecter :
1° les craintes de la catholicité, la princesse restera sans
doute protestante au fond du cœur. 2° C'est un obstacle
à la protection accordée au chevalier de Saint-Georges.
3° Rome sera indisposée. 4" La reine protégera les pro-
testants et les jansénistes. — Amélie-Sophie-Éléonore,
fille du même. — 13 ans. — Mêmes raisons. »
Année IJ25. 47
MARIE LECZINSKA
Le roi dans sa pochette
A un joli portrait
D'une belle squelette
^u'on fait venir exprès
Pour donner à la France
De dignes rejetons
De nos grands Bourbons.
On dit qu'elle est hideuse ^
Mais cela ne fait rien ;
Car elle est vertueuse
Et très fille de bien,
Et puis monsieur son père
I. « Le bruit est grand d'une lettre écrite par le roi de
Sardaigne, comme gi'and-père du roi, qui s'oppose au ma-
riage avec la Polonaise, par la mésalliance, et parce qu'on
dit qu'elle a des défauts corporels. Il y a aussi des lettres
anon}'mes qui ont grossi ces défauts. On dit qu'elle a
deux doigts qui se tiennent et des humeurs froides, mais
cela vient de la faction d'Orléans à qui ce mariage et tout
mariage du roi déplaît. » {Mém. de Marais.) L'on écrivit
aussi à M. le Duc une lettre anonyme où l'on exposait
que Marie Leczinska était attaquée d'épilepsie. Un envoyé
secret, le sieur du Fenyx, fut aussitôt chargé de vérifier
l'exactitude de cette allégation, et ne put recueillir aucun
indice de cette prétendue maladie.
^8 Cl air am b aul t-AIau repas.
Oui est roi sans Etat
Nous gouvernera.
Tout le monde le nomme
Le grand roi Stanislas;
Mais le peuple en frissonne
Parce qu'il rime à Law
Et veut le méconnaître,
Disant : Ce roi n'est pas
Dans le Colombat *.
C'est en vain qu'on murmure,
Duvernay est content
Et Vauchoux ^ nous assure
Qu'elle aura des enfants ;
Déjà Fréjus nous jure
Qu'il est grand aumônier
Pour les baptiser.
Le roi, grâce à son Altesse,
Va former un beau lien ' :
1. L'imprimeur Colombat publiait tous les ans un Ca/en-
di'ier de la cour, renfermant l'indication sommaire des
princes et princesses de l'Europe. Cet almanach minuscule
jouissait d'une très grande vogue et rapportait à son édi-
teur un bénéfice considérable.
2. Le chevalier de Vauchoux avait été député vers le
roi Stanislas pour lui faire connaître les conditions que
M. le Duc mettait au mariage de sa fllle avec Louis XV.
3. 27 mai. — Enfin, ce matin, le roi a déclaré le nom
Année i~25. 49
Il épouse une princesse
Qui n'apporte pour tout bien
Que son mirliton.
La maîtresse de Bourbon
Nous destine une reine
Qui porte dans son giron
Des Dauphins à la douzaine :
Va-t'en voir s'ils viennent, Jean,
Va-t'en voir s'ils viennent !
LA
DISGRACE DE M. D'OMBRE VAL ^
D'Ombreval ou dom Brutal,
Plus cheval
Que Bayard ou Bucéphale,
de la reine à son petit lever, et il a été annoncé à toute
la cour par le duc de Gesvres, premier gentilhomme de la
chambre. C'est la princesse Marie, fille du roi Leczinski.
Voilà un terrible nom pour une reine de France. La cour
a été triste comme si on était venu dire que le roi était
tombé en apoplexie. » {Mém. de Marais?)
I. Nicolas Jean-Baptiste Ravot d'Ombreval, d'abord
V. S
50 Clairambaul t-Al aurepas
A fait ses orges à la halle
Sur le blé ;
Mais, comblé
De biens, il faut qu'il détale^.
On l'a fait auparavant,
Intendant ^
Voyant qu'il a le talent
De tyranniser le peuple ;
Et le Duc,
Pis qu'un Turc,
Sur cela fera l'aveu de.
avocat général à la cour des Aides, puis maître des
requêtes, avait été nomrhé lieutenant de police en jan-
vier 1724, lors de la démission du comte d'Argenson. Il
devait cette place au crédit de ]\I'"*= de Prie, sa cousine.
C'était, d'après Barbier, « un homme de beaucoup d'es-
prit et grand travailleur, qui a été et est encore assez
débauché. »
1. Soupçonné d'avoir provoqué par des monopoles le
prix exorbitant du pain, d'Ombreval fut révoqué de
ses fonctions, en [725. « L'on dit, écrit Barbier, que
c'est lui seul qui avait fait le manège du pain ; qui dé-
fendait aux fermiers d'apporter des blés, afin de vendre
cher du blé que Samuel Bernard et les Paris avaient en
magasin ; que le gain se partageait entre M°'* de Prie,
lui et quelques autres; et que M. le Duc n'en savait rien.
Voilà ce que je ne crois pas. C'est bon à faire accroire au
peuple. Le lieutenant de police ne pourrait faire ce ma-
nège-là huit jours, s'il n'était soutenu du ministre. Ils ont
résolu de tirer de l'argent, et après l'avoir fait, on sacrifie
politiquement le lieutenant de police, pcfur faire tomber
sur lui l'iniquité. »
2. Il alla remplacer à l'intendance de Tours, Hérault,
qui fut nommé lieutenant de police.
Année ij25. 51
La province où il va
Souffrira,
De ce maître scélérat,
L'injustice et le pillage;
Mais aussi
Comme ici,
Il pourra plier bagage^.
CONSEILS A LA REINE
Hatez-vous, reine Marie,
De contenter la de Prie
Oui met le sceptre dans vos mains
N'allez pas lui chercher chicane
Comme fit une Parmesane
A la princesse des Ursins -
1. C'est en effet ce qui arriva ; il fut révoqué aussitôt
après la disgrâce de M. le Duc et de M"'*= de Prie. (Juil-
let 1726.)
2. Anne-Marie de la Trémouille, princesse des Ursins,
avait été nommée camerera-mayor de la reine d'Espagne, par
Philipppe V qui devait en partie son trône à ses intrigues
politiques. Toute-puissante sur l'esprit de ce prince, elle
le décida, lorsque Âlarie-Louise de Savoie fut morte, à
épouser Elisabeth Farnèse qu'on lui avait dépeinte «comme
une bonne Parmesane nourrie de beurre et de fromage ».
Elle comptait par là affermir son crédit; mais la nou-
^2 Clairambault-Maurepas.
Laissez plutôt périr la France
Que Bourbon met dans l'indigenci
Que de souffrir qu'il soit banni
Comme le fut Albéroni ^.
Ayez une haine immortelle
Pour Orléans et sa séquelle
Et nous donnez un beau poupon,
Qui détruisant leur espérance
Confirme par toute la France
Le ministère de Bourbon.
N'appréhendez pas que l'Espagne
Se soit unie à l'Allemagne
Pour se déclarer contre nous-,
velle reine qui avait préparé sa disgrâce avant d'avoir
mis le pied en Espagne, l'exila brutalement aussitôt après
la première entrevue qu'elles eurent ensemble.
1. Jules Albéroni, cardinal et premier ministre d'Es-
pagne (1664-1752), avait été avec la princesse des Ursins
le principal auteur de la fortune d'Elisabeth Farnèse. Pour
satisfaire Philippe V qui élevait des prétentions à la cou-
ronne de France, et la reine désireuse d'assurer un trône à
l'infant don Carlos, il engagea contre la quadruple alliance
une lutte audacieuse qui se termina par un complet
insuccès. L'exil fut la seule récompense de ses efforts et de
son dévouement à ses maîtres. — Les deux conseils que
l'on donne ici à la reine sont ironiques et habilement choisis
pour lui indiquer la conduite qu'elle devait tenir.
2. Philippe V et la reine d'Espagne avaient témoigné
un profond mécontentement de la conduite de M. le Duc, et
répondu tout aussitôt par le renvoi de la princesse de Beau-
jolais, promise en mariage à don Carlos, et de M^^^ de Mont-
Année IJ2S, 53
Sans y chercher tant de finesses,
Bourbon fera tant de bassesses,
Qu'il désarmera son courroux.
EPIGRAMMES
LE GOUVERNEMENT
Pour roi nous avons un enfant,
Pour ministre un prince ignorant
Et pour la finance un corsaire,
Pour chef de la justice un fat ^,
Des sots pour conseillers d'Etat.
Comment faire ?
pensier, veuve de Louis P"". Mais on redoutait des com-
plications plus graves. « On a été surpris, écrivait Marais,
au mois de mai, d'apprendre que l'Empereur et le roi d'Es-
pagne ont fini entre eux deux, sans tant de façons, toutes
les contestations du congrès de Cambrai, et réglé tous
leurs différends... Les politiques raisonnent : Est-ce la
guerre? Est-ce la paix? et ils n'y voient goutte. Cepen-
dant on fait avancer des troupes de tous côtés en Lan-
guedoc et sur les frontières de la Catalogne, de l'Espagne,
et de la Savoie pour être prêt en cas de rupture. »
I. Le garde des sceaux, Fleuriau d'Armenon\'ille.
V. S-
54 Clair ambault-AIaurepas.
Ainsi qu'un autre Pliaéton,
Plein de faiblesse et d'ignorance,
Nous voyons le duc de Bourbon
Gouverner les peuples de France.
Monté dessus son char de prix*,
Traîné par les quatre Paris,
Son cocher homme malhabile ^
Son postillon pétri de bile^;
De cet attelage maudit
Nous est venu le discrédit
Oui nous jette dans l'indigence.
Quel ténébreux gouvernement !
On dit partout publiquement :
C'est trop peu d'un œil pour la France
Ami, sais-tu ce que l'on dit ?
La Justice en est désolée ;
1. L'auteur joue plaisamment sur le nom de M'"'^ de
Prie. Les facéties du même genre ne sont pas rares.
(Cf ci-après, p. 83.)
2. Le contrôleur général, Le Pelletier des Forts.
3. Fagon.
4. On avait fait un tableau dans lequel était représenté
un char où étaient M""'' de Prie et M. le duc de Bourbon ;
les quatre Paris le traînaient ; le cocher était AL Dodun,
contrôleur général des finances, et M. Fagon, le postillon ;
au bas étaient ces vers. (M.)
Année ij25. 55
Le roi fut la voir dans son lit ^,
On prétend qu'il l'a violée-.
Grand Dieu ! quelle misère extrême ,
Pa3'er encore le cinquantième^,
Bientôt nous n'aurons plus d'argent.
Hélas! quel fichu ministère;
Le cinquantième du bon sens
Lui serait bien plus nécessaire.
Pour la ceinture de la reine ^
Peuples, mettez-vous à la gêne
1. Le Parlement avait refusé d'enregistrer les édits de
finances, rendus à l'occasion du mariage du roi pour
l'établissement de nouveaux impôts. « Il fallut, dit Vol-
taire, mener le roi tenir un de ces lits de justice où l'on
enregistre tout par ordre du souverain. Le chancelier
d'Aguesseau était éloigné; ce fut le garde des sceaux d'Ar-
menonville qui exécuta les volontés de la cour. »
2. On dit que cette chanson est de 1667. ÇSl.)
3. L'impôt du cinquantième, imaginé par Duvernay et
établi par édit du 8 juin, devait se percevoir en nature
sur tous les revenus du royaume. Il provoqua en pro-
\'ince divers soulèvements.
4. A l'occasion du mariage du roi, les corps de métiers
furent obligés de pa)'er des maîtrises que l'on étabHt dans
toutes les villes du royaume ; cet impôt prit le nom de
Ceinture de la reine.
^6 Clair ambault-Maurepas.
Et tâchez de bien l'allonger.
Bourbon le borgne vous en prie.
Car il voudrait en ménager
Une aune ou deux pour la de Prie.
Le duc a deux beaux yeux brillants,
L'un borgne, l'autre clairvoyant;
Celui d'émail ou bien de verre,
Cet œil oii l'injustice luit,
Cet œil est pour le ministère,
Le clairvoyant pour son profit.
Grand roi, nous avons à vivre
Plus de peine que jamais,
Plutus se refuse à nous suivre
Au sein même de la paix :
Le borgne a suivi le cuistre,
Ma foi, c'est un opéra;
Faites La Force ministre,
Le commerce fleurira.
Que l'on parle tant qu'on voudra
De nouvelle ou d'affaire;
Pour moi, le plus sage sera
Année Ij25. 57
En tout temps de se taire;
Car sur ceci, car sur cela,
En vain chacun clabaude;
Au deuxième Caligula^
Succède un nouveau Claude-.
Ose-t-on décrire les mœurs
De ces hommes habiles?
Le premier viole ses sœurs,
L'autre b ses filles.
Le nouveau Claude, encore plus sot
Que l'époux d'Agrippine,
Est mené par la Berthelot,
Seconde Messaline.
EPIGRAMMES DIVERSES
SUR MADAME DE PRIE
La de Prie dit à Bourbon :
Dedans l'amoureux mystère
Vous cherchez trop de façon,
Et vous ne pouvez rien faire.
ChiiTonnez, chiffonnez, chiffonnez-moi !
1. Le Régent. (M.)
2. Le duc de Bourbon. (M.)
c8 Clair amhault-AIaurepas,
Je me moque du vulgaire;
Chiffonnez^ chiffonnez, chiffonnez-moi !
Je suis un morceau de roi.
A la patronne de Paris ^
La de Prie a dit en colère :
Demeurez dans votre taudis,
Sans vous mêler de mes affaires ;
Sachez que c'est moi à présent
Oui fais la pluie et le beau temps.
Sainte Geneviève- et de Prie,
Patronnes de la monarchie,
1. Sur la procession de sainte Geneviève, faite le 5 juil-
let 1725. (M.) Cf le Jourtial deBarbie7'jQ^\ donne le détail
circonstancié de cette procession,
2, Lors de la descente de la châsse de sainte Gene-
viève. (M.) — On lit à propos de cette solennité, dans le
Jotirnal de Barbier : « J 'ai dit qu'il pleut dans ce pays-
ci depuis trois mois, et cela tous les jours et avec des
averses longues. Cela commence à déplaire et à inquiéter ;
mais nous avons ici un remède sûr dans la châsse de
sainte Geneviève. On l'a découverte il y a quinze jours,
et il est venu des processions de tous les pays, même de
vingt lieues d"ici. La pluie cependant a toujours continué,
et il faut y mettre ordre. Le 27 de ce mois, la ville a été
au Parlement demander la descente de la châsse et la pro-
cession. Arrêt a été rendu qui l'a ainsi ordonné pour
jeudi prochain, ce qui cause bien du mouvement dans
Paris, attendu qu'il y a seize ans qu'elle n'a été faite. »
Année IJ25. 59
Ont un culte bien différent.
On obtient tout de la première,
Aussitôt que l'on la descend ;
Mais il faut monter la dernière ^
SUR LA MARQUISE DE MAILLY
Ox dit que Velleron-
Se couche de son long
Sur vous, par habitude ;
J'en ai quelque soupçon
Et nulle inquiétude.
SUR SAINT-DIZAXT
CoxxAissEZ-vous Saint-Dizant ^
Sot disant,
Et soi-disant gentilhomme;
1. Le public disait en prose ce que les satiriques met-
taient en vers, témoin cette remarque de Marais : « On
demande quelle différence il y a entre M"''' de Prie et la
châsse de sainte Geneviève. — C'est que pour obtenir
des grâces de sainte Geneviève il faut la descendre, et
pour en obtenir de M'"<= de Prie il faut la monter. »
2. Çambis. (M.)
3. Etienne Ferrant, sieur de Saint-Dizant, intendant
et contrôleur de Largentière.
6o C lairamb ault- M aurep as.
C'est le plus impertinent
Suffisant
Oui soit de Paris à Rome.
SUR LA BULLE UNlGEyiTUS
\J Unigenitus de Clément
S'en retournait fort tristement,
Quand la Société, sa mère,
L'arrêtant, lui dit en colère :
Tu fuis, lâche ! Est-ce ainsi que tu soutiens mes droits ?
Que crains-tu ? les faibles exploits
D'un Benoît^ et de ses thomistes,
D'un Noaille et ses jansénistes ?
Bon ! suis-moi : dans peu, tu verras
La fille de mon fils, l'illustre Stanislas,
Soumettre sous ses lois tous les peuples de France,
Exercer partout ma vengeance,
Et ton règne s'affermira.
Cher Unigenitiis, par XUnigcnita^.
1. Benoît XllI, Orsini, intronisé le 29 mai 1724, à la
mort d'Innocent XIII.
2. « Par allusion à Y Unigenitiis, on a nommé la nou-
velle reine Unigenita, parce qu'elle est amie des jésuites,
et que les noms de femmes en Pologne sont en a,
Leczinskij Leczinska. » [Mém. de Marais.)
Année ij25.
SUR UN .MIRACLE
A LA Fosse disait Bissy :
Vous vivez par miracle,
Heureuse que votre mari
N'y mette aucun obstacle
Car j'ai su, par un directeur
Qu'il était janséniste. —
Hélas, dit-elle, monseigneur.
Il n'est rien qu'ébéniste.
SUR UN MANDEMENT
Vous m'envoyez un mandement.
Recevez une tragédie,
I. Chanson sur le miracle arrivé lejour de la Fête-Dieu au
faubourg Saint-Antoine, à Paris, sur la femme d'un ébé-
niste nommé La Fosse, laquelle était paralytique des
jambes et incommodée d'une perte de sang depuis
sept ans. (M.) — « Il n'est bruit ici que d'une hémorrhoïne qui
a été guérie d'une perte de sang de treize ans et d'une
paralysie de dix-huit mois, à la procession de sainte Mar-
guerite, le jour de la Fête-Dieu, écrit Marais, dans une
de ses lettres. Cette femme, pleine de foi, se jette à terre
devant le Saint-Sacrement qui passait : elle se releva,
suivit la procession à pied, et revint de même, et elle se
trouva guérie de tous ses maux ; tout Paris y court. C'est
une femme simple, de bon sens, femme d'un ouvrier en
V. 6
(i2 Clair ambault-Aîaurepas.
Afin que, mutuellement,
Nous nous donnions la comédie^.
SUR UN SERMON DU CURE DE SAIXT-PAUL'
Ce curé si vanté,
Dont la figure austère
Convertit mainte beauté,
L'autre jour, dans sa chaire.
cabinets, rue de Charonne, nommé La Fosse. » Le Joîij--
nal de Barbier fournit d'amples détails sur ce miracle.
(Juin 1725.)
1. Voltaire qui avait été témoin du miracle du fau-
bourg Saint-Antoine, et fut interrogé lors de l'enquête
dressée par l'autorité ecclésiastique, nous apprend à
quelle occasion il composa ce quatrain, dans une lettre à
la présidente de Dernières. « Je sers Dieu et le diable
assez passablement, dit-il : j'ai dans le monde un petit vernis
de dévotion que le miracle du faubourg Saint- Antoine m'a
donnée. M. le cardinal de Noailles a fait un beau mande-
ment à l'occasion du miracle, et pour comble d'honneur
ou de ridicule, je suis cité dans ce mandement. On
m'invite en cérémonie à assister au Te Deiim, qui sera
chanté à Notre-Dame en actions de grâces de la guérison
de M""'' La Fosse. M. l'abbé Couët, grand-vicaire de Son
Eminence, m'a envoyé aujourd'hui le mandement, je lui
ai envoyé une Marianne avec ces petits vers. »
2. Sur M. Guéret, curé de Saint-Paul, à l'occasion des
conférences spirituelles qu'il fait tous les soirs à six heures
dans son église, où une infinité de personnes de tous
sexes et conditions se trouvent, et où l'on prétend qu'il
s'est donné des rendez-vous et fait des choses contre la
bienséance. (M.)
Année 1^25.
Chacun étant bien posté,
Prêchait la chasteté.
Au miheu du sermon,
Voyant que le démon
Se glissait à tâton,
Et qu'il fourrageait l'auditoire
Il dit ces mots :
Tremblez, gens indévots,
Montrez-moi vos bras hauts. -
Hélas ! ils sont tous, il faut croire,
Sourds et manchots.
ANNEE 1726
LE PASSÉ ET LE PRÉSENT
Dans mon enfance,
Nul ministre chétif
Nul conseil incisif,
Nul Parlement captif.
Nul archevêque juif
Ne se voyaient en France.
Aujourd'hui ce n'est plus cela :
Ministre qui lorgne,
Un conseil qui grogne
Un pontife qui rogne,
Parlement charogne.
Et le tout va
Cahin caha.
Dans mon enfance,
L'efficace régnait,
. La grâce dominait,
V.
66 Clairainhault-Maurepas.
En elle on espérait,
Et Dieu chacun craignait,
Respectant son essence.
A présent ce n'est plus cela :
La loi catholique,
Mêlée d'hérétique,
Est jésuitique,
Même pélagique.
Et la foi va
Cahin caha.
Dans ma jeunesse.
On avait de l'argent.
Le peuple était content.
Un monarque puissant,
Un ministre prudent,
Conservaient nos richesses.
Aujourd'hui ce n'est plus cela :
De Prie est habile,
La reine docile.
Le roi trop facile,
Le Duc imbécile
Et l'État va
Cahin caha.
Dans ma jeunesse,
La vertu dominait,
La grâce triomphait.
L'homme reconnaissait
Que sans elle il n'était
X
Année lyjû. 6"/
Qu'impuissance et faiblesse.
Aujourd'hui ce n'est plus cela :
A l'homme crédule,
Rome sans scrupule,
Dore la pilule,
Et grâce à la bulle
Au ciel on va
Cahin caha.
Dans ma jeunesse
J'allais à l'Opéra ;
Quel plaisir j'avais là !
Les danseurs, les acteurs
Charmaient les spectateurs
Par leur délicatesse.
Aujourd'hui ce n'est plus cela :
Blondy^ bat de l'aile,
Thévenard ^ chancelle,
Disgrâce cruelle,
Atys^ est femelle,
Et tout y va
Cahin caha.
1. Blondy, l'un des plus célèbres danseurs de l'Opéra au
XVIII* siècle, compositeur des ballets de Louis XIV. Il
succéda en avril 1725 à Pécourt, pour la composition des
ballets de l'Académie royale de musique.
2. Gabriel-Vincent Thévenard était basse-taille de
l'Opéra, où il avait été reçu en 1687 et qu'il quitta en 1727-
3. Opéra de Quinault, avec musique de Lulli, repris
en 1725. Fuselier en fit une parodie en 1726 pour la Foire.
68 Clairamhault-Alaurepas.
LES
PORTRAITS DE LA COUR
Reine, souffrez qu'un bon François
Qui veut vous être utile,
Pour vous faire entendre sa voix
Emprunte un vaudeville,
Et par une exacte chanson,
La faridondaine, la faridondon,
Vous fasse les portraits d'ici, biribi,
A la façon de Barbari, mon ami.
Bourbon, quoique saisi d'effroi,
Vous maîtrise et vous brave ;
Vous vous croyez femme du roi,
Vous n'êtes qu'une esclave,
Et dans votre cour en prison;
On y parle de votre esprit,
Poltron, entêté, violent.
Et de richesse avide,
Joignant un cœur dur et méchant
Avec l'esprit stupide.
Voilà le portrait de Bourbon,
Tel qu'on le dépeint à Paris,
Année iy26. 69
Pour son favori le soldat,
Auteur du cinquantième^,
C'est un insolent scélérat,
Un esprit à système.
Plus fou s'il se peut que fripon ,
Traitez-le, et ses frères aussi.
En écartant d'auprès de vous
Ce conseiller sinistre ,
Regarderez-vous sans courroux
La p du ministre,
Vous, pleine de religion,
Prierez-vous Dieu avec la Prie^ ,
C'est la fille d'un fugitif
Qui craignait la potence,
L'esprit étourdi, décisif,
Fourbe et plein d'impudence,
Des Anglais prenant pension ^
Pour conduire cet Etat-ci;
1. Pâris-Duvernay. (M.)
2. « M"'*' la marquise de Prie qui est une des dames du
palais, qui est aimable et de beaucoup d'esprit, s'est
emparée de celui de la reine. Elle lui faisait des caresses
infinies ; elle l'a même brouillée avec les autres dames. »
[Jourtial de Barbier.)
3. « La de Prie, en attendant les contributions qu'elle
devait tirer de France, s'assura de la pension de quarante
mille livres sterling que l'Angleterre donnait au cardinal
Dubois pour les sacrifices que nous faisions à cette cou-
ronne. » [Duclos)
70 Clairamhault-Maurepas.
Reine, par un grand coup d'éclat
Qu'on vous connaisse en France,
Préférez le bien de l'État
A la reconnaissance ;
Que Duvernay, la Prie, Bourbon
La faridondaine, la faridondon,
Partent tous trois pour Chantilty, biribi,
A la façon de Barbari, mon ami.
LES DEUX MINISTRES
GÉMIS, France, gémis, pleure ta destinée.
A de cruels malheurs sans cesse abandonnée,
En perdant ton grand roi, tu perdis ton appui;
Celui qui lui succède et qui règne aujourd'hui,
Est livré par deux fois à d'odieux ministres.
Le premier, n'écoutant que des conseils sinistres*.
D'un projet effréné te fit sentir l'horreur;
Du faux appât du gain colora sa noirceur
Et, voulant absorber tous les biens de nos pères,
Pour des réalités nous donna des chimères.
Son cœur ambitieux, qui nageait dans l'orgueil.
De toutes les vertus fut le funeste écueil,
I. M. le duc d'Orléans Rcgent. (M.)
Année 1^26.
Et, foulant à ses pieds le droit de la nature,
Des forfaits les plus noirs sa vie fut la peinture.
Il est mort satisfait et tranquille au dehors,
Sans crainte, sans effroi, sans marque de remords.
Le ciel, tranchant le cours de son dessein perfide,.
Arrêta les horreurs d'un affreux parricide.
France, combien de fois as-tu pâli d'effroi,
En voyant le danger qui menaçait ton roi !
Heureuse si tu peux en perdre la mémoire.
De ton premier tyran telle est l'affreuse histoire.
Le second ^ , moins fertile en projets captieux,
Beaucoup moins éclairé, voyant par d'autres yeux,.
L'abondance réduit par son âme insensée
Aux avares désirs d'une femme effrontée ^.
Ton peuple demi-mort et pressé par la faim ^,
N'était qu'un faible essai préparé par sa main.
Son avide fureur se nourrit de ses larmes.
Vois tes enfants craintifs au milieu des alarmes
Attester vainement, en réclamant leurs droits.
Le serment solennel du sacre de tes rois^;
Trop légitimes droits qu'efface l'injustice.
Les lois n'ont plus de force oià règne l'avarice.
L'audace d'une femme élude les serments.
Convertit ton sang même en de vains ornements.
1. i\I. le Duc. (xM.)
2. M« de Prie. (M.)
3. On entend parler de la cherté du pain pendant les
mois de juillet et août 1725, (M.)
4. Le roi à son sacre jure entre autres choses de ne mettre
jamais aucun impôt sur le pain. (M.)
jz Clair ambault' AI au repas.
Et, bravant l'infamie en imitant sa mère,
Vend jusqu'au déshonneur de sa flamme adultère.
Que dis-je? c'était peu qu'en proie à sa fureur,
Elle suivît les pas d'un père sans honneur ^
Un malheureux rebut des gardes de tes princes^
Par des maux imprévus accable les provinces;
Vil artisan d'impôts, il est sejl écouté.
Triste choix d'une infâme et d'un prince hébété.
Jouissant autrefois d'une heureuse abondance,
Le laboureur, charmé, flatté par l'espérance.
Ornant avec plaisir ses fertiles guérets.
Cultivait en repos les trésors de Cérès.
Ses troupeaux bondissants au milieu de la plaine,
Du zéphir amoureux sentaient la douce haleine :
Tout croissait à l'envi dans les champs fortunés ;
Mais, depuis que des cœurs au crime accoutumés.
Augmentant tous les jours la misère publique.
Exercent les horreurs d'un peuple tyrannique.
Depuis qu'ils ont osé combler tous leurs forfaits
Par un subside affreux au milieu de la paix^,
N'espère plus revoir tes campagnes fertiles.
Déjà le désespoir accourant dans les villes
D'un déluge de maux te fait sentir le poids.
Thémis de son Sénat emprunte en vain la voix.
Rien ne peut arrêter leur avide licence
Et l'on n'écoute point ses sages remontrances.
1. M. Bertheîot de Pléneuf. (M.
2. Pâris-Duvernay. (M.)
3. Le cinquantième. (M.)
Année 1^26. 73
Tu croyais, mais en vain, qu'un hymen glorieux
Te pourrait amener un siècle plus heureux.
Trop inutile espoir; une indigne alliance
Souille le sang des rois, auteurs de ta naissance.
Mais quoi ! pour te venger ton sort est dans ta main.
Enfonce ton épée au sein d'un inhumain;
Perce, délivre-toi de ce Cyclope horrible^;
Et donne à l'avenir un exemple terrible.
En livrant aux bourreaux le conseil malheureux
Qui te fait éprouver un sort si douloureux.
LA DISGRACE
DU DUC DE BOURBON
Or, écoutez, petits et grands,
L'histoire d'un événement
Qui a surpris toute la France
Quand on a vu tourner la chance
Contre un ministre trop méchant
Qui perdait les honnêtes gens.
I- On a déjà vu que le duc de Bourbon était borgne ;
de là ce surnom de Cyclope qui lui est fréquemment
appliqué.
74 Clairambault- M aurepas.
Ce fut un beau jour de mardi
Que notre jeune roi Louis
Dit à Charost, son capitaine :
Monsieur, prenez tantôt la peine,
Tenant en main votre bâton',
D'arrêter le duc de Bourbon.
Ayant dit ces mots en secret,
Le roi partit pour Rambouillet,
Pendant que le premier ministre,
Ne prévoyant rien de sinistre,
Assis dedans un beau fauteuil,
Travaillait avec de Breteuil.
En cet instant voici Charost
Qui, d'un air modeste et dévot.
Se fait annoncer à l'Altesse
Pour affaire, dit-il, qui presse.
On le reçoit en rechignant.
Mais comme importun seulement.
Ce fut bien pis quand il eut lu
L'ordre du roi très absolu.
I. « Le II juin, le roi ayant invité M. le Duc à venir
coucher à la maison de plaisance de Rambouillet et étant
parti, disait-il pour l'attendre, le duc de Charost, capitaine
des gardes, vint arrêter ce prince dans son appartement;
il le mit entre les mains d'un exempt qui le conduisit à
Chantilly, séjour de ses pères et son exil. Pour M'"*^ de Prie,
elle fut envoyée au fond de la Normandie, où elle mourut
bientôt dans les convulsions du désespoir. » (VOLTAIRE.)
Année 1^26. 75
Cornes lui vinrent à la tête,
Ne s'attendant à telle fête ;
Il fallut pourtant obéir,
Et sans aucun délai partir.
Lorsque sa maudite catin
Apprit le changement soudain,
Pénétrée d'ire et de rage,
Aussitôt elle déménage
Bijoux, perles et diamants,
Et prit congé de ses amants.
Dont le nombre n'est pas petit;
Car la gueuse a bon appétit.
A Chantilly, en diligence,
L'esprit rempli de vengeance.
Elle s'achemine à grands pas.
Méditant sur ce triste cas.
Le Cyclope l'apercevant
L'embrasse très étroitement.
Puis, en jurant de bon courage,
Lui promet de faire la rage
Si jamais il a le dessus
Contre leur ennemi Fréjus'.
I. L'abbé de Fleury, évêque de Fréjus, était très bien
en cour. Il eut une dispute avec M. le Duc, qui tâcha de
le faire exiler, et au contraire ce fut lui qui le fut à Chan-
tilly. (M.)
76 Clairambault-Alaurepas.
Le lendemain de bon matin,
Xouvelle vint pour le certain,
Que le roi redonne la guerre
Au sieur Le Blanc, son adversaire,
Et que les autres exilés
Vont tretous être rappelés *.
Que les quatre frères Paris
Étaient déjà du moins bannis',
Et qu'enfin toute la séquelle
Dont il avait pris la querelle.
Risquait la corde ou le carcan
Pour apaiser les mécontents.
Tout cela n'était encor rien.
L'on tenait assez bon maintien
Jusques à ce que la de Prie
Fut contrainte, toute en furie.
De faire Gille et décamper
Pour aller en exil pleurer.
1. « Dès que ]\L le Duc fut arrêté, on envoya ordre à
M. Le Blanc de revenir, et permission à M. de Belle-Isie
pour son retour... M. Dodun et M. de Breteuil ont donné
la démission de leurs charges, et se sont conduits avec
esprit, fermeté et beaucoup de décence. M, Des Forts est
contrôleur général. » [Corresp. de Marais.)
2. « Les quatre frères Paris, surtout Duvernay, qui était
le conseil de ^L le Duc, sont exilés chacun d'un côté ; on
dit à l'exception de Pâris-Montmartel, garde du trésor
royal. On saura cela plus au juste. Ils doivent être partis
tous quatre cette nuit. » {Journal de Barbier^ 13.)
Année ij2b. J'J
A ce coup, le Cyclope outré,
Frappant du poing son œil crevé,
Maudit cent fois le ministère,
Ne cessant de pleurer et braire
Sur le départ de sa catin,
Qu'on chasse comme mauvais train.
Or, prions le doux Rédempteur
Qu'il change de ce duc le cœur,
Afin qu'il ait repentance
D'avoir tant fait de violence
Pour une gueuse et un fripon
Oui devraient être à Montfaucon.
LE
MINISTÈRE DE M. LE DUC
Mon venin jadis s'écoula
Sur un tyran des plus horribles \
Pour un second Caracalla
Mon venin jadis s'écoula,
Ses noirceurs ma plume étala,
I. Cf. tome IV, p. 252, la pièce qui a pour iiixQlQ Cours
de la Régence.
yS Clair amh auït-Maurepas.
Elle rendit chacun sensible ;
Mon venin jadis s'écoula
Sur un tyran des plus horribles.
Sur un monstre né de l'Etna,
C}'clope cruel et terrible,
Qui, depuis peu, nous opprima,
Comme un monstre né de l'Etna,
Du même feu qui m'anima,
Soufflons des traits inextinguibles.
Quoique petit-fils d'un héros
Prudent, valeureux, invincible,
Tu croupis dans un vil repos.
Quoique petit-fils d'un héros
L'esprit stupide et peu dispos.
Avec la gloire incompatible.
Afin d'assouvir ton dessein.
Ivre d'une humeur jalouse,
Armé d'un poison assassin.
Afin d'assouvir ton dessein
Tu consumes le chaste sein
De Conti, cette jeune épouse^.
Au trépas du Néron françois
Reconnu ministre de France.
I. On dit que M. le Duc empoisonna M^'e de Conti,
sa première femme (M.)
Année 1^26. 79
Après les tragiques abois
Du trépas du Néron françois
Te voyant seul maître des lois
Tu détruisis la confiance.
Tu place au ministériat
Un citoyen d'une âme traître,
Un déserteur, un scélérat.
Tu place au ministériat
Cette âme double; ce forçat
De tous nos trésors se rend maître.
Ton devancier n'a rien laissé
Et d'un chacun la caisse est vide,
En sangsue il nous a sucé :
Ton devancier n'a rien laissé ;
Un autre chemin t'est tracé
Dont ton âme paraît avide.
Tu nous attaques par la faim,
Trop insatiable Tantale,
Tu nous empoisonnes le pain,
Tu nous attaques par la faim ;
D'Ombreval, cet homme inhumain.
S'est rendu chef de la cabale.
Tous tes goulus prédécesseurs,
Quoique pleins de noires envies
Du pillage tous assesseurs,
Tous tes goulus prédécesseurs.
8o C lairamb aul t-AIaurepas.
Par de si terribles noirceurs,
N'attaquèrent jamais nos vies.
Du peuple écoute les clameurs,
Vois le trépas qui l'environne ;
L'un trébuche, l'autre se meurt ;
Du peuple écoute les clameurs ;
Cesse tes injustes rigueurs,
Leur tendresse encor te pardonne.
Qu'entends-je, ô ciel ! est-il certain
Que tout le mal qui nous accable
Vient des ressorts de ta p .'*
Qu'entends-je, ô ciel ! est-il certain ?
Cette élève de l'Arétin,
Dans la luxure infatigable.
Quelles troupes sont en ces lieux* ?
Veut-on nous empêcher de vivre ?
Où vont ces soldats furieux,
Quelles troupes sont en ces lieux ?
Combien ce ministre est affreux !
Au plus cruel sort il nous livre.
Eh quoi ! même pour de l'argent
On refuse la subsistance.
Le boulanger est négligent.
I. Cette année, les soldats aux gardes étaient comman-
dés pour aller dans les marchés de Paris, crainte que le
peuple ne se soulevât. (M.)
Année 1^26.
Eh quoi donc ! au son de l'argent !
Qui peut donc le rendre obligeant,
S'il est sourd à notre finance ?
Voudrais-tu nous anéantir ?
Bourreau, poursuis, finis, achève ;
Partout on entend retentir :
Voudrais-tu nous anéantir ?
Hélas ! qu'en puis-je pressentir ?
Je vois qu'un haut gibet s'élève.
Avec un funeste concours
Quels innocents vont donc s'}^ rendre ?
Plein de fureur un peuple y court
Avec un funeste concours.
Pour vouloir prolonger nos jours,
Barbare, eh quoi ! tu nous fais pendre* ?
Tu viens de choisir pour ton roi.
Cœur lâche, une princesse obscure;
Une reine contre la loi,
Tu viens de choisir pour ton roi,
Mais un chacun se rit de toi,
Voyant son âme chaste et pure.
Ta cruelle brutalité
Pour avilir le diadème
I. Deux manœu\Tes qui furent pendus à la porte
Saint-Antoine, pour s'être récriés et avoir causé une
émeute dans le faubourg, au sujet du prix du pain, (M.)
ClairambauIt-AIaurep,
La prit sans biens et sans beauté,
Ta cruelle brutalité ;
Tu croyais t'avoir attiré
Par là le pouvoir suprême.
Tu t'es flatté d'un espoir vain,
Est-il personne qui n'en rie ?
A présent ton pouvoir est vain ;
Tu t'es flatté d'un espoir vain.
Tu te dépite et jure en vain,
La puissance enfin t'est ravie.
L^n saint prélat t'avait déplu,
Sa douceur te faisait ombrage,
Ta hauteur avait prévalu *,
Un saint prélat t'avait déplu;
I. M. le Duc et sa maîtresse, jaloux de l'influence de
Fleury, avaient intrigxié pour l'éloigner, et l'on put croire
un instant qu'ils avaient réussi, lorsque l'évêque, mécon-
tent d'avoir été exclu du conseil du roi auquel il assistait
toujours, se fut retiré à Issy. Mais le roi fut vivement
affecté de la retraite de son précepteur. « Il aimait en lui,
dit Voltaire, un vieillard qui, n'ayant rien demandé jusque-
là pour sa famille inconnue à la cour, n'avait d'autre
intérêt que celui de son pupille. Fleurj^ lui plaisait par la
douceur de son caractère, par les agréments de son esprit
naturel et facile. Il n'y avait pas jusqu'à sa physionomie
douce et imposante et jusqu'au son de sa voix qui n'eût
subju^é le roi. M. le Duc, ayant reçu de la nature des
qualités contraires, inspirait au roi une secrèterépugnance.»
Le monarque réclama instamment son précepteur et M. le
Duc fut obligé d'écrire lui-même à l'évêque pour le prier
de revenir. Dès lors la disgrâce du premier ministre parut
inévitable, et ne se fit pas longtemps attendre.
Année 1^26. 83
A ta place il vient d'être élu,
Ta fureur en grince de rage.
Un David vient de t'exiler
Comme un Séba rebelle et traître,
Perfide, il te faut défiler,
Un David vient de t'exiler ;
Ta rosse il te faut dételer
Du chariot de notre maître.
Que vois-je, te voilà parti ?
La joie éclate dans la ville ^
Par la décadence abruti.
Que vois-je ? te voilà parti;
I. « Le peuple a été si content de ce changement, qu'on
a été obligé d'empêcher qu'il ne fît des feux de joie dans
les rues, ce qui aurait trop insulté la personne d'un
prince du sang. M. Hérault, lieutenant de police, a écrit
une lettre à tous les commissaires des quartiers de Paris
pour l'empêcher. » [Journal de Barbier., Mais le peuple
se dédommagea par ce que le même annaliste appelle des
polissonneries très fines.
La disgrâce de M. le Duc et l'exil de sa maîtresse et de
ses favoris furent en effet salués par des placards et des
jeux de mots facétieux dont le Recueil Clair atjibaidt nous
a conservé quelques échantillons. On y lit :
Cette afhche posée à tous les coins de rue et sur les che-
mins de Versailles, le jeudi matin 4 juillet 1726 :
Cent pistoles a gagner. Il a été perdu depuis peu, sur le
chemin de Paris à Chantilly, une grande jument de prix
qui suivait un cheval borgne...
Quolibet de la cour : La cour est sans prix.
Gazette 1726 .• Il est arrivé un ouragan à Versailles qui
a fait tomber du faîte de l'arbre le plus haut, un oiseau
84 Clairambault-AIaurepas.
Tu devrais être converti
Par un tel coup, pauvre imbécile.
La p qui, d'un air absolu,
Regardait notre sage reine.
Sa politique a prévalu.
La p qui, d'un air absolu,
Et décamper il a fallu.
Dieu ! qu'elle nous sauve de peine.
D'Ombreval, ce vil proconsul,
Cet oppresseur de l'innocence,
A présent son pouvoir est nul.
D'Ombreval, ce vil proconsul.
Il court au fond de son accul
Suivant la royale ordonnance
Un air plus doux et plus serein
S'écoule jusqu'au fond des âmes
Par le secours de Barbarin,
appelé le Duc. Le trône est tombé sur le Dodun, Pai-is
et la Montagne en ont tremblé, le ,roi a quitté Condé, où
il demeurait depuis trois ans, il va demeurer à Fleury où
il fait bâtir des Forts. Le comte de Charolais s'est perdu
dans une Ile ; tout est Fleury à Paris; les trois quarts du
peuple, de noirs qu'ils étaient, sont devenus Blancs.
Autre nouvelle : On écrit d'Angleterre, qu'en France il
y a eu un orage si furieux que l'on n'y voit plus de Paris,
et que la grêle étant tombée sur le Dodun l'a fait périr à
ne jamais s'en relever, et pour prévenir de pareils ravages,
on a élevé Des Forts. Le calme étant revenu, le ro)^aume
de France est devenu si Fleury, qu'il n'a plus de Prie.
Année IJ26. 85
Un air plus doux et plus serein.
Autorisé du souverain,
Il éteint vos perfides trames.
Poursuis par quelque cruauté,
D'étendre à jamais ta mémoire.
Rends-la digne d'éternité.
Poursuis par quelque cruauté,
Mais songe qu'un être irrité
Par ta mort peut venger sa gloire,
Poursuis par quelque cruauté
D'étendre à jamais ta mémoire.
LE RAPPEL DE LE BLANC
Illustre Le Blanc, je respire :
Le ciel te redonne à nos vœux;
Et désormais nous pouvons rire
Des projets de tes envieux.
I. L'exil de ^1'"° de Prie et des frères Paris eut pour
conséquence immédiate le rappel du secrétaire d'Etat delà
guerre, victime de leurs intrigues. Le jeudi 13, « M. Le Blanc
revint à Paris : M. de Breteuil porta sa démission de
secrétaire d'État entre les mains de M. l'évêque de Fréjus,
et M. Le Blanc est actuellement dans son ancienne place
avec l'applaudissement de tout Paris. On a remarqué
V. 8
86 Clairamhault- Mdurepas.
Ta probité mal reconnue
N'a rien perdu de son éclat :
Tel le soleil perçant la nue
Paraît toujours en même état.
La vertu n'est point offusquée
Par un nuage passager :
Vainement elle est attaquée,
Elle triomphe du danger.
Ce monstre à la quadruple tête
Dont le pouvoir nous enchantait.
Est accablé sous la tempête
Que son audace méritait.
Ainsi s'exprime sans parure
Un cœur de ton mérite épris,
Qui fait de la vérité pure
L'objet de ses faibles écrits.
Ministre respectable autant qu'infortuné,
Le Blanc, à quel revers es-tu donc destiné ?
De l'injustice et de l'envie
J'ai vu le souffle empoisonné
qu'en arrivant à Paris toute sa livrée était neuve, ce qui
fait juger qu'il était averti de ce changement. Le juge-
ment du Parlement à son égard et ce retour-ci le rendent
plus glorieux qu'il n'a jamais été. » {journal de Barbier^
Année IJ26. 87
Attaquer ta gloire et ta vie,
Mais contre leurs projets ton roi te sert d'appui,
Il te rappelle auprès de lui,
. Les cœurs volent sur ton passage
Pour te rendre le juste hommage
Qu'on doit au vrai mérite indignement proscrit.
Et dans nos yeux charmés, ton triomphe est écrit.
Mais quoi ! le ciel aussi contre toi se déclare
Traisnel meurt *, la Parque barbare
Commence en le frappant, à te percer le cœur.
Que dis-je ! ô mortelle douleur !
Jusqu'oii va sa fureur extrême ?
Elle ose s'en prendre à toi-même -.
La cruelle déjà vient de t'ouvrir le flanc
Elle lève sur toi ses plus funestes armes.
Arrête ! respecte Le Blanc.
1. Hier, M. de Traisnel, gendre de M. Le Blanc, mou-
rut de la petite vérole à neuf heures du matin. Il n'était
arrivé de son régiment que le vendredi, il tomba malade
le samedi, et le voilà mort le jeudi suivant, Il avait fait
des actions merveilleuses pour son beau-père qui lui, de
son côté, a eu une faiblesse dimanche dernier, et a une
fièvre lente dont on ne dit pas de bien. » {Corresp. de
Marais, 12 juillet.)
2. Le Blanc avait été vivement affecté de sa disgrâce et
de la mort inopinée de son gendre, mais ce n'étaient pas
les seules causes de ses souffrances. « Il aime la bonne
chère, nous dit Barbier, il a trop mangé à un souper chez
Samuel Bernard, et il en est encore incommodé. » Et
ailleurs : « M. Le Blanc est toujours malade ; on parle d'un
abcès dans le foie. Je crois que son grand mal est d'avoir
une ancienne vér... Les grands hommes au-dessus du com-
mun ont toujours été accusés de débauche. »
88 Clair ambaul t-Aldurep as.
Le prince ^ et les sujets le couvrent de leurs larmes.
Ah ! si tu demandes du sang,
Parmi ses ennemis va choisir la victime :
Pour venger la vertu tu dois punir le crime.
EPITRE
A M. LE PELLETIER DES FORTS^
Fils d'un grand magistrat^, que j'ai toujours guidé,
Et qu'en tous ses conseils Thémis a secondé ;
Veux-tu bien, Pelletier, que mon cœur véridique
Un moment avec toi s'entretienne et s'explique ?
Je porte dans mes mains le destin des mortels ;
,1. « Il est étonnant de voir les attentions du roi pour
M. Le Blanc ; il a défendu aux cent suisses et aux gardes
de battre, ni quand il va à la messe, ni quand il sort, de
peur que le bruit des tambours ne l'incommode. Cela n'est
peut-être jamais arrivé. Et il envoie savoir de ses nou-
velles quinze fois par jour, c'est-à-dire à tout moment. Il
dit que ce sont les tourments qu'on lui a fait subir qui
l'ont mis dans cet état-là. Il lui a fait défense de travailler,
crainte d'altérer sa santé. » {Jour7ial de Barbier)
2. C'est le Génie de la finance qui parle au contrôleur
général. (M.)
3. Michel Le Pelletier de Souzy, père de Des Forts
(1640-1725), avait été avocat du roi au Châtelet, et con-
seiller au Parlement, avant d'entrer dans l'administration
des finances.
Année 1^20. 89
Leur culte en tous climats me dresse des autels ;
J'étends et rétrécis, aux deux bouts de la terre,
Les liens du commerce et les nerfs de la guerre.
Avec tant de pouvoir je n'ai pu, cependant,
De mon affreux destin surmonter Tascendant ;
Quatre frères tyrans, usurpant mon empire,
De mes propres États m'avaient osé proscrire,
Et contre mes rentiers ayant tendu leurs rets.
Ils enveloppaient tout dans leurs vastes filets :
Mais depuis que Louis, plus sensible à mes peines.
De son puissant royaume a pris en main les rênes.
De mes usurpateurs le pouvoir consterné
Avec lui dans l'exil aussitôt s'est borné.
J'ai rentré dans mes droits, et mon premier hommage
Dans un jeune héros reconnaît un roi sage ;
Un roi, dont l'équité se montrant au grand jour,
T'honore d'un suffrage approuvé par sa cour,
Et voulant imiter son bisaïeul Auguste,
Trouve en toi, de ton oncle un successeur si juste.
Sur les nobles sentiers que cet oncle a battus.
Tu vas nous rappeler ses talents, ses vertus^ ;
Ton esprit et ton cœur en portent tous les germes.
Et ta justice encor n'a point connu de termes.
C'est sur ce dernier point que l'on peut augurer
I. Claude Le Pelletier, oncle de Des Forts, avait suc-
cédé à Colbert comme contrôleur général. « C'était, dit
Saint-Simon, un homme fort sage et fort modéré, fort doux
et obligeant, très modeste et d'une conscience timorée. »
Effrayé par les embarras financiers que suscitaient les
guerres de Louis XIV, il résigna ses fonctions en 1689.
po Clairamhault-Maurepas.
Le bonheur qu'aux Français ta main va procurer ;
Prévoir et détourner l'événement sinistre,
C'est remplir dignement l'emploi d'un grand ministre;
Mais, sans cesse et partout rendre à chacun le sien,
C'est faire plus encor ; c'est être homme de bien.
Tout ministre asservi sous cette règle austère,
N'admet point de tribut qui ne soit nécessaire ;
Il grave pour toujours dans son cœur généreux,
Qu'un prince est vraiment grand, quand son peuple est heure
Que son plus cher trésor consiste en sa tendresse;
Qu'il est suffisamment riche par sa richesse ;
Qu'il est de ses sujets père encor plus que roi ;
Et c'est l'opinion qu'un chacun a de toi.
Je conviens. Pelletier, qu'en ces temps difficiles,
Tes bons desseins d'abord paraîtront moins utiles.
La barque confiée à tes soins importants.
Est un vaisseau battu par l'orage et les vents ;
Il faut le radouber, le munir d'autres voiles,
Et régler sa manœuvre au cours d'autres étoiles.
Mais l'art d'un bon pilote au danger paraît mieux;
La gloire sans péril ne frappe point les yeux :
Son éclat le plus beau vient du sein des obstacles,
Et les difficultés enfantent les miracles.
Que te dirai-je encor? A tes vœux tout répond;
La France est un empire en ressources fécond ;
C'est un chêne endurci sous le poids des années;
De verdoyants bourgeons ses branches couronnées
Des aqirilons fougueux ne craignent pas le cours ;
Sa racine est profonde ; il doit durer toujours,
Puisqu'il a soutenu les souffles du Système,
Année 1^26. 91
Et les vents du Visa, plus cruels que lui-même.
Mais quittons la figure, et que la vérité
Montre ici les attraits de sa naïveté.
Tu connais, Pelletier, toute ma destinée ;
Tu sais par quels ressorts la finance est menée ;
Tu sais quel nombre oisif d'inutiles commis
Fut chargé de mes droits par mes quatre ennemis.
Que ta précision écarte la vétille.
Dont partout la finance en ses bureaux fourmille ;
Jette au feu ces cartons artistement rangés.
Où les chiffres souvent en zéros sont changés ;
Montre un noble travail, efface de ta liste
Les gens gagés pour suivre une obole à la piste ;
Garde-toi de donner des millions entiers.
Pour enrichir le roi de cinq ou six deniers ;
C'est par là que bientôt tu peux, sage économe,
Des fidèles Français rétablir le ro3'aume,
Et leur ôter un joug sur leur tête jeté,
Pour nourrir la paresse et l'inutilité.
Efficaces conseils ! déjà par ta prudence
L'ordre et l'arrangement rentrent dans la finance ;
La matière et l'espèce ont de justes rapports.
Et ce sang de l'État engraisse tout le corps ;
Sur tant de coffres-forts confiés à leur zèle,
La crainte et le soupçon ne font plus sentinelle ;
Le commerce attentif en a saisi les clefs,
La bonne foi les offre aux travaux rappelés ;
Un jour clair et serein succède à des nuits sombres,
Et le temps va cacher mes malheurs sous ses ombres.
02 Clair amb aul t-AIaurepas.
L'AVENTURE
DE M. DE MONTEMPUIS-^
Question rare et nouvelle
Pour les savants de Paris ;
Dira-t-on mademoiselle,
Ou monsieur de Montempuis
Hé ! allons, ma tourlourirette,
Hé ! allons, ma tourlourirou.
Malgré la philosophie,
Il fut tenté l'autre jour
D'aller à la Comédie ^
Entendre parler d'amour.
1. Chanson nouvelle sur l'aventure facétieuse et véri-
table du sieur Montempuis, chanoine de Notre-Dame,
ci-devant recteur de l'Université, et professeur de philoso-
phie au collège du Plessis, lequel ayant été tenté d'aller à
la Comédie, se déguisa en fille, et fut conduit en cet
équipage chez le lieutenant de police. Décembre 1726.
(M.) — Cette aventure, qui fit grand bruit, donna nais-
sance à plusieurs pièces satiriques assez peu différentes
les unes des autres. Il nous a paru suffisant d'imprimer la
plus longue, qui est en même temps la plus spirituelle.
2. « Cet homme qui n'avait jamais perdu sa gravité,
remarque Barbier, n'avait jamais été au spectacle. Il lui a
pris envie d'aller à la Comédie, mais il a cru être désho-
noré d'y être reconnu soit en habit long, soit en manteau
Année 1^20. 93
Il succombe en janséniste
A cet attrait séduisant ;
Voulez-vous qu'il y résiste ?
Hélas ! il est appelant.
court. Il a voulu se bien déguiser. » Toutefois, s'il faut
en croire Marais, M. de Montempuis fut porté à ce tra-
vestissement qui lui devint si funeste par un mobile des
moins honorables. Voici en effet ce que nous lisons dans
sa Correspondance : « Il était avare, il trouva une occa-
sion d'aller à la Comédie pour rien; on lui donna un
billet de vingt sous, mais on se moqua de lui, et on lui
dit que c'était un billet pour une femme, et qu'il n'avait
qu'à se déguiser en femme : ce qu'il fit pour gagner vingt
sous ; vous savez le reste. Voilà comme on conte l'his-
toire, car il n'est point fou, ou il ne l'a été qu'en ce mo-
ment. Le chapitre de Paris dit qu'ils l'auraient voulu voir
venir le lendemain au chœur en habit d'Arlequin. On dit
qu'il volait les bouts de chandelles dans les lanternes en
Sorbonne, Tout cela est vilain. » — Et ailleurs, répon-
dant aux réflexions de son ami Bouhier, il ajoute : « Je
prédis comme vous à Momus et ses adhérents quelque
mauvaise catastrophe ; ils abusent visiblement de la pro-
tection qui leur a été donnée contre le ridicule ; il est
temps d'y mettre ordre. La chanson contre le Montem-
puis ne tient pas mal son coin dans la calomnie ; il n'a
point été permis de lui donner une aventure avec une
fille qui lui donne ses habits et lui son cœur, et encore
moins de dire que ses devanciers chez les nonnes les
mieux closes entraient en ja->-dinîers. Voilà M. de Pont-
Château bien marqué ; il a été dix ans jardinier à Port-
Royal, et est mort en odeur de sainteté. M. Dodart, mé-
decin, lui fit une épitaphe merveilleuseque vous trouverez
au Nécrologe de Port-Royal ; et quarante ans après sa mort
le voilà chanté et déshonoré. Le couplet de l'Université,
fille aînée de nos rois, que le recteur a voulu représenter,
est une plaisanterie très vraie, et à laquelle on ne pou-
vait pas résister. On attribue cette chanson au P. Du
Cerceau qui la désavoue. » [Corresp. de Marais.)
P4. Clairambaul t-AIaurepas.
De peur, dit-il, de scandale,
Faisons tout à petit bruit.
Sévère est notre morale.
Mais plus le jour que la nuit.
Il faut que je me déguise
Pour n'être point reconnu ;
On peut tout faire à sa guise
Quand on peut n'être point vu.
De quelque jeune dévote
Empruntons le cotillon ;
Sous sa coiffe et sa capote
J'aurai l'air émerillon.
Une voisine gentille ^
Attife l'ample recteur :
J'ai, dit-il, ma chère fille,
Votre habit, et vous mon cœur.
Cette robe est plus légère
Que celle du rectorat.
I. L'épisode de la voisine fut inventé à plaisir pour
ajouter encore au ridicule de Montempuis. On lit, en
effet, dans Barbier : « Il n'a confié son secret à per-
sonne. Pour cela, il a trouvé dans un vieux coffre les ha-
bits de sa grand'mère, manteau, jupe, écharpe et cornettes
très hautes, tandis qu'on les porte très basses. Il s'est
affublé de ces habits de femme sans songer à l'extrava-
gance de son habillement par la différence de ceux qui
Année IJ26. 95
Que ne puis-je me défaire
De même du diaconat ! —
Ne craignez point de paraître,
Lui dit-elle, sous cet habit ;
Qui pourrait y reconnaître
Un chanoine de Paris ?
En ceci, moi qui vous aime,
Je ne trouve point de mal.
Pour faire plus tôt carême
Avançons le carnaval. —
Il ne fut pas nécessaire
De le farder avec art,
Les gens de morale austère
Ne manquent jamais de fard.
sont d'usage et de mode. » La même assertion se retrouve
dans une chanson qui diffère par ce seul détail du texte
que nous publions :
Sa grand'mère lui laissa
En mourant sa garniture ;
Prudemment il la garda
Pour si belle conjoncture.
L'habit fait depuis cent ans,
Le corset et la ceinture.
Les bracelets et les gants,
Le jupon et la chaussure.
Il manquait à ces atours
Le galon et la broJure ;
Mais jadis, même à la cour,
On n'avait point de dorure.
^6 Clairambault-Mdurepas.
Dès qu'on vit dans une loge
Cette nouvelle beauté,
Maints petits maîtres délogent
Et volent de son côté ^.
Chacun jouait de la prunelle,
Tel faisait l'amant transi
Et disait : Pourquoi la belle
Vous emmitoufler ainsi ?
Venez-vous ici sous cape
Rire de tous vos amants ?
Vous allez à cette trape
Prendre un tas de soupirants.
Mais la belle accoutumée
Aux arguments irlandais^,
Se trouva déconcertée
D'entendre parler français.
Peu faite aux tendres fleurettes
Parlant ab hoc et ab hac,
Elle fit dans ses cornettes
La scène de Pourceaugnac.
1. « Des gens ont trouvé cette figure extraordinaire,
ont descendu au parterre, en ont averti d'autres; enfin on
a regardé mon homme, et les gens du parterre ont fait
un tapage de tous les diables, suivant la louable coutume
quand quelque chose déplaît au parterre. » {Journal de
Barbier)
2. Allusion au collège des Irlandais.
Année 1^26. 97
Plus elle fit de grimaces,
Et plus on voulut savoir;
Voici, dit quelqu'un, des traces
De la barbe et du rasoir.
Lors la feinte demoiselle,
Prenant un ton de fausset,
Dit : L'insulte est trop cruelle.
Il faut lever le piquet.
Aussitôt la spectatrice
Attirant tous les regards,
Devient elle-même une actrice.
On criait de toutes parts.
Enfin sous l'habit de fille
Est reconnu Montempuis.
C'est en vain qu'un loup s'habille
De la peau d'une brebis.
De là la troupe femelle
Tire ce fort argument :
Donc au plus juste et fidèle
La grâce manque souvent.
Le chanoine hermaphrodite
A la police est cité ^
I. « L'exempt a su que c'était un homme déguisé en
femme ; il a monté en haut, il a fait sortir l'homme, l'a
mis dans un fiacre et l'a conduit chez M. Hérault, lieute-
nant de police, qui n'était pas alors chez lui. C'est son
V. 9
o8 Clairambault-Maurepas.
Et les archers de sa suite
Criaient à la rareté.
Quelle étrange catastrophe !
Chez le fléau des filous^
On conduit le philosophe
Dans un carosse bien doux.
Oh ! dit-il, les bons apôtres,
Qui prêchent un état parfait.
Quoi ! les uns après les autres
Je vous prends tous sur le fait.
En vain vous baissez la tête
Mademoiselle de Montempuis ;
Au poil on connaît la bête,
J'ai fait mon cours au Plessis.
Sans doute ainsi tignonnée
Vous avez représenté
premier secrétaire qui l'a reçu et qui me l'a dit. Jamais
homme n'a été plus fâché, ni plus interdit de la sottise
qu'il avait faite. Le secrétaire a prévenu M. Hérault du
caractère de cet homme, dont la figure était, dit-on, des
plus risibles. On le renvoya chez lui, on lui promit même
de ne point dire son nom, mais tout Paris l'a su... On
ne dit point que l'esprit ait tourné à cet homme. 11 ré-
pondit, et parla de très bon sens chez M. Hérault, mais
avec une confusion extrême, contant son dessein et l'idée
qu'il avait eue d'être bien caché de cette manière. Quand
une pareille sottise arrive à un homme aussi sage, on peut
bien en excuser d'autres. » {Journal de Barbier^
I. M. Hérault, lieutenant de police.
Année iy26. 99
De nos rois la fille aînée
Dame de l'Université.
Oh ! que dira Louis-Antoine ^
Quand il apprendra ce cas ?
C'est lui qui l'a fait chanoine :
Non, il ne le croira pas !
Que diront les molinistes-
Et leurs commodes docteurs ?
Vous blâmez leurs casuistes,
Ils revivent dans vos moeurs.
Le goût des métamorphoses
Vous vient de vos devanciers.
Chez les nonnes les mieux closes.
Ils entraient en jardiniers ■\
1. Le cardinal de Noailles. (M). — Le cardinal se montra
peu satisfait du ridicule encouru par un de ses chanoines,
et le punit, quoique assez légèrement, de sa folle équipée.
« On l'a envoyé, décrit Barbier, en vertu d'une lettre de
cachet, dans un couvent de province. — Il est revenu en-
suite de son exil, peu de temps après, et est dans le cloître
Notre-Dame , avec quelque différence néanmoins des
autres chanoines. »
2. Barbier nous apprend que « les jésuites ont été
charmés de cette aventure arrivée à un janséniste. » Peut-
être même n'étaient-ils pas complètement étrangers aux cou-
plets railleurs qui furent prodigués à l'imprudent chanoine.
3. Richard Mimitolo, conte de La Fontaine. C'est Maret
de Lamporechio. (M). — Marais, transcrivant ce couplet,
l'accompagne de cette réflexion : « On m'en a dit un
bien mauvais contre Port-Royal, qui va devenir un vau-
deville calomnieux. » (Cf. p. 93, fin de la note.)
lOO Clairamb ault-Maurepas.
L'on a vu vos solitaires
Et de Paris et d'On^alS
En habit de mousquetaires
Changer l'habit monacal.
Pour grossir la kyrielle
Des appelants de Paris,
On joindra mademoiselle
A monsieur de Montempuis.
Hé ! allons, ma tourlourirette,
Hé ! allons, ma tourlourirou.
EPIGRAMMES DIVERSES
SUR LE ROI-
Vous avez l'humeur sauvage,
Mais le regard séduisant :
1. Abbaj-e située dans le Luxembourg, de l'ordre de
Cîteaux, dont plusieurs moines ont jeté le froc aux orties,
comme les chartreux de Paris. (M). — L'abrégé chrono-
logique explique ainsi les faits travestis par le poète : « La
vexation qu'on fait aux chartreux, au sujet de la Consti-
tution, en oblige trente à se retirer en Hollande, où ils se
rassemblent pour y vivre selon leur règle. Environ quinze
religieux d'Orval sont obligés de prendre le même parti,
avec la permission toutefois de leur abbé, qui leur donne
secrètement tout ce qui est nécessaire pour leur voyage, »
{Sept. 1725.)
2. Par la maréchale de Villars. (M.)
Année iy26. loi
Avec un si beau visage
Serez-vous indifférent ?
Si l'amour veut vous séduire
Cédez, ne disputez rien;
On a fondé votre empire
Bien longtemps après le sien.
SUR LA REIXE
Les dieux vous ont conduit
Au printemps de votre âge,
Sans beauté.
Quand on a fait ainsi
L'on a son pucelage
Sans rareté.
Et l'on couche avec vous, pauvre reine, je gage,
Sans curiosité ^
I. L'auteur de l'épigramme était assurément mal in-
formé, puisque M. le Duc écrivait au roi Stanislas le len-
demain du mariage : « Le Roi s'est allé coucher chez la
Reine, et lui a donné pendant la nuit sept preuves de
sa tendresse. C'est le Roi lui-même qui a envoyé un
homme de sa confiance pour me le dire et me l'a ré-
pété, »
V. 9
I02 Clairambault-Maurepas.
SUR LE GOUVERNEMENT^
Le Blanc est arrivé, cessez, triste chaos;
Paraissez, règlements; roi, daignez vous instruire
Pour établir notre repos.
Le Cyclope enfermé rassure votre empire.
Coulez, grâces, coulez.
Fuyez, ministre odieux ;
D'un hymen trop honteux pour réparer l'injure,
Reine, enfante un Dauphin ou te mets en clôture,
Vivez, Fréjus, vivez si l'on nous paye mieux.
SUR DEUX TRAITANTS
Dieu est né entre deux bêtes,
Il est mort entre deux larrons,
Il est juste qu'à sa fête
Il ait de pareils compagnons^.
1. Parodie des premiers vers du prologue des Quatre
Éléments. (M.)
2, Ces vers ont été faits au sujet de deux traitants des actes
des notaires qui ont porté le dais à Saint-Thomas le jour
de la fête de Dieu. L'un de ces deux traitants s'appelle
Anguier. (M.)
Année 1^26. 103
SUR
l'archevêque de tours^
L' APOTRE de Touraine,
Prêchant un bon curé,
L'honora pour étrennes
D'un discours préparé :
Signez la bulle, sot !
C'est ainsi qu'il l'exhorte,
Et pour péroraison, don, don :
B... tu signeras, la, la;
Ou le diable m'emporte!
Le curé de village,
A ce doux compliment,
Sans changer de visage,
Reprit naïvement :
Dieu nous garde tous deux
D'un sort si déplorable.
Au moins, sans compagnon, don, don.
Vous seul, mon cher prélat, la, la,
Pourrez aller au diable.
I. Louis-Jacques Chapt de Rastignac, archevêque de
Tulle, en 1722, et de Tours en 1723, fut l'un des plus
actifs défenseurs de la bulle Unigenitus.
<^^.:^%^^^^^^^^^
ANNEE 1727
LES
QUATRE VERTUS CARDINALES
Du précepteur,
Doux, dévot, bénin, pacifique.
Du précepteur,
Chantons les vertus, le bon cœur.
Le bien de la chose publique
Est l'objet et l'étude unique
Du précepteur.
A sa douceur.
Fut-il jamais rien comparable
A sa douceur?
Quand on bannit le gouverneur \
Il fuit, il est inconsolable ;
I. L'exil du maréchal de Villeroy, gouverneur du roi. (M.)
io6 Clairamhault-Maurepas.
S'il reste, on en est redevable
A sa douceur.
D'un air bénin,
Il se voit barrer la barrette ^,
D'un air bénin.
Sans montrer ni fiel ni venin,
L'obstacle bientôt fait retraite - ;
Puis il reçoit la sainte emplette
D'un air bénin.
C'est un dévot,
Égorge-t-on mille familles.
C'est un dévot.
Il n'en soufflera pas un mot.
Livrant sans pain veuves et filles
Aux chastes aumônes des drilles.
C'est un dévot.
Tout pour la paix,
Quoi que dise et veuille la bulle,
Tout pour la paix.
Si quelqu'un ose dire : Mais !
1. A la chute de M. le Duc, Fleury n'était pas encore
cardinal ; le ministre avait intrigué à Rome po\ir qu'on
ne lui envoyât pas la barrette. « Lorsqu'elle arriva, dit
Voltaire, Fleury la reçut avec la même simplicité appa-
rente qu'il avait reçu la place de premier ministre, et qu'il
dirigea toutes les actions de sa vie. »
2. L'exil de M. le duc de Bourbon. (M.)
Année I'J2J. 107
Il fait la guerre à l'incrédule
Jusques au fond de sa cellule.
Tout pour la paix.
LE GENIE DE DES FORTS
Du grand Des Forts
Admirons le rare génie ;
Du grand Des Forts
Bénissons les heureux efforts.
Nous allons voir notre agonie,
Céder à l'adresse infinie
Du grand Des Forts.
Après six mois
De méditation profonde,
Après six mois.
Retranchons, dit-il, deux de trois ^
I. « M. Le Pelletier Des Forts a fait un beau présent
aux sujets du roi pour son arrivée dans le ministère. Il a
retranché les rentes viagères, sous prétexte que la plupart
avaient été constituées en papier, et même qui provien-
nent des anciennes rentes; on a fait différentes classes. Ce
coup a fait beaucoup crier, parce que, dans le dérangement
du système, c'a été la ressource de presque tous les pères
de famille qui ont distribué des fonds sur la tête de leurs
enfants pour avoir du moins un revenu pour subsister. »
{Jotirnal de Barbier)
:o8 Clair ambault-Maurepas,
Il me faut ma dépense ronde,
Dût périr de faim tout le monde,
Après six mois.
On t'attend là.
Écolier en fait de finance.
On t'attend là.
En moins de temps on chassera
L'inventeur de l'extravagance
D'une recette sans dépense ;
On t'attend là.
Des Forts, de son mérite épris.
Va, disant d'un ton d'arrogance :
Sous mes prédécesseurs on n'entendait que cris,
Que murmures, que remontrance.
Ces gens-là n'étaient pas au fait de la finance.
Mais grâce au ciel, sous moi, la France
Ne souff"re plus et ne dit mot. —
Étonné d'un orgueil si cruel et si sot,
Quelqu'un lui dit : Sais-tu pourquoi ce grand silence
Je vais te l'apprendre, maudit bardot,
Bourreau^ d'un peuple doux autant qu'il est fidèle.
Voici le fait, écoute bien :
I. L'auteur veut sans doute faire allusion au Bi'evet de
bourreau du régiment de la Calotte^ qui fut octroyé à
Des Forts, aussitôt après l'édit des rentes.
Année i
J2J, 109
Quand on le tond, le mouton bêle
Quand on l'écorche, il ne dit rien.
LES AUTEURS
DE L'ÉDIT DES RENTES
Les Paris étaient des filous,
Messieurs, on vous l'accorde,
Mais le Des Forts est entre nous
Plus digne de la corde;
Très dur, très vain, très ignorant.
En un mot l'on ajoute
Qu'il prend soin du gouvernement
En faisant banqueroute.^
Pour garder Des Forts contrôleur.
Faut-il ruiner la ville ?
Fleury, déplacez ce voleur,
Vous êtes trop facile ;
Ou le Visa dont tout le monde
Encore se lamente
Sera regardé comme bon
Près de l'édit des rentes^.
I. « L'édit de la réduction d^s rentes viagères et l'arrêt
V. 10
Clair ambault- AI au repas.
Sardanapale maréchal*,
Dieu de la maltôte,
C'est donc sur ton avis banal
Que ma rente l'on m'ôte
De deux sodomistes pareils
Le destin me soulève :
Faut-il voir d'Huxelles aux conseils
Et Deschaufours en Grève ^!
Par toi le nom français flétri,
Rendit Hoschtedt insigne,
Général couvert de mépris ^,
Ministre plus indigne.
Ainsi, dans les conseils du roi.
Les avis que tu donnes
De manquer au public de foi,
Ne surprennent personne.
portant réduction des charges employées dans les États
du roi ont mis la consternation dans toutes les familles. »
{Corresp. de Marais.)
1. Le maréchal Du Blé d'Huxelles. (M.) — Quelques
lignes de Saint-Simon expliquent et justifient les attaques
du chansonnier contre le maréchal. Il était, dit-il «pares-
seux, voluptueux à l'excès, en toutes sortes de commo-
dités, de chère exquise, grande, journalière, en choix de
compagnie, en débauches grecques dont il ne prenait pas
la peine de se cacher, et accrochait de jeunes officiers qu'il
adomestiquait, outre de jeunes valets très bien faits, et
cela sans voile, à l'armée et à Strasbourg. »
2. Il fut brûlé par jugement des commissaires du con-
seil du 24 mai 1726, pour crime de sodomie. (M.)
3. Ce couplet vise Tallard, le vaincu de Hochstedt.
Année i'j2'j. m
Pour toi, fanfaron de Villars,
Que barbouilla de gloire
Un des plus fortunés hasards
Et jeux de la victoire,
Ton bonheur ne t'exempte pas
De cette ignominie
Qui suit l'avare à chaque pas
Et qui ternit ta vie.
LE CONCILE D'EMBRUN^
Viens au secours de ton église,
Divin pasteur,
Délivre-la de l'entreprise
D'un séducteur,
I. « Le roi ayant permis à l'archevêque d'Embrun d'as-
sembler un concile provincial à Embrun, pour y traiter
et discuter des affaires qui intéressaient la religion et les
dogmes de la foi, l'ouverture de ce concile s'étant faite le
l6 août, l'abbé d'Hugues, promoteur, y ayant dénoncé
l'instruction pastorale de l'évêque de Senez, du 28 août
1726, comme contenant des maximes séditieuses et des
erreurs capitales, comme étant injurieuse à la bulle Uni-
genitus, et comme recommandant la lecture du li\Te des
réflexions morales du P. Quesnel, défendue par cette bulle
et par le corps des évêques ; et l'évêque de Senez ayant
reconnu cette instruction pastorale pour être émanée de
lui, et ayant soutenu que les propositions qu'elle conte-
Clairambault-Maurepas.
D'un vil esclave de Mammon
Qui la déchire,
D'un homme sans foi, d'un Simon,
De Tencin, c'est tout dire ^
Confonds son indigne concile
Et ses desseins;
Venge l'honneur de l'Évangile
Et de ses saints,
Vois les pères d'Embrun : grand_Dieu,
Quel assemblage !
Allons-nous d'Éphèse en ce lieu
Revoir le brigandage - ?
nait étaient conformes à ses sentiments, desquels il
croyait ne pas pouvoir se départir, le concile rend, le 20
septembre, une sentence qui condamne l'instruction pas-
torale de Mg"" l'évêque de Senez, comme schismatique et
remplie d'erreurs ; ordonne que l'évêque qui l'a adoptée
et signée, et n'a pas voulu la rétracter, sera suspendu de
tout pouvoir et juridiction épiscopale. » {Journal histo-
rique du 7-ègne de Louis XV.)
1. L'abbé Tencin avait été nommé archevêque d'Em-
brun en 1724. Il fit condamner son sufîragant, Soanen,
poussé tout à la fois par l'ambition du chapeau et par les
conseils du cardinal Fleur}', désireux de triompher par un
exemple sévère de la résistance des prélats jansénistes.
Le marquis d'Argenson l'appelait, non sans raison, « le
fléau des honnêtes gens, simoniaque, incestueux, mauvais
citoyen, déshonoré et honni de tous ».
2. Les historiens ecclésiastiques ont flétri du nom de
brigandage., le concile d'Ephèse, présidé par Dioscure, qui
proclama l'orthodoxie d'Eutychès, et déposa l'évêque de
Constantinople, Flavien, qui avait fait condamner les
théories de l'hérésiarque. Comme Flavien avait appelé de
Année IJ2J. 113
Dignes élèves des écoles
De Loyola,
Les Lafitaux ^, les Malissolles -
Vont briller là.
Que veulent ces dignes prélats?
Que vont-ils faire?
Ce qu'autrefois firent Judas,
Caiphe et son beau-père.
L'un d'eux a voulu rendre à Rome
Saint Paul suspect,
L'autre est digne neveu d'un homme
Qui, sans respect
Pour les édits du roi mineur.
Eut l'insolence
ce jugement inique au pape, Dioscure, au dire d'Évagrius,
maltraita ce prélat avec une telle violence qu'il mourut
peu de jours après. (An 449.)
Ces tristes scènes faillirent se renouveler à Embrun.
« Les théologiens, lisons-nous dans Marais, ont été in-
sultés, chassés du concile. Le prélat lui-même a été obligé
d'en sortir, et traité comme s'il était prévenu de crimes.
En un mot, dit une lettre qui vient de paraître, du 29
août, toutes les lois des jugements et de l'équité naturelle
ont été ouvertement violées ; ce sont autant de titres qui
assureront au concile d'Embrun dans la postérité, celui
de conciliabule et de brigandage. »
1. Pierre-François Lafitau (1685-1764), qui avait joué un
rôle actif dans la négociation du chapeau de Dubois,
était, depuis 1719, évêque de Sisteron. II a laissé de nom-
breux écrits, dont l'un des plus utiles aujourd'hui est
\ Histoire de la Constitution Unigenitus.
2. François Berger de Malissol, évêque de Gap, de 1706
à 1738.
V. 10.
114 Clairambault-AIaurepas.
D'en appeler au roi majeur,
Chose inouïe en France ^.
On met dans ce complot funeste
Ce grand prélat,
Qui doit aux fureurs de la peste
Tout son éclat - ;
Il serait plus pur et plus grand
Sans l'abbaye
Qu'il demanda pour payement
Des risques de sa vie^.
Tous les pontifes que la bulle
Fait assembler,
Courent au conciliabule
Se signaler
Contre nos saintes libertés
Et l'innocence;
Qu'ils vont faire d'iniquités,
Sûrs de leur récompense.
1. L'évêque d'Apt, Ignace de Foresta, avait publié, en
1717, un factum intitulé : Appel du roimmeur au roi ma-
jeur de la déclaration du 7 octobre. Le Parlement de Pro-
vence condamna cet écrit au feu, en faisant remarquer
que le titre était une attaque au principe de la royauté,
puisqu'il infirmait le pouvoir du Régent.
2. Henri-François de Belzunce, de Castelmoron, évêque
de Marseille.
3. Belzunce refusa l'évêché de Laon (conférant le titre
de duc et pair) et l'archevêché de Bordeaux, qui lui furent
offerts en récompense de son dévouement ; il accepta, tou-
tefois, deux riches abbayes, mais sans les avoir sollicitées.
En 1731, Clément XII le décora an pallium.
Année 1^2^. 115
Que tout est ici canonique !
Douze brigands ^,
L'opprobre du nom catholique
Et de ce temps,
Sont triés pour perdre un pasteur
Irréprochable -.
Renverse, ô divin Rédempteur,
Ce projet exécrable !
Par une auguste compagnie
Examiné,
Tencin, leur chef, pour simonie
Fut condamné 'K
1. Les évêques convoqués à Embrun, étaient au nombre
de quatorze : de Vaccon (Apt) ; de Moncley (Autun) ; Du
Doucet (Belley) ; de Castellane (Fréjus) ; Malissol (Gap) ;
Berton de Grillon (Glandèves) ; d'Anthelmi (Grasse) ; de
Caulet (Grenoble) ; Belzunce (Marseille) ; Lafitau (Siste-
ron) ; Alexandre Milon (Valence); de Bourchence (Vence) ;
de Villeneuve (Viviers).
2. « L'accusé, dit à ce propos Barbier, l'évêque de Senez
est le P. Soanen de l'Oratoire, qui a prêché toute sa vie
avec grand éclat, qui a quatre-vingts ans, et qui, dans son
évêché, menait une vie exemplaire, et en apôtre donnait
tout aux pauvres, et était continuellement en visite. Voilà
ce qui révolte. » Et Marais : « On a fait une plaisanterie
d'un soldat de la garnison d'Embrun, qui écrit à sa
femme : Nous sommes toujours à Embrun à garder le
concile de Trente. Je ne sais pas ce qu'on y fait : On dit
qu'ils sont quinze diables qui veulent faire peyidre un saint. »
3. Le Parlement avait condamné, en 1721, l'abbé de
Tencin, « comme simoniaque et confidentiaire, à perdre le
prieuré de Marlou, qu'il avait fait unir à l'abbaye de
Vézelay, et qu'il possédait sous le nom de son frère. » [Mém.
de Marais.)
Clairamhault-Maurepas.
Quel siècle autre que celui-ci
Et quelle ville
Vit jamais un homme flétri
Président d'un concile?
Toujours Tencin souhaita d'être
Pécunieux,
Ainsi que Simon, son cher maître ;
Mais, à ses vœux
Longtemps la fortune parut
Inexorable,
Suivit l'agiot qui lui fut
Tout à fait favorable.
Bientôt, pénétrant du système
Tous les projets,
Il en étonna l'auteur même
Par son progrès,
Et l'on peut, sans crainte de faux,
A sa science
Imputer la moitié des maux
Que Law a faits en France.
Tencin devint un magnifique
Agioteur
Et fit de Law un catholique
Plein de ferveur;
Law eut toute la piété
D'un bon apôtre ;
imin imp Edit
Année l'J2'j. 117
Tencin vit son bien augmenté
Par les débris du nôtre.
Jadis tout clerc faisant négoce
Etait proscrit
Comme indigne du sacerdoce
De Jésus-Christ.
La France, hélas ! au déshonneur
De l'Évangile,
Voit un infâme agioteur
Président d'un concile.
Prends pour toi, Tencin, ce que Pierre
Dit à Simon :
Si tu méprises le tonnerre,
Quel abandon !
Romps, crois-moi, tous les nœuds qu'a faits
Ton injustice.
Ou tu vas tomber pour jamais
Au même précipice.
Te passerai-je sous silence,
Sœur de Tencin ^,
I. Claudine-Alexandrine Guérin, marquise de Tencin
(1681-1749), dut d'abord à ses galanteries et plus tard à
ses écrits une grande notoriété. Après avoir embrassé la
vie religieuse, par suite du mince patrimoine paternel, elle
protesta contre ses vœux, et obtint de passer comme cha-
noinesse au chapitre de Neuville, près Lyon. Mais elle le
quitta bientôt pour venir habiter Paris, où l'abbé, son
frère, la mit à la tête de sa maison, et elle se mêla à
Ii8 Clair amhault-Maurepas.
Monstre enrichi par l'impudence
Et le larcin ?
Vestale ^ peu rebelle aux lois
De Cythérée,
Combien méritas-tu de fois
D'être vive enterrée ?
Chez toi toujours, vieille Rhodope,
Furent reçus,
Les favoris de Calliope
Et de Plutus - ;
toutes les intrigues de la Régence, uniquement inspirée
par le désir d'élever son frère aux plus hautes dignités
ecclésiastiques. « Elle reporta sur lui, dit Duclos, toute
l'ambition qu'elle aurait eue, si son sexe la lui eut per-
mise. Je l'ai beaucoup connue; on ne peut pas avoir plus
d'esprit ; elle avait toujours celui de la personne à qui
elle avait affaire. Le génie des plus habiles intrigantes
s'éclipsait devant celui de la Tencin. Elle était très jolie
étant jeune, et conserva, dans l'âge avancé, tous les agré-
ments de l'esprit. Elle plaisait à ceux mênie qui n'igno-
raient rien de ses aventures. » La mort de Dubois, dont
elle avait su capter la faveur, mit un terme à ses intrigues
politiques ; elle se consacra, dès lors, à ses relations de
société, et réunit dans son salon, l'un des plus brillants du
xviii^ siècle, l'élite des gens de lettres du temps.
1. Elle* avait été religieuse et fait profession dans le
monastère de Montfleur}- en Dauphiné. Elle obtint un res-
crit en cour de Rome pour être relevée de ses vœux, et
comme il était subreptice et rendu sur un faux exposé, il
ne fut point fulminé. Çsl.)
2. Les plus connus de ses amants furent, parmi les écri-
vains : La Motte, Fontenelle, Arouet ; et, parmi les hommes
politiques : le Régent, Dubois, d'Argenson, Bolingbroke,
d'Argental et Destouches Canon, dont elle eut un fils, qui
fut d'Alerabert.
Année 1-2^. 119
Jamais ta belle âme à l'argent
Ne fut rebelle ^,
Et ce ne fut que l'indigent
Qui te trouva cruelle.
Ecoute une preuve, elle est vraie
Sans contredit;
Tant que l'insensé la Fresnaye -
Eut du crédit,
Tant que chez lui l'argent roulait,
Il sut te plaire.
N'eut-il plus rien, un pistolet
Vint bientôt t'en défaire.
Tu diras sans doute, âme noire,
Qu'il se tua"'.
1. Duclos affirme le contraire : « Nullement intéressée,
elle regardait l'argent comme un moyen de parvenir, et
non comme un but digne de la satisfaire. Elle n'a jamais
joui que d'un revenu très médiocre, et ne voulait de ri-
chesses que pour son frère, afin qu'elles pussent aider à
l'ambition. Elle était d'ailleurs très serviable, quand elle
n'avait point d'intérêts contraires. »
2. La Fresnaye, conseiller au Grand-Conseil, son amant,
qui s'est cassé la tête d'un coup de pistolet. C'est lui qui
a été député du Conseil pour faire le compliment au roi
sur son mariage. (M.)
3. Ce La Fresnaye, grand agioteur de son métier et
personnage peu sympathique, était allé se tuer chez son
ancienne maîtresse, en laissant un testament qui faisait
planer sur elle un soupçon d'assassinat. M'"*^ de Tencin
fut arrêtée et le Châtelet instruisit son procès. Mais le
Grand-Conseil, saisi de l'affaire, grâce au crédit de l'abbé,
la reconnut innocente et condamna la mémoire du défunt.
I20 Clairauibault-Maurepas.
Sans examen je veux le croire
Que fait cela?
Si, nu par ta rapacité
Il s'extermine
C'est toujours dans la vérité
Ta main qui l'assassine.
Je connais bien d'autres victimes,
Ame sans foi,
Que vous égorgez par vos crimes
Ton frère et toi.
Vos noires fourbes font périr
De saintes filles,
Dont les biens servaient à nourrir
Mille pauvres familles.
Pour Tencin, la pourpre romaine
A des appas ^,
Le chemin qu'il a pris y mène
Vos renégats.
De Dubois il a les vertus
Et l'opulence;
11 soutient X Unigeiiitus,
Il doit être Eminence -.
1. Voltaire, parlant du cardinalat, dit avec autant d'esprit
que de malice : « C'est une qualité étrangère à l'Église
et à l'Etat, que tout ecclésiastique romain à portée de
l'obtenir poursuit avec fureur, que les papes font long-
temps espérer pour avoir des créatures, et que les rois
honorent par une ancienne coutume qui tient lieu de rai-
son et même de politique. »
2. 11 devint, en effet, cardinal, en 1739.
Année ij2j.
Pour sa sœur, qu'elle aille à Cythère ;
Ce seul endroit
Peut lui fournir le monastère
Qu'il lui faudroit;
Elle est un peu vieille à présent
Pour chanoinesse,
Mais des novices du couvent
Elle sera maîtresse.
Enfin se conclut le mystère
D'iniquité ^:
Le coupable juge un saint père,
• Quelle équité !
Droit canon, droit des gens et foi
Sont en souffrance ;
Ciel, sois attentif à ma voix
Et venge l'innocence.
Prélats, verrez-vous sans vous plaindre
Un saint proscrit.''
Que n'avez-vous pas tous à craindre
Si cet esprit
I, « Le simoniaque, écrit Voltaire, condamna le saint,
lui interdit les fonctions d'évêque et de prêtre, et le relé-
gua dans un couvent de bénédictins au milieu des mon-
tagnes, où le condamné pria Dieu pour le convertisseur
jusqu'à l'âge de quatre-vingt quatorze ans. » Soanen pro-
testa contre la condamnation qui l'avait frappé, et inter-
jeta appel au pape et au futur concile général. Mais un
ordre du roi l'exila à l'abbaye de la Chaise-Dieu, en Au-
vergne, où il mourut en 1740.
22 Clairambaul t-AIaurepas.
D'injustice et d'iniquité
Vous tyrannise ;
Résistez avec fermeté
Et défendez l'Église *.
L'EGLISE ROMAINE*
Après que l'Église romaine
Se vit maîtresse souveraine '
De la demeure des Césars,
Par leur aveuglement pour ses fourbes sacrées
Elle crut ajouter à ses riches contrées
Tout ce qu'ils possédaient par le secours de Mars.
1 . Les jansénistes ne manquèrent pas de suivre ce con-
seil ; il parut un mémoire suivi d'une liste de plus de
neuf cents personnes, adhérant à la cause de Soanen;
douze évéques écrivirent au roi en sa faveur ; le cardinal
de Noailles, lui-même, forma opposition aux actes du
concile, et adressa des remontrances au roi. Mais toutes
ces protestations se heurtèrent contre l'inflexible volonté
de Fleury, le principal auteur de la condamnation de
Soanen.
2. D'après l'avocat Barbier cette pièce serait de Voltaire.
Marais est d'un avis tout différent, «Il paraît, écrit-il, une
ode assez poétique qu'on attribue à Voltaire, mais elle
n'est pas de lui, et je ne crois pas que dans l'état patient
où il est, il voulût attaquer la société et'le ministre. »
Mais les annotations de tous les J^ec. mss. confirment l'as-
sertion de Barbier.
Année i'j2'j. 123
Alors en luxe monarchique
De l'indigence apostolique
On vit l'énorme changement;
Et foulant à ses pieds tous les rois de la terre
On vit les cheveux blancs du successeur de Pierre
D'une triple couronne emprunter l'ornement.
Soudain sa cour fut décorée
D'une vaine pourpre, ignorée
Des premiers disciples du Christ;
Et ceux qui jusqu'alors avaient été ses frères
Eurent la lâcheté d'être ses tributaires
Par l'appât décevant que Rome leur offrit.
La seule église gallicane
De ce rang honteux et profane
Défendit toujours ses autels :
Et l'inutilité des foudres ridicules
Que lancèrent contre elle un Boniface, un Jules ^
Fit voir leur imposture au reste des mortels.
Le Parlement et la Sorbonne
Furent une double colonne
Pour la mère des vrais chrétiens;
Que de doutes levés par ces vivants oracles !
Combien le Vatican, jaloux de ses miracles,
Vit-il leurs jugements mieux reçus que les siens !
I. Boniface VIII, célèbre par ses démêlés avec Philippe
le Bel, et Jules II qui, sous Louis XII, mit la France en
interdit.
124 Clairambault-AIaurepas.
C'est alors qu'écumant de rage
Le roi de l'infernal rivage
Fit éclater son désespoir.
Quoi ! dit-il, l'hérésie est partout triomphante !
Rome de ce poison n'est même pas exempte,
Et dans la seule France on brave mon pouvoir.
Je veux, pour punir ce grand zèle,
Emprunter des armes contre elle
Chez ses plus cruels ennemis.
Et qu'aux enfers armés, le sein de l'Ibérie
Prête le seul fléau vengeur de sa patrie
Par qui je puis ternir la pureté des lys.
Il dit et, plus prompt à la vue
Que l'éclair qui part de la nue.
Il franchit ces monts sourcilleux
Oui de deux grands Etats réciproques frontières
Semblent pour mettre entre eux d'éternelles barrières,
Elever jusqu'au ciel leurs sommets orgueilleux.
Bientôt il aperçoit Ignace
Qui d'un Maure suivait la trace
A travers les monts et les bois;
De la mère de Dieu chevalier chimérique
Contre le mécréant sa valeur fanatique
Veut par un coup de lance en soutenir les droits.
L'habile tyran du Cocyte,
Arrêtant sa vaine poursuite,
Année IJ2J. 125
Lui promet de plus grands exploits;
Et pour le couronner d'une gloire immortelle
Il lui dicte le plan d'une secte nouvelle
Qui doit marcher un jour sur la tête des rois.
L'effet répond à la promesse;
Des disciples de toute espèce
Viennent se ranger sous sa loi.
De la terre bientôt ils couvrent la surface
Et leurs dogmes nouveaux au sujet de la grâce
Corrigent l'Evangile et réforment la foi.
Les lys ennemis des impies
Crurent terrasser ces harpies
Par des jugements rigoureux :
Mais nos rois dont bientôt ils se rendent les maîtres,
Loin de venger sur eux le sang de leurs ancêtres,
Du soin de leur salut se reposent sur eux.
La foi commence à disparaître,
L'exemple du souverain maître
Entraîne bientôt tous les cœurs :
Et c'est par le canal de ces nouveaux arbitres
Qu'on voit les dignités, les honneurs et les titres
N'être plus dispensés qu'à leurs adulateurs.
D'Augustin traité d'anathème,
De l'apôtre des Gentils même.
Ils condamnent les saints écrits;
Et du siège de Rome une bulle émanée
V. II.
126 C lairamhault- Al aurepas.
Traitant l'amour de Dieu de vaine et d'erronée,
De ce premier précepte affranchit les esprits.
Xos prélats lâches et perfides
De la pourpre romaine avides
Reçoivent ce dogme inconnu,
Et le seul Molina, docteur de l'Evangile,
Ouvre un chemin au ciel plus court et plus facile
Que celui qu'au vieux temps nos pères ont tenu.
Quatre seuls pasteurs dans la France
De ce venin par leur constance
Avaient garanti leurs troupeaux.
Mais la société ne veut point qu'on la brave
Lafitau son élève, et Tencin son esclave,
Juges de ces martyrs, vont être leurs bourreaux.
Je vois un vieillard vénérable
De la cabale impitoyable
Subir les arrêts inhumains ^.
Et par un jugement qui flétrit sa mémoire
Emporter dans l'exil le renom et la gloire
D'être mieux que Brutus le dernier des Romains.
Grand Dieu, c'est toi que l'on insulte;
Les ennemis de ton vrai culte
N'en veulent pas demeurer là.
I. Allusion à Soanen, condamné par le concile d'Embrun,
à l'occasion duquel fut composée cette ode.
Année l'J2'J. 12"/
Tu ne peux rétablir ton pouvoir sur la terre
Qu'en les précipitant par un coup de tonnerre
Dans le fond du Tartare aux pieds de Loyola.
Oint du Seigneur, jeune monarque
Que des embûches de la Parque
Sa main a sauvé tant de fois ;
Si tu veux prévenir des effets plus sinistres,
Ne mets plus désormais au rang de tes ministres
Ceux qui sont plus soumis à Rome qu'à leurs rois.
LE COCHE
Jadis était un coche bien monté
Qui, franchissant le sommet du Parnasse,
Vous menait droit à l'immortalité.
Quarante en tout y pouvaient avoir place,
I. Cette pièce allégorique est du poète Roy, «Il compare
l'Académie à un coc/ie dont Momus a pris le bail ; Momus
mène le coche comme un fou, il verse et on ramasse le
corbillard et le panier ; il y a des portraits satiriques et
trop satiriques. On y parle d'un habit de vieux velours
tanné donné par une sibylle, au vieux syndic des bourgeois
de Cythere, et cette sibylle est M"* de Tencin, et non la
marquise de Lambert, comme on l'a marqué à la marge. »
[Corresp, de Marais.)
128 C l air amb ault-Maurepas.
Mais à quel prix? Chacun payait pour soi
En bonne espèce, en rime bien sonnante,
Prose de poids, pièce de bon aloi,
Le tout suivant la taxe et la patente
Du dieu Phébus qui jusqu'aux derniers temps
Sans embourber, sans mauvaise aventure,
Sut équiper et mener la voiture.
En est-il las? des soins plus importants
L'occupent-ils ? ou les dieux par malice
Ont-ils commis Momus à l'exercice?
Quoi qu'il en soit, Momus a pris le bail
Et s'est chargé de tout cet attirail.
Le nouveau maître établit lois bizarres.
Fait bon marché des places, prend des arrhes
De tous venants, pâlots et tonsurés
Et gros commis, et robins désœuvrés,
Et les amis de leurs amis encore,
" Même histrions, tout est bon, tout l'honore.
Qu'apportent-ils ? des pièces de billon ,
Nulle monnaie au vrai coin d'Apollon ,
Crédit aux uns, aux autres pleine grâce.
Le corbillard est-il plein ? il entasse
Dans le panier leurs apprentis rimeurs,
Petits goujats, timbrés de leurs couleurs,
Auteurs forains, avec l'espoir très proche
D'être à leur tour introduits dans le coche.
Les voilà donc en route avec ballots,
Et leur bon guide agitant les grelots
De sa marotte. On roule ; mais leur joie
Ne dure guère, et dès le premier pas
Année Ij2j. i2^
Le vrai chemin se perd ou se fourvoie.
On suit sentier qu'Apollon ne prit pas;
Entre rochers l'on marche, l'on tournoie.
Au premier choc l'essieu vole en éclats,
La masse plie , et nos gens sont à bas.
Qui me rendra tous les cris lamentables
Les jurements de ce peuple embourbé
Sous son Homère, et son livre de Fables,
Bagage lourd, Houdart ^ a succombé.
A l'aide, à moi ! criait le bon aveugle.
Le commis borgne ^ à ses oreilles beugle;
Maudit le jour qu'il quitta son comptoir
Pour s'embarquer dans l'ambulant manoir !
Le vieux syndic des bourgeois de Cj'thère -^
S'évertuant pour sortir de l'ornière.
Pleure un habit de vieux velours tanné
Qu'une sibylle "^ au cancre avait donné.
Eh ! dégagez l'esprit de la matière.
Disait un autre ^ ; à ce style inconnu
1. Houdart de la Motte. (M.)
2. M. Mallet, commis de M. Desmarets. Çsl.)
3. Fontenelle.
4. M'"'^ de Lambert. (M.) — L'on a vu ci-dessus que Ma-
rais conteste l'exactitude de cette application, et c'est avec
raison qu'il indique M"**^ de Tencin, puisqu'elle envoyait,
au nouvel an, deux aunes de velours à tous les gens de
lettres admis dans sa société.
5. Houteville (M.) — François Houteville, littérateur
français (1686-1742), avait quitté la congrégation de l'Ora-
toire pour devenir secrétaire du cardinal Dubois dont la
protection le fit entrer à l'Académie. Il en fut nommé
secrétaire perpétuel en 1752. D'après Marais « on ne le
I-20 Clairamh ault-AîaUi
epas.
Qui n'était pas entendu du vulgaire,
A son secours, hélas ! qui fût venu ?
Certain farceur ^ voulut faire l'ingambe :
Les brodequins lui blessèrent la jambe.
C'est cet acteur chez les Suisses prôné
Et de la farce encore enfariné.
Vous êtes là, petit pharmacopole - ;
Chez votre père aviez pris une fiole
Qui se cassant vous effleura la peau,
Mais avez- vous besoin d'être si beau ^ ?
L'affaire est faite, oubliez le service
Et retournez à votre bénéfice*.
Détaillerai-je ici par le menu
croyait pas sujet académique, depuis son livre de la J^e/t-
gion prouvée par les faits, dont le stj'le est de mauvais goût,
et d'un véritable précieux. »
1. Cardinal dit Destouches, qui a été comédien en
Suisse, où il fut ensuite secrétaire de M. de Puysieux,
ambassadeur de France. (M.)
2. L'abbé Alary, fils d'un apothicaire. (M.) — Pierre
Joseph Alary, littérateur français, membre de lAcadémie
(1689-1770), avait été employé, sous la direction de Fleury,
à l'éducation de Louis XV. C'est chez lui que se réunit
pendant quelque temps la société politique connue sous le
nom de Club de l'entresol^ dont le marquis dArgenson, l'un
des membres, a dit que «c'était un café d'honnêtes gens»-
3. Le trait est malin ; aussi le poète a-t-il été exilé à
Tours par les intrigues dès parties intéressées, (M.) --
« Roy a été arrêté, mis à Saint-Lazare pendant quelques
jours, puis à la prière de sa famille, on l'a exilé à cinquante
lieues d'ici, où il va faire des Tristes et des Élégies qui ne
ressembleront point à celles d'Ovide. Voilà bien du monde
vengé, et l'Académie honoraire. » {Corresp. de Marais.)
4. Le prieuré de Gournaj^-sur-Marne, dont il était titu-
laire.
Année i'J2j.
De chacun d'eux les bosses, les blessures,
Tel que Virgile étale en ses peintures
Les coups portés aux soldats de Turnus?
Mon cher lecteur, à tes yeux je dérobe
Masques plus laids que n'était Deïphobe ;
Mais que fait-on de messieurs du panier?
On les entend leurs maîtres renier.
Jurez, leur dit Momus, cela console;
Puis en sifflant dans les airs il s'envole.
LES REGRETS
DE MADAME DE PRIE^
Du noir Styx j'ai passé l'onde,
Il n'est plus d'espoir de retour,
Mon exil est dans l'autre monde.
Je ne reverrai plus le jour.
En esclave de la fortune,
Malgré sa lenteur importune,
I. Prosopopée sur la mort de la marquise de Prie. (M.)
Le 7 octobre 1727, elle s'empoisonna à Courbépine, près
Bernay, où elle était exilée. Il faut croire aussi, comme le
dit spirituellement l'abbé Legendre, « qu'elle creva de dépit
et de rage de se voir dame à poulets d'Inde, après avoir
régné trois ans. »
i:î2
Clairambault-jMaureva.
Je la forçai de m'obéir.
Hélas ! que j'étais malheureuse
D'être à ses yeux officieuse,
Sous le vain espoir d'en jouir !
Que l'on est fortuné lorsque l'on s'en délivre !
Qui n'a pas le temps de bien vivre
Trouve mal aisément celui de bien mourir.
J'étais dans cette erreur mortelle,
Quand la faveur me parut belle.
Jamais un temps si court ne fit un sort si beau.
Jamais fortune aussi ne fut si tôt détruite.
Ah ! que la distance est petite
Du faîte des grandeurs à l'horreur du tombeau ^.
I. Les quatre derniers vers ont été empruntés à une
épitaphe de M"*^ de Fontanges.
ANNÉE 172
LA CONSULTATION
DES AVOCATS DE PARIS ^
Du fameux concile d'Embrun
Que faut-il que l'on pense ?
Tous les évêques en commun
En ont pris la défense.
I. Au mois de juillet 1727, lorsqu'il fut question d'un
concile provincial auquel devait être déférée V Instruction
pastorale de Soanen, vingt avocats de Paris signèrent une
consultation qui reconnaissait à l'évêque de Senez le
droit de récuser les évêques nommés pour le juger. Après
le concile, cinquante avocats rédigèrent une nouvelle
consultation qui fut rendue publique en janvier 1728,
malgré les efforts du lieutenant de police Hérault, pour
en empêcher l'impression. « C'est un bel ouvrage, disait
Barbier ; il prouve l'incompétence du concile d'Embrun
dans la forme, la nécessité d'un concile général ; mais il
entre aussi dans la matière, au sujet de la constitution de
la paix de Clément IX, du formulaire d'Alexandre VII,
au sujet du livre de Jansénius et des cinq propositions
condaijtnées. Il attaque le pape, les évêques d'à présent,
déchire M. l'archevêque d'Embrun, président du concile,
134 Clairambault-Maurepas.
Mais c'est bien affaire aux prélats.
Ecoutons plutôt sur cela
Les avocats, les avocats,
Les avocats de France ^.
Jadis, pour affermir la foi,
Les Pères en concile,
Du Saint-Esprit prenant la loi,
Consultaient l'Evangile.
Ce n'est plus la bonne façon ;
L'Esprit saint doit prendre leçon
Des avocats de France.
Quand d'un fatal schisme autrefois
L'église menacée,
Par le concours de trois cents voix
Combattait à Xicée -,
au sujet d'un procès qu'il a eu pour un bénéfice... C'est
encore une fois un bel ouvrage, où les principes pour les
lois de l'Etat et les libertés de l'Eglise gallicane sont bien
établis; mais il est visible que c'est moins une consultation
qu'un libelle fait volontairement par ces avocats, par cha-
leur de parti. »
1. « On a fait sur MM. les avocats qui ont signé (on
n'en comptait que trente au lieu de cinquante) une chan-
son assez jolie pour se moquer d'eux, de ce qu'ils parlent
du dogme, » remarque Barbier en transcrivant cette pièce
dans son journal. Le P. du Cerceau en était probable-
ment l'auteur.
2. Le premier concile œcuménique de Nicée (an 325),
auquel assistèrent plus de trois cents évêques, fut convo-
qué pour condamner l'hérésie d'Arius et rédigea le Sym-
bole qui porte son nom.
Année 1^28, 135
Pour terminer tous leurs débats,
Que ne fit-on juger le cas
Aux avocats de France?
Que de troubles ne vit-on pas
Au concile d'Ephèse !
Il fallut livrer cent combats
Pour proscrire une thèse.
Mais fallait-il tant de fracas !
Pourquoi ne consultait-on pas
Les avocats de France ?
Des conciles dans tous les temps
On sait assez les formes;
Leurs canons et leurs règlements
Font des livres énormes.
Mais qu'a-t'on besoin de canons,
Pour moi, je m'en tiens aux factums
Des avocats de France.
Peut-on, sans le Code et la Loi,
Condamner une secte ?
Juge-t'on d'un dogme de foi
Sans lire les Pandectes?
Ah ! réprimons ces attentats ;
Mais j'en appelle avec Cujas
Aux avocats de France.
Saint Augustin et Saint Thomas
Ont dit de bonnes choses ;
136 Clairambault-AIaurepas.
Mais c'est au corps des avocats
A leur prêter ses gloses.
Honneur aux docteurs, aux prélats !
Mais qu'on ne les compare pas
Aux avocats de France.
Du troupeau soyez les pasteurs,
Dit Jésus aux apôtres ;
Mais vous n'êtes pas seuls docteurs,
Mon Église en a d'autres.
Ne liez et ne déliez
Qu'avant vous ne consultiez
Les avocats de France.
Les avocats italiens.
Du Nord et d'Allemagne
Ne sont pas théologiens,
Non plus que ceux d'Espagne.
Ils croient aux dogmes de foi,
Mais, d'en décider c'est l'emploi
Des avocats de France.
Grands avocats, zélés docteurs
De l'Eglise nouvelle.
Des conciles vrais directeurs,
Assurez votre zèle ;
En paradis, n'en doutez pas.
Saint Pierre vous tend les bras,
Grands avocats de France.
Année I/2S. 137
Avec de si fidèles chiens
Troupeau, soyez tranquille ;
Ils mordent même vos gardiens
Dans l'excès de leur bile.
Dieu sait comment fuiront les loups
Entendant aboyer pour vous
Les avocats de France,
Ne prenez point ceci pour vous,
Avocats que j'estime,
De vous confondre avec des fous
Je me ferais un crime.
Je ne connais que les Aubrys ^
Et trente avocats de Paris
Pour avocats, pour avocats,
Pour avocats de France.
I. « C'est Aubry, grand avocat plaidant, âgé de qua-
rante-deux ou trois ans, qui a fait et rédigé la consultation.
M. l'évêque de Senez lui a envoyé, en conséquence, les
conciles du P. Labbe, en dix-neuf volumes, ce qui vaut
bien sept à huit cents livres. L'on conçoit qu'il a eu des
mémoires sur le dogme et les faits particuliers par les plus
zélés jansénistes. » [Joiirn. de Barbier ?j
^8 Clair amb ault-Aîaurepas,
REMERCIMENT DES JANSENISTES
AVOCATS DE PARIS ^
Chantons, chantons des avocats
La gloire non pareille,
Contre nos seigneurs les prélats,
Leur plume fait merveille.
En vain Rome dans son courroux
Proscrit notre Evangile,
Trente avocats sont plus pour nous
Qu'un pape et qu'un concile.
Nous avons des prélats, des rois
Balancé la puissance ;
Mais trente avocats par leur poids
Font pencher la balance.
Partout, quoiqu'on lève le bras
Pour nous réduire en poudre,
Il ne faut que trente avocats
Pour écarter la foudre.
I, Par le P. du Cerceau, (M.) — Le nom de l'auteur
suffit pour indiquer le caractère de la pièce ; comme la
précédente, c'est une raillerie fine et judicieuse de la con-
sultation des avocats.
Année i'j28. 139
Qu'on n'écoute donc plus sans choix
Des pasteurs le suffrage,
Un factum sur toutes leurs voix
Remporte l'avantage.
Esprit saint, malgré ton pouvoir,
Ta sentence est informe.
S'il plaît aux avocats d'y voir
Un défaut dans la forme.
Colbert et Caylus, à présent,
Vous n'avez qu'à vous taire ;
Sans vous nous pouvons sûrement
Nous bien tirer d'affaire.
Vous avez en braves soldats
Commencé la défaite.
Mais il fallait trente avocats
Pour la rendre complète.
Vos savantes instructions
Ne sont plus à la mode.
On va dans les décisions
Suivre une autre méthode.
Il ne faut dans tous les Etats
Pour prévenir le schisme,
Que faire par trente avocats
Signer un catéchisme.
Sur ce modèle apparemment.
Au ciel comme sur terre,
On aura fait un changement
140 Cla irambaul t-Alaurepas.
A l'égard de Saint Pierre ;
Quand nos élus arriveront,
S'il leur ferme la porte,
Trente avocats s'y trouveront
Pour leur prêter main-forte.
Admirons la simplicité
Des anciens hérétiques;
Que leur en aurait-il coûté
Pour être catholiques ?
Bonnes gens, ne pouviez-vous pas,
Sans autre procédure.
Citer pour vous des avocats
Au lieu de l'Ecriture?
Poursuivez donc vos ennemis,
Arbitres de l'Église,
Aujourd'hui tout vous est permis ;
Et, quoi que l'on en dise,
Comme Normand ^, en plein Sénat,
Bernez le premier ordre,
Et faites voir qu'un avocat
Sait aboyer et mordre.
Des frères tailleurs, des nonnains
Et des maîtres d'école.
Même à leur tour des médecins
Ont bien joué leur rôle ;
I. L'un des avocats qui avaient signé la consultation.
Année 1^28. 141
Mais au public ne voulant pas
Laisser reprendre haleine,
Nous députons trente avocats
Pour amuser la scène.
PORTRAIT
M. BOUYN D'ANGERVILLIERS
Nous avons dans le ministère^
Un homme savant dans la guerre,
C'est le brutal d'Angervilliers ;
Il brouillera toute la France,
Et l'on verra Le Pelletier
Rafler avec soin la finance.
Mais, Dieu ! que vois-je ? l'invalide.
Dans le désespoir qui le guide,
I. « M. Le Blanc mourut en 1728. M. d'Angervilliers,
intendant de Paris, et qui l'avait été longtemps de la
province d'Alsace, prit sa place. M. d'Angervilliers, fils ou
petit-fils d'un fameux partisan qui vivait sous le minis-
tère de M. Colbert, descendu lui-même d'un médecin et
botaniste célèbre, a des talents, de l'esprit, des défauts et
surtout des ridicules. » {Mém. du marquis d'Argenson.)
[42 Clair amhault-AIaurepas.
Suivre Le Blanc jusqu'au tombeau ^,
Pleurer ce maître doux et sage,
Et leur digne et nouveau bourreau
Frémir de l'excès de leur rage.
Braves héros, fils de Bellone,
Que la crainte ne vous étonne;
Animés d'une juste ardeur
Pour vous rendre le ciel propice,
Plongeant un couteau dans son cœur.
Offrez au mort un sacrifice.
On peut bien, sans être indiscret,
Tracer à vos yeux le portrait
D'un ministre dont l'indécence
Compose un fat assez complet.
Son sourire est une faveur;
Quand, d'un air bourgeois et moqueur,
Il vous dit une impertinence,
Il croit vous faire honneur.
Dans son métier fort ignorant,
Comme dans l'art de courtisan,
On le voit superbe ou rampant.
Et toujours fort mauvais plaisant.
I. Le Blanc mourut le 19 mai, « fort regretté de tout
le monde, » dit Barbier.
Année 1^28. 143
Quoiqu'à l'âge de soixante ans
Il courût la brune et la blonde,
Malgré son poil roux et blanc,
Il voulait subjuguer le monde.
Mais pour le présent
Villars ^ fixe cet inconstant.
On peut bien, sans être indiscret,
Tracer à vos yeux le portrait
D'un ministre dont l'indécence
Compose un fat assez complet.
LE CHAT DE PETITPIED
Tapin^, toi qui comme un vautour
Fonds sur les jansénistes,
En vain tu devances le jour.
Pour en suivre les pistes ;
Petitpied, sur ton compliment,
Déloge sans trompette
Et te laisse très poliment
Son chat pour amusette.
1. La maréchale de Villars.
2. Tapin, exempt de police, s'était chargé d'arrêter
l'abbé Petitpied, grand janséniste, lequel en eut avis. Il
quitta sa chambre et y laissa son chat qui jouait avec du
papier lorsque l'exempt écoutait à la porte et croyait que
c'était l'abbé. (M.)
144 Clairambaul t-AIaurepas.
Ce rossignol toujours caché
De crainte du grillage,
Au molinisme très fâché
Échappe de la cage*,
Pouvant user plus prudemment
Son caustique langage ;
Ainsi, jésuites, à présent,
Craignez-en le ramage.
Le chat de Petitpied - doit avoir une place
Dans l'Histoire des chats ^ qu'on vient de mettre au jour ;
Rien ne peut mieux prouver qu'il sort de bonne race
Que d'avoir à Tapin joué le plaisant tour,
Qui lui fait, s'amusant d'un joli badinage,
Échapper cet oiseau dont on craint le ramage.
1. « On parle d'une estampe où est une cage, au haut de
laquelle il y a un trou d'où sort un petit oiseau, et au bas
un chat avec un homme représentant AI. Hérault, et avec
cette inscription : Les petits pieds ne so7it pas pour vous. »
{Corresp. de Marais.)
2. Ce jeune chat appartient à M. de Chatigny, qui
demeure dans la même maison que M. Petitpied. (M.)
3. Paradis de Montcrif avait publié son Histoire des
chats, en 1727.
Année 1^28. 145
LES TALENTS
DU CARDINAL FLEURY^
Un envieux m'avait mis en malaise,
En m'ayant exilé
De mon réduit, trop heureux et trop aise.
L^n roi m'a rappelé,
Et j'ai chassé qui m'a donné la chasse;
Car j'ai pris sa place,
Moi.
Car j'ai pris sa place.
I. Il est intéressant de transcrire en regard de ce por-
trait railleur quelques traits de celui que nous a laissé un
contemporain judicieux, le marquis d'Argenson, que l'on
taxera peut-être d'indulgence dans ses appréciations. «Nous
avons en France, dit-il, un premier ministre qui possède une
partie des vertus de AL de Sully. Ses principales qualités
paraissent cependant n'être que dans un degré inférieur ;
mais peut-être cette différence est elle uniquement due à
celle de leur état et des circonstances dans lesquelles ils
se sont trouvés On lui refuse un vaste génie ; mais
nous sommes dans un temps où l'on peut se passer de ceux
de cette trempe. Du moins ne peut-on lui refuser l'esprit
aimable, un grand usage du monde et de la cour, de
l'aménité, de la politesse, même une galanterie décente et
qui ne contrarie aucun des caractères graves dont il est
revêtu. Ses qualités ministérielles sont la justesse d'esprit^
la solidité dans les vues et les intentions, la franchise et
la bonne foi vis-à-vis des étrangers, une politique assez
V. ij
146 Clairamhault'Maurepas.
En me biglant, il me fit la grimace
Lorsqu'il me renvoya;
Mais d'un air gai je lui ris avec grâce
Lorsqu'on me rappela.
En fin renard j'ai su lui faire nique;
Je suis politique.
Loin de la cour j'ai su bannir le crime
En chassant les p
Par ce grand coup, j'ai mérité l'estime
Des doux et des mutins.
Comme jadis une habile Éminence,
Je conduis la France.
Sans consulter ni blonde ni brunette,
En politique fin,
On m'a doué d'une noble barrette :
Prédisant un Dauphin,
Par action, par jeûne et par prière.
J'aide à le faire.
Du roi Louis, pour détruire les craintes
Qu'il a sur ce point-là,
adroite, mais qui n'est point traîtresse. Il sait se démêler
des pièges que lui tendent les courtisans, sans user de
moyens perfides et machiavelistes.il a soin de ne hasarder
aucune dépense mal à propos, mais surtout de ne point
mettre la nation en frais pour courir après des idées chi-
mériques... Enfin ce ministre me semble fait pour assurer
le bonheur dont nous jouissons sans 'l'altérer ; et c'est tout
ce que nous pouvons désirer. »
Année l'^28. 147
Le jour, je prie et les saints et les saintes;
Et, sans demeurer là,
Comme aux grands coups la nuit est fort propice,
J'offre un sacrifice.
Je fais la loi aux deux bouts de la terre
Sous le nom de mon roi.
Les potentats, de crainte de la guerre,
Viennent m'offrir leur foi;
On ne peut craindre un accident sinistre,
Je suis bon ministre.
Si le congrès ^ est toujours en balance,
C'est que je le veux bien :
Les envoyés dictés par ma prudence
N'accordent jamais rien :
Sur chaque point ils proposent un doute,
Et l'on m'y redoute.
Si Richelieu, ce politique habile.
Ministre des François,
Par son grand cœur se rendit tout facile
Et fit partout des lois;
Dans peu, je veux, et sans m'en faire accroire,
Surpasser sa gloire.
I. Le congrès réuni à Soissons (juin 1728), pour régler
les difficultés politiques qui existaient entre la France,
l'Angleterre, la Hollande, l'Espagne et l'Autriche. Fleury
le présidait en qualité de premier plénipotentiaire.
148 Clair ambault- 31 au repas.
S'il augmenta le pouvoir de ses princes
Jusqu'au delà du Rhin;
S'il abaissa des mutines provinces
Le pouvoir souverain ;
Pour coup d'essai, la première campagne,
Je bats l'Allemagne.
Les Hollandais, l'Allemand, l'Angleterre,
Verront nos étendards.
Comme en trophée au milieu de la terre.
Plantés de toutes parts;
Et l'on dira, au nom du roi de France,
Vive l'Eminence !
Je laisserai reposer le Saint-Père
Et les bons Mulsulmans;
Car je craindrais qu'ils no3'assent la terre
D'une mer de croyants ;
L'un croit en Dieu et l'autre au grand prophète,
Je suis de leur secte.
Je ne mets point dans aucune dispute
La Constitution.
J'agis ainsi pour que l'on ne m'impute
Nulle division.
Si l'on me croit khalife ou bien apôtre,
Je suis l'un et l'autre.
Moi,
Je suis l'un et l'autre.
Année 1128. 149
LA RÉTRACTATION
CARDINAL DE NOAILLES
Enfin Xoaille a succombé • !
Dagon est maître de ses armes;
Le chef d'Israël est tombé,
Pleurez, mes yeux, fondez en larmes :
L'arche sainte et ses chérubins
Est au pouvoir des Philistins.
I. On lit dans le Journal historique du règne de Louis XV :
« Le cardinal de Noailles par un mandement (du il octo-
bre) accepte la constitution Unigenitus, condamne le
livre des Réflexions morales, et les cent-une propositions
qui en ont été extraites, révoque son instmction pastorale du
14 janvier 1719, et tout ce qui a été publié en son nom
de contraire à la présente acceptation. Cette rétractation
du cardinal de Noailles, que la cour de Rome et le minis-
tère de France négociaient depuis longtemps, ne fut pas
universellement applaudie par le clergé du royaume. Tous
les appelants et ceux qui l'étaient dans le cœur, la désap-
prouvèrent et en furent consternés. Les acceptants, au
contraire, en triomphèrent. » L'indécision antérieure du
cardinal de Noailles et cette rétractation par laquelle il
donnait un démenti à sa vie passée, s'expliquent tout natu-
rellement si l'on tient compte de l'influence que ses deux
nièces, la maréchale de Gramont et la duchesse de La
Vallière avaient depuis longtemps prise sur lui. « C'était
entre ces deux dames à qui s'emparerait du bonhomme,
nous dit l'abbé Legendre, et selon qu'il était subjugué par
V. J3-
IÇO Clairamhault-AIaurepas
Déserteur du camp des Hébreux,
Couët ^, infâme Amalécite,
As-tu bien osé, malheureux,
Tromper ce grand Israélite,
Et par un éternel affront
Flétrir les lauriers de son front ?
Tu n'as cessé de tourmenter
Ce vieillard faible et sans mémoire-,
Pour le forcer à rétracter
Ce qui l'avait comblé de gloire ;
Ainsi ce qu'il fait aujourd'hui
Est de Couët et non de lui.
Traître, tu vas mettre au tombeau,
Dans la douleur la plus amère,
Ce pasteur si cher au troupeau
l'une ou par l'autre, il disait oui ou non, faisait ou défai-
sait. La maréchale était constitutionnaire, la duchesse était
janséniste, l'une insistait pour qu'il reçût la constitution
purement et simplement, et l'autre au contraire pour qu'il
ne la reçût de quelque manière que ce fût. » Mais Fleury
qui avait à cœur la paix de l'Eglise et avait promis au
pape d'employer ses bons offices pour obtenir la soumis-
sion de Noailles, se joignit à la maréchale, et leurs
obsessions communes vinrent à bout de la résistance du
prélat; il est vrai que leur triomphe, comme on le verra
bientôt, fut de courte durée.
1. Chanoine de Notre-Dame et conseil de l'archevêque.
Il fut poignardé par un de ses parents. (M.)
2. « Les jansénistes disent que le cardinal est imbécile,
que l'esprit lui est tombé et qu'on lui a fait faire ce qu'on
a voulu. » {Jourji. de Barbie}-.)
Année 1^28. 151
Qui cherche Dieu d'un cœur sincère ;
Après tout le bien qu'il t'a fait
Peux-tu laver un tel forfait ?
Non, ce mandement concerté
Qu'extorque de lui la cabale
N'aura point cette autorité
Qu'eut l'instruction pastorale,
Que lui dicta la vérité
Lorsqu'elle était en liberté.
Et toi, Guéret^, qui nous parus
Si zélé, si plein de courage
Contre la bulle et ses abus,
Pourquoi changes-tu de langage ?
Quel ange a dessillé tes yeux ?
Est-il de l'enfer ou des cieux?
Guéret et pauvre et paysan^
Nous disait : La bulle est impie ;
1. Curé de Saint-Paul et ci-devant curé de Brie-Comte-
Robert. (M.)
2. Le satirique a sans doute voulu faire allusion à
l'humble cure dont Guéret était titulaire avant d'obtenir
celle de Saint-Paul. Marais, qui ne s'est pas rendu compte
de l'intention, critique le mot àç. paysan ; « Lecuré^ dit-il^
est fils de M. Guéret, avocat, homme d'un ti es grand mérite,
premier auteur du Journal du Palais... S'il n'était pas
mort jeune, il eût poussé sa réputation au plus loin ; ainsi
le chansonnier a été très mal informé de la condition du
curé de Saint-Paul, qui, je crois, ne vaut pas son père^
{Corresp. avec Bouhier.)
1^2 CAairambault-AIaurepas.
Devenu riche et courtisan,
Il l'adopte et la justifie ;
• Je laisse à juger au lecteur
Qui; des deux Guéret, est menteur.
La Tour^ veut régner dans un corps
Au molinisme peu docile,
Comme pour vaincre le plus fort,
Il croit la bulle très utile,
Quoiqu'elle renverse sa foi,
Il veut nous la donner pour loi.
Mais quel étrange changement !
Le grand auteur du Témoignage,
Laborde^ vient en ce moment
De se réunir à Pelage.
Par quel prodige, hélas ! le ciel
Vit-il jamais rien de pareil ?
Peuple que la bulle proscrit,
Mets en Dieu seul ta confiance ;
1. Le P. de La Tour, général de l'Oratoire, avait tour-
menté le cardinal de Noailles pour lui faire accepter la
Constitution.
2. Vivien Laborde^ prêtre de l'Oratoire et directeur du
séminaire Saint-Magloire, avait publié, en 1714, le Té-
moignage de la vérité dans l'Église, ouvrage destiné à
prouver l'irrégularité de toutes les mesures prises en
faveur de la Constitution. Depuis 1721, il résidait à l'ar-
chevêché et comptait parmi les conseillers intimes de
Noailles ; il ne fut donc pas étranger à sa rétracta-
tion.
Année 1^28. 153
Ne crains rien, cherche Jésus-Christ,
Attends et souffre en patience ;
Dieu, sûrement, saura calmer
Tous ces flots prêts à t' abîmer.
O ciel ! que voyons-nous ! quel spectacle ! Noailles,
A des loups ravissants abandonne ses ouailles.
On le voit lâchement trahir la vérité
Et terminer ses jours par une indignité ^ ;
Tandis que tous chantaient son triomphe et sa gloire,
Il s'est laissé des mains arracher la victoire.
Trop crédule aux flatteurs qui composent sa cour,
Noailles, pour sa gloire, a vécu trop d'un jour.
Consolons-nous; l'Eglise, à jamais invincible,
A plus d'un Athanase à nos regrets sensibles.
Oui : nous verrons dans peu qu'en vain ses ennemis
Publîront hautement que tout leur est soumis;
En défenseurs zélés cette mère fertile
Pour un qui l'abandonne en recouvrera mille.
Prêts à braver la mort contre des novateurs
Qui font d'un Molina la règle de nos mœurs.
On verra foudroyer l'orgueilleux molinisme,
A la fin reconnu pour seul auteur du schisme.
Assez et trop longtemps leurs dogmes empestés
I. L'on aurait tort de croire que le cardinal de Noailles
avait dit son dernier mot en publiant son mandement de
rétractation ; à peine avait-il publié cet acte qu'il le renia.
(Cf. p. 155, note I.)
1^4 Clair amhault-Alaurepas.
Ont flatté le pécheur dans ses iniquités.
Il ne lui restera que le remords stérile
D'avoir en vain tenté d'abroger l'Évangile.
Le généreux Croissy, nouvel Éléazar,
Rendant avec respect ce qu'on doit à César,
Sans céder au conseil de l'humaine sagesse,
Loin de se démentir par des traits de faiblesse.
Va laisser un exemple à la postérité
De l'amour qu'un chrétien doit à la vérité^.
L'apôtre de Senez, à son devoir fidèle,
A ce digne pasteur servira de modèle.
LES
CONSEILLERS DE NOAILLES
Fuyez pour jamais de ces lieux -,
Jansénistes, troupe hérétique ;
1. Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, avait
écrit, au mois de juin, une lettre au roi pour lui représenter
« que tout le mal de l'Église venait des jésuites, et qu'en
portant Sa Majesté à exterminer les jansénistes, on vou-
lait lui faire ruiner tout le bien du royaume. » {Abrégé
chronologique)
2. « Il paraît une chanson sur l'acceptation et le mande-
ment de notre cardinal ; elle a plusieurs couplets et plu-
Année 1^28. 155
Cessez vos complots furieux
Contre l'Eglise catholique.
Noaille en pleine liberté
A passé de notre côté.
Votre cabale allègue en vain
Un acte extorqué par contrainte,
Ecrit et signé de sa main ^
sieurs portraits, et l'auteur a manié assez bien sa figure,
et même l'expression en est jolie, et les vers bien faits, le
tout sauf la lettre de cachet et la Bastille. Il y est parlé
d'un poétereau qui a fait un poëme de la Triple ingra-
titude contre le cardinal ministre ; je ne sais ce que c'est
et ne l'ai point vu. » [Corresp. de Marais.) — Pièce en
contre-vérités. (M.)
I. Le parti janséniste avait prévu que le cardinal pour-
rait bien de guerre lasse accepter la Constitution, et il
avait pris ses mesures en conséquence. « La duchesse de
La Vallière, raconte l'abbé Legendre, avait eu la pré-
caution de faire écrire au cardinal, le 22 août auparavant,
une déclaration par laquelle il désavouait ce qu'on pour-
rait lui faire faire dans la suite, par importunité, par sur-
prise ou autrement, en faveur de la i Constitution. Cette
déclaration fut affichée en plein midi, à côté du mande-
ment, le jour même où il parut à la grande porte de Saint-
Paul, » Pour combattre le mandement, la duchesse, peu
satisfaite de cette négation anticipée, eut recours « à deux
nouveaux actes qu'elle fit faire au cardinal et écrire tout
au long de sa propre main, l'un du 17 décembre 1728, l'au-
tre du 26 février 1729, deux mois avant qu'il mourût. Il
renouvelait et confirmait par le premier sa protestation
du 22 août, et déclarait par le second qu'encore que sous
ce nom il eût paru un mandement par lequel il semblait
avoir accepté la bulle Unigenitus purement et simplement,
il voulait que tout le monde sût que jamais il n'en avait eu
la pensée. »
ç6 Clairamb ault- Maurepas.
Mais écrit et signé par crainte.
Dorsanne ^, par son grand crédit,
Arracha, dit-on, cet écrit.
Mais quand il fit le mandement
Qui suspend le courroux du Tibre,
On peut bien dire assurément
Que jamais il ne fut plus libre :
Le ministre ayant écarté
Ce qui gênait sa liberté.
Des parents, des amis zélés
Pour son salut et pour sa gloire.
Près de lui s'étaient rassemblés,
Sans autre but, comme on peut croire,
Sinon qu'il signât librement
Cet admirable mandement.
Gramont - qui, par Giron jadis
Aux lois du pur amour dressée,
Regarde jusqu'au paradis
D'une âme désintéressée,
1. Antoine Dorsanne, chanoine et officiai de l'archevêque
de Paris, avait été l'un des principaux instigateurs de la
résistance de Noailles à la Constitution. Lorsque le car-
dinal l'eut acceptée, il se sépara de lui et alla mourir de
chagrin aux Incurables. 11 avait rédigé un journal très
instructif des événements relatifs à la bulle Unigenitus,
depuis 1711 jusqu'en 1728, qui fut publié longtemps après
sa mort.
2. La maréchale de Gramont, nièce du cardinal.
Année iy28. 157
Peut-elle, instruite comme elle est,
Être soupçonnée d'intérêt ?
Adrien^, tantôt financier.
Tantôt notre Mars près de l'Èbre,
Et dans l'un et l'autre métier
Egalement grand et célèbre.
Peut-il, vertueux comme il est,
Être soupçonné d'intérêt ?
Il est vrai que des gens malins
Disent en tous lieux sans mystère,
Qu'il cherche par divers chemins
Le bâton et le ministère :
Mais ceux qui tiennent ce propos
Connaissent-ils bien ce héros ?
Pour Chauvelin, aussi pieux.
Aussi bon Français que son père,
Point fourbe, point ambitieux,
Et de Noaille ami sincère.
Peut-il bien, chrétien comme il est,
Être soupçonné d'intérêt?
Le saint homme, aux pieds du prélat,
A genoux fondant tout en larmes :
Sauvez, dit-il, la foi, l'État,
Délivrez-nous de nos alarmes ;
I. Le duc de Noailles. (M.)
V. 1 +
1^8 Clairamh ault-AIaurepas.
U Unjgenitîts accepté
Nous mettrait tous en sûreté.
Le chancelier qui, sans ennui,
Vivait à Fresne en solitaire,
Et qui, comme on sait, malgré lui,
Revient à son poste ordinaire^.
Peut-il, révéré comme il l'est.
Être soupçonné d'intérêt?
Pour le procureur général-.
Ah ! grand Dieu, c'est la vertu même,
Et l'accuser d'un si grand mal,
En vérité, c'est un blasphème :
Peut-il, rigide comme il est.
Etre soupçonné d'intérêt?
Quant à notre Hercule gaulois ^
Oui, conduisant en chef la barque,
Maintient la liberté, nos lois
Et les droits de notre monarque,
Voudrait-il gêner un ami
Qu'il a jadis si bien servi ?
1. Le chancelier d'Aguesseau qui vivait exilé à Fresne
depuis le 17 février 1722, revint à Paris en août 1727. Un
ordre du roi le rappela quelques jours avant l'accoiKhe-
ment de la reine.
2. Joly de Fleury. (M.)
S. Le cardinal Fleur\\ (M.)
Année IJ28. 159
Je sais qu'un petit poétreau
Nous l'a dépeint ingrat et traître
Envers Villeroy, d'Aguesseau,
Notre archevêque et notre maître;
Mais^ quand on connaît ses vertus,
On sait que penser là-dessus.
Tels sont les garants merveilleux
De la liberté de Noaille ;
A des témoins si scrupuleux
Que peut opposer la canaille ?
Peut-on prouver plus clairement ?
La liberté du mandement ?
Ne nous parlez donc plus d'appel,
Ni d'instruction pastorale,
Et de cet écrit solennel
Rendu public par la cabale.
Il fit tout cela malgré lui.
C'est son cœur qui parle aujourd'hui.
Niez-le; bientôt Pontchartrain ^
Viendra, porteur d'ordre sinistre,
A votre langue mettre un frein
Au nom du prince et du ministre;
Deux abbesses d'assez bon nom -
Sont témoins de sa mission.
T. Le comte de Maurepas.
2. M"'" d'Orléans et de Bourbon. (Cf. p. 167.)
^o Clairambaul t-AIaurepas.
Toutes deux l'ont bien mérité.
Dire qu'on n'est pas libre en France î
Ah ! peut-on sans impiété
Pousser jusque-là l'insolence
Contre des saints comme Fleury,
Et Chauvelin son favori.
LES INFORTUNES
CADET DE GASCOGNE
Je suis natif d'une contrée
Où les infortunés cadets,
Munis de la cape et l'épée,
S'embarquent avec leurs bidets.
Nous trouvons la gloire si belle
Que nous sacrifions pour elle
Nos prés, nos vignes et nos champs.
Mais pour des divinités folles
I. Épitre d'un garde du roi qui a fait un enfant à une
fille, lequel est condamné par Ms'' le duc de Noailles, son
capitaine, à 2000 liv. (M.)
Année 1^28.
Sacrifier deux cents pistoles,
C'est trop cher de deux mille francs.
Issu d'un sang trop économe,
Je ne puis en si peu de temps
Compter une si grosse somme.
Quoi ? monseigneur; deux mille francs,
Un garde du corps de Gascogne ?
A quoi donc taxer les exempts,
Les majors, les chefs de brigade ?
Et si l'on monte au plus haut grade
Les frais seraient exorbitants.
Le fait mérite qu'on y pense,
Il est en tout temps important :
Tout ce qui tire à conséquence
Doit être pesé mûrement.
Pour vos ordres rempli de zèle,
C'est faute d'argent que j'appelle
De vos premiers arrangements.
Hélas ! faut-il, malgré Bellone,
Que le Pactole et la Garonne
Soient des fleuves si différents.
14.
62 Clairambault-Maurep^
EPIGRAMMES DIVERSES
SUR LE ROI
Ma figure est mon avantage,
La cuisine est mon seul ouvrage,
L'on fait tout et je ne dis rien. —
Ah ! Louison, je vous connais bien.
SUR LE CARDINAL FLEURY
J'ai de Dubois la naissance,
Des jésuites la manigance,
Des bigots le grave maintien. —
Ah ! Fleury, je vous connais bien.
SUR DES FORTS
J'ai de Cham illard l'ignorance,
De Noailles l'impertinence,
De Dodun l'arrogant maintien. —
Ah ! Des Forts, je vous connais bien.
Année 1^2 8. 163
SUR CHAUVELIX ^
Chauvelin a dit au roi : Sire,
Pour bien gouverner votre empire
Je suis capable et par delà;
Désignez-moi cet emploi-là.
Le roi répondit à ce cuistre :
Pour être mon premier ministre,
Le plaisant robin que voilà !
Présidez, mais restez-en là.
SUR LE PRINCE DE CONTI^
Pleurons, pleurons, mes chers amis,
Pleurons la mort du grand Conti,
Ce héros, l'espoir de la France,
1. Germain-Louis de Chauvelin (1685-1762), président à
mortier au Parlement de Paris, fut nommé garde des
sceaux en 1727 à la place de M. d'Armenonville, et secré-
taire d'État des Affaires étrangères. On crut qu'il devait
son élévation au crédit de la princesse de Carignan.
2. « Nous avons perdu, le 4 de ce mois (mai), M. le
prince de Conti qui est mort d'une fluxion de poitrine^
très regretté de tout le monde. C'était pour ainsi dire le
seul prince qui avait de l'esprit et des lumières, qui s'ap-
pliquait aux affaires, et sur lequel on pouvait compter
dans le conseil. Il n'avait que trente-deux ans. » [Journal
de Barbier.)
64 Clair ambaul t-AIaurep as.
Expire, et c'est fait pour jamais.
En qui sera notre espérance
Si l'on vient à rompre la paix ?
SUR LE PRIXCE DE LÉOX^
Vous voulez, prince de Léon,
A Brest les honneurs militaires.
Ces honneurs sont dus aux Bourbons
Ou gens distingués dans la guerre ;
Mais pour vous, prince de Léon,
Ma foi, vous n'en tâterez guère,
Et vous n'aurez d'autre canon
Que celui de notre derrière.
SUR LA BULLE UXIGENITUS
Rome, je le vois bien, il faut te dire adieu.
Si de mourir chrétien je veux avoir la gloire ;
I. M. et M^^^^la princesse de Léon étant allés à
Brest, tenir les Etats de Bretagne, prétendirent qu'on
devait leur faire les mêmes honneurs qu'à messieurs les
maréchaux de France. Le gouverneur de la citadelle les
a^'ant priés à dîner, ils demandèrent qu'on leur tirât du
canon, et ce gouverneur ayant représenté qu'il ne pouvait
Année 1^28. 165
Une bulle déjà me défend d'aimer Dieu,
Une autre pourrait bien me défendre d'y croire ^
SUR LE p. DU CERCEAU-
Doyen des rimailleurs, plus froid qu'un limaçon,
Du Cerceau, dans la chanson.
Prend le sabat d'Embrun pour décret de l'Église,
Pour amis, Favier et Capon.
C'est une bête, si c'est méprise;
Si c'est feinte, c'est un fripon.
SUR LE p. POISSON"'.
PÈRE Poisson n'en démord point ;
Il veut que l'on coupe le poing
le faire sans un ordre exprès du roi, ils ne furent point
dîner au château. Cela joint à plusieurs impolitesses de
leur part leur attira cette chanson. (M.)
1. « Voilà une épigramme de la façon de nos jansé-
nistes. L'auteur, craignant l'athéisme, a fait une pointe
assez athée. — Elle est de Rousseau. » [Correspondance de
Marais.)
2. Par M. de Laverdy. (M.) — En réponse aux deux
chansons du P. du Cerceau publiées ci-dessus, p. 133-141.
3. Cordelier qui avait réfuté la consultation des avo-
cats.
c66 Clairamhault'Maurepas.
Aux avocats qui, sans scrupule,
Ont dans leurs consultations
Et de la forme et des canons
Du concile d'Embrun montré le ridicule.
Voir des manchots dans le barreau,
Le spectacle serait nouveau.
Si la cravate plaît à cette âme dévote,
Aymon ^, si c'est là sa marotte.
Donne-lui sans retard le brevet du bourreau
Du régiment de la calotte.
SUR M. HERAULT
HÉRAULT, la terreur des écrits -,
En guette un, dit-on, de brillante capture
Il l'a trouvé, je vous l'assure.
Entre les mains de tout Paris.
SUR LE CONCILE D EMBRUN
Trente curés, trente avocats
De Paris, la grand'ville,
1. Il avait succédé à M. de Torsac comme général du
régiment de la Calotte.
2. La cour avait promis, dit-on, six mille livres de pen-
sion à M. Hérault, s'il réussissait à empêcher la distri-
bution de la consultation des avocats.
Année iy28. 167
Valent bien quatorze prélats
Choisis pour un concile.
Mais vous direz : Ne sont-ils pas
Successeurs des apôtres ?
Tencin prouve bien que Judas
Le fut comme les autres.
On dit que la pauvre bulle,
Malgré tout son grand fracas,
Au lieu d'avancer recule
Et foit souvent des faux pas.
A la cour comme à la ville
On se moque du concile.
Notre ministre d'État
Pour le coup n'a pris qu'un rat.
SUR M"'" D'ORLÉANS et DE BOURBON
Taisez-vous, Orléans, Bourbon ^
Vous voulez en doctes personnes
I. Harangue de M. de Maurepas aux dames de Saint-
Antoine et de Chelles. — Il a été par ordre de la cour
imposer silence à M'"^ d'Orléans et à M'"'= de Bourbon,
qui parlaient trop librement au sujet de l'acceptation de
M. le Cardinal. (M.)
i68 Clairambault-Maurepas.
Parler de la religion,
C'est bien là l'affaire des nonnes.
Fleury, l'oracle de la foi,
Saura vous apprendre à vous taire.
Doutez-vous qu'il le puisse faire,
Lui qui l'apprit si bien au roi ?
ANNEE 1729
LE PERIL DES PRINCES ^
Ux meunier, à ce que Ton publie,
A deux princes chéris vient de sauver la vie ;
Tous les deux allaient se noyer
En passant la Marne à la nage.
Le bonhomme qui, du rivage,
Les vit dans un pressant danger,
Dans le fleuve soudain court se précipiter,
Et les tire de l'eau contre toute espérance.
C'est aimer son prochain, on ne peut le nier;
Et si la charité, qu'on ne peut trop priser.
S'apprend dans le moulin, je pense
1. Sur le péril où s'exposèrent le prince de Bombes et
le comte d'Eu^ en voulant passer la Marne en courant un
cerf. Le meunier a eu quatre cents liv. de pension et ses
garçons chacun dix louis d'or. (M.)
2. Ce fut le maître et les deux garçons meuniers qui se
jetèrent à l'eau. (M.)
V. 15
170 Cldira?îibaul t-AIaurepas.
Qu'il est plus d'un évêque en France
Qui devrait se faire meunier.
ÉPITAPHES
CARDINAL DE NOAILLES^
Ci-GiT un fame*ux cardinal
Oui fut sage dans sa jeunesse^
Mais vivant trop (ô sort fatal !).
Il survécut à sa sagesse.
Il est donc mort de son vivant,
I. Il est mort dans son palais archiépiscopal à Paris,
environ les deux heures du matin, mercredi 4 mai 1729, âgé
de soixante et dix-sept ans, étant né le 27 mai 165 1. (M.)
— « Ses contradictions éternelles l'avaient rendu si mé-
prisable qu'il ne fut regretté de personne. Il était décrié à
un point que l'on n'osa lui faire ni oraison funèbre, ni
service public, tel qu'on a coutume d'en faire aux arche-
vêques de Paris, service d'apparat, où, comme à celui des
rois, assistent toutes les cours tant supérieures que subal-
ternes. Il est étonnant que même les jansénistes dont il
avait été l'idole et pour qui il avait tant fait, ne l'aient
point loué après sa mort et que, par un silence aussi inju-
rieux qu'ingrat, ils aient déshonoré sa mémoire, comme
s'il n'avait rien eu de recommandable. » (L'abbé Le-
GENDRE.)
Année l'J2g, 171
Noaille^ en cessant d'être sage :
Oui, s'il eût vécu moins longtemps,
Il aurait vécu davantage.
Panégyristes languissants,
Qu'on sacrifie à sa mémoire ;
Vous direz donc tout en disant
Qu'il a trop vécu pour sa gloire^.
Le Saint-Esprit sans corps, ainsi qu'il est écrit,
Autrefois se jeta dans le sein de Marie :
Noaille, à Dieu contraire, à la fin de sa vie,
Donne à Marie son corps, sans cœur et sans esprit^.
1. Le président Bouhier écrivait à son ami Marais, quel-
ques jours après la mort de Noailles : « J'ai vu le dernier
acte du feu cardinal de Noailles, si toutefois on peut
assurer que ce soit le dernier. Voilà sans doute la plus
éminente girouette qui ait jamais été.
O vieillesse, ma mie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?
On pourrait faire de ses variations une histoire presque
aussi grosse que celle de feu Bossuet. »
2. Comme il avait ordonné par son testament d'être en-
terré devant la chapelle de la Vierge à Notre-Dame, son
cœur a été mis dans la chapelle de sa famille, et ses en-
trailles dans le chœur de l'église ; on a fait un quatrain à
ce sujet, (M.) — Sous le portrait du cardinal fut gravé ce
distique non moins significatif :
Vir simplex fartasse plus, sed prasul ineplus
Viilt, tentât, peragtt, plurima, pauca, nihil.
172 Clairamhault-Maurepas,
PORTRAIT
DE M. DE VINTIMILLE
ARCHEVÊQUE DE PARISl
D'un Aaron et d'un sacré prêtre
En Noaille on sut reconnaître
La ferveur pour les lois de Dieu ;
Mais, dans son successeur indigne,
Chacun de nous verra dans peu
Un Abiron le plus insigne -.
1. Charles Gaspard de Vintimille du Luc, archevêque
d'Aix depuis 1708, succéda à Noailles, comme archevêque
de Paris. « Il aura de la peine, disait Marais, pour quitter
sa chère Provence, pour venir habiter les bords de la
Seine ; mais cent mille francs de rente de plus adouci-
ront ce mal. On dit que c'est un bon prélat qui vit noble-
ment et qui ne tourmentera personne. Dieu le veuille !
voilà les du Luc de Vintimille, des comtes de Marseille,
bien contents, et aussi bien des mécontents qui se feront
peut-être jansénistes par dépit. » M. de Vintimille avait
soixante et quatorze ans lorsqu'il fut promu à l'arche-
vêché de Paris ; il conser\'a ses fonctions jusqu'à sa mort
(mars 1746).
2. En prenant possession de son archevêché. M. de Vin-
timille invita le chapitre de Notre-Dame à accepter la
bulle. Les jansénistes éclairés par là sur ses intentions,
lui prodiguèrent tout aussitôt leurs railleries et leurs in-
sultes.
Pousselle s
A, Quanlin imp. E di
Année I'J2(). 173
Frémissez, peuple israélite ;
L'impitoyable amalécite
Sous son joug va vous asservir ;
De cette abominable race
Du Joad qui vient de mourir,
Un Mathan va remplir la place.
Zélés partisans jansénistes,
Faites trembler les molinistes,
En dressant un autel nouveau;
Sans craindre que l'on vous condamne
En sacrifiant ce taureau,
De Xoaille honorez les mânes.
Monstre que l'on voit toujours ivre,
Hé quoi ! tu te vantes de vivre,
Pourceau, dont le ventre est le roi.
De la vertu rien ne succombe,
Noaille est bien moins mort que toi,
Encor qu'il gise sous la tombe.
Bouchers qui, d'ancienne méthode,
Promeniez en burlesque mode
Un bœuf gras avec grand fracas,
Cette fois-ci, prenez un homme.
Vintimille est un vrai bœuf gras,
Et mérite bien qu'on l'assomme.
Iv
74 Clairamhault-AIaurepas,
En Vintimille,
Loin d'un digne prélat,
Pasteur habile,
Nous n'avons qu'un gros fat,
Un juif, un renégat.
Sensuel, délicat,
Des gloutons le mobile,
D'Antoine le verrat*,
En Vintimille.
En Vintimille,
Le roi nous a pourvus
D'un imbécile
De bon sens dépourvu.
Oh ! pour l'épiscopat.
Jamais dans un prélat
Nous n'aurons l'Évangile,
Ni de Noaille l'éclat
En Vintimille.
En vint-il mille
Archevêques nouveaux.
Tous à la file.
Fussent-ils cardinaux,
Tels qu'on les choisira.
Toujours on y perdra.
Noaille tout débile,
I. Mot qui signifie un cochon ou porc. (M.)
Année i'J2g, i75
Ne se retrouvera
En Vintimille^
CONFESSION
L'ARCHEVÊQUE DE PARIS
Quoique pasteur, je vis dans la crapule,
Comme un maître pourceau,
Je suis les lois de l'illustre Bérulle,
J'ai la foi d'un Manceau ;
Chacun me croit un archevêque habile,
Je suis Vintimille,
Moi,
Je suis A^intimille.
I. « Notre archevêque n'est pas généralement considéré ;
le peuple dit qu'il aime beaucoup à manger, et qu'il ne
songe qu'à sa table, en sorte qu'on le regarde comme un
goinfre. N'a-t-on pas affiché à la porte de l'archevêché,
quand il a été nommé, que Saint-Antoine (c'était le nom
du dernier) était mort, et qu'il nous avait laissé son
cochon. On a dit aussi pour bon mot qu'on ne retrou-
verait pas un archevêque comme le dernier, en vînt-il
mille. » {Journal de Barbier)
{jd Clairambault-AIaurepas.
L'on ma donné, malgré mon ignorance,
Uarchiépiscopat,
Par les conseils d'un ministre de France,
Auguste et saint prélat;
De Loyola chacun m'a su promettre
L'illustre barrette.
Fier partisan du cruel moliniste,
Impie envers Dieu,
Comme ennemi je tiens le janséniste.
Le chassant de ce lieu.
De Loyola, pour avoir le suffrage,
Partout je fais rage.
Dans chaque église, à mes désirs rebelle,
Comm.e chef Musulman,
Je saurai mettre un pasteur plein de zèle
Un bon Turc, un iman,
Qui prêchera l'Alcoran et la bulle
Sans aucun scrupule,
Lui,
Sans aucun scrupule.
Année I'j2g.
LE SAVETIER
DE LA CONSTITUTION»
Maître Nuclet, le savetier
Fameux controversiste,
Est l'effroi dans tout son quartier
Du parti janséniste;
Les prélats voulant ravager
Cette secte insolente
A Nuclet pour l'encourager
Font deux cents francs de rente.
Tout le monde dit dans Paris
Que c'est extravagance;
Pour moi je n'en suis pas surpris,
Je sais ce que j'en pense :
Ce procédé certainement
N'est pas si ridicule
I. Il y a dans la rue du Vieux-Colombier, au-dessous
de la rue Cassette, du même côté, un savetier qui fait des
controverses à Saint-Sulpice, et qui est très habile ; il a
beaucoup lu les Écritures et les saints Pères, et les cite
aussi, et plus à propos qu'un docteur de Sorbonne. C'est
chez lui qu'est le bureau d'adresse de tous les molinistes,
et il a toujours ce qu'il y a de plus nouveau et de plus
curieux dans ce genre. Ils lui font même une pension. (M.)
[78 C lairambault-AIaurepas.
On veut lui faire apparemment
Ressemeler la bulle.
Nuclet, célèbre savetier,
Connu grand moliniste,
P"^ait la guerre dans son quartier
Au peuple janséniste,
Et même, pour faire durer
La bulle unigenite,
Il vient de la ressemeler
De la peau d'un jésuite. '
Le savetier de XUnigeniiiis
Dedans Bicêtre avait été reclus ^.
Mais le besoin que l'on a de sa plume
L'en a tiré, non sans distinction ^ ;
Aussi va-t-il par un nouveau volume
Ressemeler la Constitution.
1. Il interrompit dans cette église un prédicateur, sur
un point de son sermon, en lui disant que ce qu'il avan-
çait était faux. Il fut arrêté et conduit à la Bastille, où il
a prouvé que ce qu'il avait dit au prédicateur était \Tai,
ce qui le fit mettre en liberté, et le roi lui a fait deux
cents livres de rente, et le prédicateur n'a plus prêché
depuis. (M.)
2. On dit qu'il a eu une gratification de deux cents
livres pour se consoler de sa prison. (M.)
Année 7729. 179
L'OPERA NOUVEAU
La Foire avec la Comédie,
Ces jours passés, délibéra
Comment ruiner l'Opéra ?
Je l'ai, par mainte parodie,
Vilipendé, défiguré,
Dit-elle; je l'ai balafré
De piqûres du vaudeville,
Grâce aux deux précepteurs de Gille,
Ce sage et ce bon vieux curé ^
Qui met en flon flon l'Évangile ;
Mais leur art devient inutile
Tant le goût a dégénéré.
Lors la Comédie héroïque
Répond: Sans vos contorsions.
Je sape l'empire lyrique,
Je fais, moi, ses fonctions;
Mon Andromaque pulmonique
A palpité plus d'un fredon,
Et si je fais danser Baron,
L'Opéra fermera boutique. . —
I. Le Sage et l'abbé Pellegrin.
i8o Clairamhault-Maurepas.
N'en croyez pas le Toulousain ^,
Bizarre auteur des Trois spectacles,
Reprit la Foire : ayons en main
D'autres traits ou d'autres oracles. —
Vers l'égoût du double vallon,
Elles marchaient, quand du limon
S'élève un crapaud vert et jaune,
Crapaud boursouflé, long d'une aune,
Race d'ennemis d'Apollon
Que métamorphosa Latone.
Le monstre, exhalant son venin,
Fit sortir ces paroles : Comme
Annibal veut que le Romain
Ne puisse être vaincu qu'à Rome.
L'Opéra n'est battu qu'en vain
S'il ne l'est pas sur son terrain. —
A cette réponse peu claire.
Nos deux reines des histrions.
L'ambulante et la sédentaire,
Font grandes acclamations !
Pour que notre ennemi périsse,
Mettons nos gens à son service ;
Annibal l'a prédit, croyons en ce grand homme
Qu'on ne vaincra jamais les Romains que dans Rome.
L'une offre pour musicien
L'aîné Quinault, comédien :
La Foire ayant plus de poètes
I. Jean Dumas d'Aigueberre, conseiller au Parlement de
Toulouse, auteur des Trois spectacles, trilogie singidière
représentée en 1729 au Théâtre-Français.
Année IJ2Q. i8i
Qu'Athènes n'avait de chouettes
Le grand Fuzelier appela;
Lors, le crapaud dit : Me voilà !
Ainsi le ballet des Déesses ^
Naquit ; donnez encor deux pièces
De ce style, adieu l'Opéra !
LES TABLEAUX DE TARDIF
Aux jésuites un moribond,
Leur pénitent, avait fait don
De maints tableaux de conséquence.
Les héritiers ont intenté
Procès à la Société.
Sur ce, l'on a rendu sentence
Qui les pères a condamné
1. Les Amours des Déesses, ballet, dont les paroles
étaient de Fuzelier et la musique de Quinault, fut repré-
senté pour la première fois le 9 août 1729 à l'Académie
royale de musique.
2. Tardif, ancien secrétaire du maréchal de Boufflers, avait
formé une riche collection de cent-un tableaux. En mou-
rant, il la légua par testament au noviciat des jésuites.
Ses héritiers dépossédés intentèrent à l'institut un procès
en captation qui fit grand bruit : « Cela s'est plaidé aux
requêtes de l'hôtel avec grand concours de monde, et
c'était précisément Aubry, auteur de la consultati9n des
V. 1(5
82 Clairamhault-Maurepas.
A mettre en toute diligence
Lesdits tableaux en la puissance
Des héritiers; point n'en suis étonné ;
La loi fait expresse défense
De donner turpi personnœ.
Vous qui, de tous sexagénaires,
Savez vous rendre légataires,
Escroqueurs, fils de Loyola,
Confessez, confessez, mais restez-en là.
Rusés constitutionnaires.
Ne soyez donc plus donataires ;
Ou Thémis vous étrillera.
Confessez, confessez, mais restez-en là.
avocats, qui plaidait contre les jésuites, et qui avaitarrangé
les choses de façon que par la cession d'un père à son fils,
c'était un père de l'Oratoire qui était partie adverse des
jésuites. Hier, 9 de ce mois (août), les jésuites ont perdu
leur cause avec dépens. Non seulement on a claqué des
mains, mais il y avait à la cause quatre pères jésuites que
le public a reconduits dans la cour du Palais au May, avec
des huées et une avanie épouvantables, et cela à midi,
devant tout le monde qui est dans la grande salle du
palais, dans ce temps-ci. » {Journal de Barbier.) — Ce
procès figure dans les Causes célèbres de Richer.
Année i'/2g, 183
LA
NAISSANCE DU DAUPHIN ^
Le ciel nous favorise enfin,
Nous venons d'avoir un Dauphin.
Buvons du vin au lieu de bière.
De nos cœurs chassons le chagrin^
Nous chanterons soir et matin,
Bénissons Dieu de cette affaire.
Que chacun donc se mette en train
Et versons des tonneaux de vin,
Quoique d'argent nous n'ayons guère.
Le Dauphin nous le rendra bien,
Car il en aura le moyen,
Ou ce sera monsieur son père.
I. « Grand événement dans notre État ! Dimanche, 4 de
ce mois (septembre), entre trois et quatre neures du matin,
la reine est accouchée d'un Dauphin. Aussitôt courrier à
la ville et à M. le premier président et le tocsin du Palais
et de la ville ont été entendus. A midi, il y avait déjà une
ordonnance de MM. les prévôts des marchands et éche-
vins affichée pour faire des feux de joie et illuminations
aux maisons pendant trois jours, comme aussi de fermer
184 Clairanibault-AIaurepas.
Avant que d'être au monde mis,
Toute chose montait de prix,
Même jusques à la lumière.
Mais à présent tout va changer ;
Nous avons tout lieu d'espérer
Sous un aussi beau ministère.
L'on nous va rendre notre bien.
Ainsi le prétend le Dauphin,
Qui s'est fait fort de cette affaire.
Car il est déjà généreux
Et chacun sera très heureux
Dès qu'il saura marcher par terre.
Que de gens vont être contents.
Que de femmes feront d'enfants,
Que de filles s'en feront faire !
Et les paniers, plus que jamais,
Seront utiles désormais ;
Ah ! quel gain pour chaque ouvrière !
les boutiques. Il y a eu feu de fagots à l'Hôtel de ville
avec illuminations, ainsi que toutes les rues de la ville.
« Le lundi, le Parlement, qui a la police supérieure, a
rendu arrêt pour dire que les boutiques seraient ouvertes
jusqu'à midi et que les feux et illuminations continueraient
encore le mercredi quatrième jour, et le lieutenant de
police a rendu ensuite son ordonnance en conséquence de
l'arrêt. » {journal de Barbier.)
Année ij2g. 185
Buvons à ce charmant enfant
Qui sera quelque jour très grand.
Buvons à madame sa mère.
Que Dieu lui donne d'heureux jours
Et que rien n'en trouble le cours,
Mais, vive son aimable père !
Ah ! que j'aime le Dauphin,
Son nom rime assez au vin ;
Nous en faut-il davantage
Pour lui rendre notre hommage ?
Lampons, camarades,, lampons.
Il est du sang de Bourbon,
Donnez-moi donc du bon.
J'en tire la conséquence,
Qui me paraît d'importance.
En septembre il a paru,
C'est le mois du bois tortu ;
Il portera bonne chance
Au vignoble de la France.
Hérault a fait imprimer
Qu'il fallait boire et m.anger ^ ;
I. Aussi « les maisons des échevins étaient illuminées
v. 16,
i86 Clairamhault-Maurepas.
Suivons donc son ordonnance,
C'est pour le bien de la France.
Le roi, sans faire d'édit,
Vient lui-même dans Paris ^,
Nous montrer par sa présence
Qu'il faut boire à toute outrance.
Quand au monde vint Bacchus,
On ne but pas tant de jus,
Qu'on en boit pour la naissance
De notre Dauphin de France,
Lampons, camarades, lampons.
en lampions et avec des lustres tous les jours, et deux
tonneaux de vin chaque soir à leur porte, des cervelas et
des petits pains. » {Journal de Barbier.)
I. « Le mercredi, le roi vint de Versailles à Paris, sur
les cinq heures et demie pour assister à un Te Deum qui
s'est chanté en musique.... Après le Te Deum, le roi alla
à l'Hôtel de ville avec toute sa cour. Il y fut reçu par le
gouverneur de Paris, le prévôt des marchands et échevins.
On tira un feu d'artifice magnifique. Après le feu il y eut
un grand souper. » {^Journal de Barbier)
Année i'/2g. 187
LE LYS DE VERSAILLES
Au château de Versailles,
Un beau lys il y a,
Quelque part oij l'on aille,
Rien ne vaut ce lys-là.
Ah ! qu'il est bien planté,
O gué, ma commère,
Gué, gué, gué, ô gué !
Nuit et jour on le garde
Et l'on veille alentour.
Sitôt qu'on le regarde
On est blessé d'amour.
Heureux qui peut, ma chère.
L'avoir à son côté.
De ce lys tant aimable,
Un nouveau rejeton
D'une odeur agréable
Remplit tout ce canton.
Dès qu'on a su l'affaire,
Tout le monde a chanté
I, Chanson de l'Opéra-Comique sur la naissance de
M?'" le Dauphin. (M.)
Clairainhault-Maurepas.
Pour parler sans mystère,
C'est un Dauphin charmant
Dont le ciel vient de faire
A la France un présent.
D'un don si salutaire,
Je lui savons bon gré.
On a raison de dire
De cet enfant chéri,
Que le roi, notre sire,
L'a moulé d'après lui;
Car l'enfant de Cytlière
N'est pas si bien tourné.
Tout chacun le révère,
Et quoiqu'il soit petit.
N'y a que monsieur son père
Qui soit plus grand que lui.
Sa santé nous est chère,
Que son nom soit chanté.
Mettons tous des couronnes,
Chantons des airs joyeux.
Vidons toutes nos tonnes
Pour en faire des feux.
Faisons la fête entière
Et qu'il soit bien trinqué.
O gué, ma commère.
Gué, gué, gué, ô gué !
Année i/2(), i^9
DIALOGUE PAYSAN
LA NAISSANCE DU DAUPHIN
Ah ! Colin, que je suis aise
De te rencontrer ici !
Mathurin et le gi'os Biaise
Veniont d'arriver aussi.
Paris est pis qu'une foire ;
L'on y rit de bout en bout ;
Chacun se fait une gloire
D'y bouter le feu partout.
Dame ! aussi quel avantage
Pour tout le peuple françois !
Nous avons en droit lignage
Un fils de plus de cent rois.
C'est le Dauphin dont je parle. -
Vraiment, l'on dit qu'il est biau,
Gentil, plus net qu'une parle,
Doux et droit comme un rosiau.
Voyez donc le bel oracle !
Quel conte nous fait-il là ?
[po Clairamb ault-Maurepas.
Prends-tu ça pour un miracle,
Avec le père qu'il a?
Trouverais-tu sur la terre
Un si biau prince, un mortel
Aussi bien fait pour la guerre,
Et d'un meilleur naturel?
Tatigué ! comme il jargonne ;
De la reine qu'en dis-tu ? —
Je dis qu'elle est franche et bonne,
Un vrai tableau de vertu ;
Et que de tels père et mère.
Il ne saurait provenir
Que des enfants dont, compère,
On aura bian du plaisir.
En voyant les trois princesses,
Ça se devine en deux mots ;
Ce ne sont que gentillesses,
Et de biaux petits propos.
Je gagerais bian, acoute.
Qu'elles pâment dans le cœur
D'avoir, sans qu'il leur en coûte.
Pour frère un si grand seigneur.
Dans le châtiau de Versailles,
On ne s'entend pas, ma foi :
Tout le monde est en guoguailles,
A commencer par le roi ;
Les dames pleuriont de joie.
Année I ^20. 191
Mais rien ne paraît égal
A la gaieté que déploie
Le ministre cardinal.
Sont mille gens qui tracassent,
Et des nourrices par tas ;
Des cuisiniers qui fricassent ;
Ah ! quel terrible embarras !
J'ignore où tout ça se boute,
Mais en retour je conçois
Que pour leur tremper la croûte
Il faut bian avoir de quoi ! —
Je t'acoute et tu raisonnes;
Ah ! que je sommes nigaud !
Approchons-nous de ces tonnes,
Le vin en tombe par sciaux.
Si j'attrapons par fortune
Quelques s^pes de gourdin,
Je boirons, et sans rancune,
A là santé du Dauphin.
Quel bruit ! que de pétarades !
Qu'on sent la poudre à canon !
Chacun donne des aubades ;
Le pavé n'est que charbon ;
Entends-tu les tournebroches 1
Pargué ! ça va d'un grand train.
Ah ! qu'on cassera de cloches
Si Dieu n'y boute la main ! —
[p2 Clairamhault-Maurepas.
Palsangué ! comme on nous pousse.
Il ont grillé mon chapiau.
La rencontre n'est pas douce ;
Prên garde à ce serpentiau.
Quoiqu'habitants de village,
Morgue, j'avons le cœur bon ;
Çà, crions avec courage
Vive le sang de Bourbon !
LA JOIE DE PARIS
LA NAISSANCE DU DAUPHIN^
Du prince qui nous est donné,
Célébrons la naissance;
D'un siècle pour nous fortuné,
Quel présage à la France !
Elevons nos cœurs et nos voix
Au ciel qui nous dirige-;
1. Ode chantante, présentée au roi dans l'Hôtel de ville
après le souper de Sa Majesté, le 7 septembre 1729, par
Martineau de Soleinne, d'Auxerre. (M.)
2. Le roi venait d'assister au Te Deum, chanté à Notre-
Dame en actions de grâces. (M.)
Année iy2g. 193
Il éternise de nos rois
Et la gloire et la tige.
Paris, quand jusque dans ton sein
Ton roi se communique,
Et partage du citoyen
L'allégresse publique ^
Quelle est ta fortune en ce jour !
Peuple heureux, considère
Que, dans son empire, l'amour
Le rend doublement père.
En sa présence, tous les cœurs.
Dans un nouveau lui-même.
Disent mieux que vous, doctes sœurs,
Comment il faut qu'on l'aime.
Leur joie éclate en doux transports,
Aux yeux de qui l'inspire ;
Et l'emporte sur vos accords,
Et les sons de la lyre.
Louis y lit dans tous les yeux
Qu'un Dauphin vient de naître.
France, va, publie en tous lieux
Qu'il ressemble à ton maître.
Déjà l'Amour aux champs des lys
A tout mis sous les armes ;
I, Sa Majesté n'a cessé d'y paraître vivement touchée
des preuves que le peuple donnait de sa joie et de son
amour pour sa personne. (M.)
V. 17
104 Clairamhault-Maurepas.
On prend, dit-il, pour moi le fils
D'un roi si plein de charmes.
De vos grottes, nymphes, sortez ;
Accourez sur la Seine;
Dansez au brillant des clartés
D'un riant phénomène ^ :
Ne craignez, sous l'astre qui luit,
Qu'un si beau jour finisse ;
Les Français n'auront plus de nuit,
Sous un ciel si propice !
Mille étrangers dans nos concerts,
Viendraient sur cette rive,
Surpasser nos voix dans les airs,
En s'écriant : Qu'il vive !
Nous vaincraient-ils ? Chantons sans fin :
Vivent le roi, la reine,
A qui nous devons le Dauphin
Que l'amour nous amène.
Courons repaître nos regards
Des traits d'un si beau prince.
Qu'au loin le bruit de nos remparts -
L'annonce à la province ;
Et que l'écho de tout côté,
A la ville, au village,
1. Le feu de l'Hôtel de ville et les illuminations de
Paris. (M.)
2. Le canon de la Bastille. (M.)
Année ij^g. 195
D'une longue félicité
Dise qu'il est le gage.
Tu l'apprends à plus d'un climat,
Sage dépositaire
Des sceaux et secrets de l'Etat ;
Mais ton zèle a beau faire ^
Des cœurs le guide avant-coureur,
Volant à tire d'aile.
Sait porter de notre bonheur
Bien plus loin la nouvelle.
Oui, quand ce premier mouvement
De joie aussi sincère,
Passait par ton empressement.
Au Germain, à l'Ibère,
On vit l'Amour fendant les airs.
Charmé de son ouvrage,
D'avance inviter l'univers
D'aller lui rendre hommage.
Quels doux loisirs il nous promet !
Déjà toute l'Europe,
Du présent que le ciel nous fait,
A tiré l'horoscope :
I. La reine accoucha à trois heures quarante minutes, et
les dépêches furent si diligemment faites, qu a cinq heures
et demie du matin, tous les courriers étaient partis pour
en donner avis aux ministres du roi, dans toutes les cours
de l'Europe. (M.)
[p6 Clairambaul t-AIaurepas.
Par ce rejeton de héros,
Notre fortune est stable :
Louis, pour notre plein repos,
Nous donne son semblable.
Mais, quel aspect dans ce moment !
Une heureuse planète
Influe en son tempérament
Les forces d'un athlète ;
D'un brillant progrès à nos yeux,
On le voit qui s'avance,
Et fait du Dauphin dans les cieux
Avec l'Aigle ^ alliance.
Le coursier d'oii l'on vit venir
Ce tourbillon d'étoiles-,
Grand roi, lève de l'avenir
Sur la paix tous les voiles.
Cet ascendant prédit qu'un jour
Si l'on troublait ses charmes,
Ton fils la ferait à son tour
Respecter par ses armes.
1. Suivant messieurs de l'observatoire, cette comète pro-
nostique à ce prince une complexion robuste. A Nîmes on
a observé qu'elle a passé de la constellation du Dauphin
dans celle de \ Aigle, où elle était le 6 du présent mois de
septembre. (M.)
2. Dès le 31 juillet dernier, dans la même ville, on avait
commencé à la remarquer dans la constellation du Petit
cheval, d'où elle sortit pour entrer dans celle du Daii-
phin. (iM.)
Année i/2f). 197
Dans ce prince, tout nous apprend
Quelle gloire future,
Sur les pas de Louis le Grand,
Son beau sang nous assure !
S'il te prend pour guide aux combats
Que tu livres aux vices ;
Que son cœur ne vaincra-t-il pas
Sous tes heureux auspices ?
A peine est-il, que les jeux
Les ris autoui- des tonnes ^
Célèbrent partout, en tous lieux,
Ce lien des couronnes ;
Et qu'on voit, d'un accord nouveau,
Les grâces de sa mère
Se joindre autour de son berceau.
Aux vertus de son père.
La foi qui doit tout à son nom,
D'abord sur lui s'empresse
A mettre l'auguste cordon
De l'esprit de sagesse ^.
Tel signe est un droit de son rang;
Mais ce symbole enseigne
1. Le vin coulait dans toutes les places et dans la plu-
part des rues, devant les hôtels des princes, ministres et
seigneurs qui ne cessent de donner des fêtes. (M.)
2. Ce fut M. le marquis de Breteuil, prévôt et maître
des cérémonies de l'Ordre, qui le lui porta. (M.)
V. 17.
Clairamhault-Maurepas.
Que c'est plus la marque du sang
Où la piété règne.
Digne enfant de tant de soupirs,
Vous, dont à la naissance,
Pour combler nos justes désirs,
Présida la Balance ^.
Sur vous, du trône cher appui,
Quel bonheur ne se fonde !
Non, il n'est de biens qu'aujourd'hui
Vous n'apportiez au monde.
Quel don ! si par de tels bienfaits,
Le ciel, grande princesse,
Couronne ainsi pour vos sujets
Toute votre tendresse ;
Les vertus pour nous rendre heureux.
Vous sont si familières,
Qu'il est moins le prix de nos vœux,
Qu'un fruit de vos prières.
Vous, autre exemple des mortels,
Fleury, que rien ne tente " ,
Qui servez l'État, les autels.
D'une âme si fervente !
Par ce digne héritier des lys,
1. Monseigneur le Dauphin est né sous ce signe du
Zodiaque, le 4 de septembre. (M.)
2. S. E. M, le cardinal de Fleury, ministre et premier
plénipotentiaire de roi au congrès de Soissons. (M.)
Année 1^2 g. 199
Leur gloire régénère ;
Et tous nos souhaits sont remplis
Sous votre ministère.
Oh ! qu'à ton gré, de jour en jour,
Tu vas, heureuse France,
Voir dans les bras de Ventadour
Croître tant d'espérance !
Ses veilles ont assez prouvé
Son amour pour le père,
Mais le fils, dans elle, a trouvé
Encor plus d'une mère *.
Dans le cours de si doux transports-,
Toi qui, dans cette fête,
1. M™^ la duchesse de Tallard, sa petite-fille, reçue en
survivance, gouvernante des enfants de France. (M.)
2. Ces derniers couplets n'ont paru qu'au festin donné
par le corps de ville, le douzième de ce mois, à son
E. M. le cardinal de Fleury, et à tous les ambassadeurs et
ministres des puissances étrangères. (M.)
« L'Hôtel de ville donna un grand repas, qui com-
mença à trois ou quatre heures après-midi, où étaient
M. le cardinal de Fleury, qui était en habit de cérémonie,
tous les ministres étrangers, plénipotentiaires du congi-ès,
tous les ambassadeurs étrangers qui sont à Paris, les secré-
taires d'Etat, M. l'archevêque de Paris, tous les chefs des
compagnies, les présidents à mortier. M. le lieutenant civil
et le procureur du roi y étaient aussi. Il y avait, dit-on,
cent quatre-vingt personnes, quatre tables de quarante-
cinq personnes, lesquelles ont été passablement servies, et
où l'on s'est placé sans cérémonie, ainsi qu'on s'est trouvé.
Cela était dans la grande salle, avec une symphonie magni-
fique. » {Journal de Barbier.)
200 Clairamhault'Maurepas.
Du peuple animes tout le corps,
Et qu'on voit à sa tête,
Gesvres ^ , en tous les hauts emplois,
Si ta noble ardeur brille,
Ne sait-on pas que pour nos rois,
Tu la tiens de famille ?
Quel spectacle on doit à tes soins !
Que de magnificence !
Turgot^, quels yeux en sont témoins ?
Ton roi, l'œil de la France !
Quel prix pour toi, que les honneurs
Dont il paya ton zèle ^ !
En tout événement, nos cœurs
Ont le tien pour modèle.
Vous serait-il indifférent.
Peuples voisins, d'apprendre
De la paix, qu'un nouveau garant
Ne se fait plus attendre ?
Il est venu ce jour heureux,
Oii le ciel qui le donne.
De la joie allumant les feux.
Éteint ceux de Bellone.
1. M. le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, de père
en fils depuis longtemps. (M.)
2. M. Turgot, président de la deuxième chambre des
requêtes du Parlement, et prévôt des marchands. (M.)
3. Sa Majesté, contente de la manière dont elle avait été
reçue, lui en témoigna sa satisfaction et aux échevins. (M.)
Année l'J2g. 201
COMMENT FAIRE?
Avant que d'avoir un Dauphin,
Français, vous murmuriez sans tin,
Le ciel tâche à vous satisfaire,
Louis vous donne ce trésor,
Et si vous murmurez encor,
Comment faire ?
Vous vous lassez dans le repos :
De guerre on tient quelques propos,
Louis l'accepte pour vous plaire,
Bien loin d'en paraître contents.
Vous criez comme auparavant,
Comment faire?
Si l'on vous charge d'un impôt,
Vous le payez sans dire mot,
De crainte d'un plus mercenaire ;
Si on vous l'ôte, dès l'instant
Vous n'en êtes pas plus content ;
Comment faire ?
ANNÉE 1730
REQUÊTE
AUX AVOCATS DE PARIS ^
Vite à moi la cinquantaine-,
A mon secours, chers amis ;
Me voici mis sur la scène
A côté de Montempuis.
Et allons, ma tourlourette^
Et allons, ma tourlouron.
Hélas ! monsieur et madame,
Dans Montempuis^ n'étaient qu'un;
1. Chanson en forme de requête aux avocats, au nom de
M. Feu, curé de Saint-Gervais, à Paris, au sujet d'un
enfant qui a été baptisé en son nom à l'Hôtel-Dieu. —Tiré
d'un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Germain-des-
Prés. (M.)
2. Les cinquante avocats qui avaient rédigé la consul-
tation sur le concile d'Embrun.
3 L'abbé qui s'est déguisé en fille pour aller à la
Comédie-française. (M.) — Cf. ci-dessus, pages 92 et suiv.
204
Clairambault-Maurepas.
Mais Feu, pris avec sa femme,
Sont deux sous un nom commun.
De cet accord légitime
Est survenu par malheur
Certain ouvrage anonyme,
Mis au jour sans nom d'auteur.
L'ennemi de mon beau zèle
Dit, voyant ces fruits heureux:
Eloignons cette étincelle
Oui produirait bien des feux.
Mais après tout, qu'on murmure
A la Cour et dans Paris,
Les ouvrages qu'on censure
Ne perdent rien de leur prix.
Depuis longtemps vos oreilles
Sont faites à ces clameurs :
Les plus beaux fruits de nos veilles
Trouvent toujours des censeurs.
En dépit de l'anathème
Dont Rome nous a flétri
J'aurais choisi ce système
Pour grossir notre parti.
Sur le métier, mon ouvrage
A pourtant resté neuf mois
Année ijSo. 205
Ce n'est pas mal à mon âge,
Si c'est la première fois.
Mais tandis que je m'apprête
A la seconde édition
Un officiai m'arrête
Faute de permission.
En pareil cas, qu'ai-je à faire
Pour me tirer d'embarras.
Sinon de porter l'affaire
A l'ordre des avocats.
Pour vous, nos illustres maîtres,
Quelle taille ! quel éclat !
Si vous dégagez nos prêtres
Des liens du célibat.
Vous en trouverez, je pense.
Dix fois plus que de clients :
Plus d'un, sans votre dispense,
A déjà pris les devants.
Mais surtout pour ma défense
Cent et cent fois, répétez
Que de l'Église de France,
Telles sont les libertés.
Si Rome, trop difficile,
Par ses canons le défend,
V. • 18
2o6 C l airambault-AIaurepas
Appelons-en au concile^
Et faisons en atlendant :
Si le concile contraire
Nous condamne à ce sujet,
Du moins il ne peut défaire
Tout ce que nous aurons fait.
Et allons, ma tourlourette,
Et allons, ma tourlouron.
L'EVEQUE DE SOISSONS^
MARIE ALACOQUE
Quelle bile noire et subite.
Ami, dans ce moment t'agite?
Que veut dire cet air rêveur?
D'oi!i te vient cet air de tristesse?
Aurais-tu perdu par malheur
Ton procès ou bien ta maîtresse?
I. Jean-Joseph Languet de Gergj', docteur en Sorbonne
et fougueux moliniste, avait été nommé, en 1715, évêque
de Soissons. Son zèle exagéré en faveur de la Constitu-
tion Unigenitus lui suscita de violentes inimitiés, et son
Année lySo. 207
Ah ! le désespoir me surmonte.
Console-toi, mon cher Oronte. ■
Je viens de perdre mon procès,
Cette injustice me suffoque ;
L'on me condamne par arrêt
A Hre Marie Alacoque ^.
histoire de Marie Alacoque excita les railleries du pubHc.
A la fin de 1730, il fut nommé archevêque de Sens, et, en
1747, conseiller d'État. Depuis 1721, il était membre de
l'Académie française, où il fut remplacé par Buffon, et il
est à remarquer que ni son successeur, ni le directeur de
l'Académie, ne rappelèrent dans leurs discours sa vie et
ses ouvrages.
I. Le Journal de Barbier, fidèle écho de l'opinion pu-
blique, résume ainsi l'impression générale : « M. Languet,
évêque de Soissons, a fait la plus grande sottise au com-
mencement de cette année qu'il pouvait faire. Il a fait un
livre qui est la relation de la vie d'une religieuse dans le
couvent de Paray-le-Monial, morte en 1690, et il a dédié
ce livre à la Reine. Cette religieuse avait une singulière
dévotion au cœur de Jésus-Chrisc. On décrit dans ce livre
toutes ses austérités, ses méditations dans lesquelles elle
avait une conversation réglée avec Jésus-Christ. Cette fille
s'appelait Marguerite-Marie Alacoque. Dans les enthou-
siasmes de cette conversation toute spirituelle, notre
évêque fait tenir des discours très tendres à la religieuse
et à Jésus-Christ, avec des expressions trop vives que les
lecteurs ont tournées à mal. Cela a suffi pour que toute la
cour et la ville aient voulu avoir ce livre. Il n'était plus
question que de Marie Alacoque, dont le nom s'est trouvé
plaisant par hasard, et cela a occasionné cent contes plus
ridicules les uns que les autres sur M. l'évêque de Sois-
sons, tant en prose qu'en vers. »
La correspondance de Marais nous conserve quel-
ques-unes de ces facéties du public auxquelles Barbier
fait allusion : « On ne dit plus des œufs a la coque, mais
des œufs a la Soissons, et on appelle la bonne religieuse
2o8 Clairamhault-AIaurepas.
Jadis, un fou tout à son aise
Brûla le temple d'Ephèse
Afin qu'on se souvînt de lui.
Languet aspire à même gloire :
Son livre lui donne aujourd'hui
Pareille place dans l'histoire.
Sans cette fable incomparable
Qu'aurait ce prélat de passable ?
En lui tout est digne d'oubli.
De ses vertus voici la liste :
Il sut copier Tournély ^
Et tourmenter le janséniste.
Mais, par sa Marie Alacoque,
Qu'il nous peint en fille équivoque,
la mère aux œufs. Alacoque est devenu un nom de carna-
val. M. de Soissons passait dans son carrosse ; les petits
enfants crièrent qu'il y avait un cheval déferré ; un laquais
descend, on lui présente un fer qu'il voulut prendre, on
lui donne des verges sur les doigts, et tous les polissons
au lieu de crier : // ch... au lit, crient Alacoque....
On poursuit toujours M. de Soissons sur son Alacoque.
On vend des rubans à la coque, et le Roi lui-même lui a
demandé s'il avait permis les œufs a la coque dans son
diocèse povir le carême, à quoi il eut assez de peine à ré-
pondre. »
I. Le P. Tournély passait pour avoir été le teinturier
des écrits relatifs à la bulle Utiigetiitus que Languet avait
publiés. Comme il était mort lorsque l'évêque de Soissons
fit imprimer la Vie de Marie Alacoque, les mauvais plai-
sants dirent qu'il avait emporté l'esprit de Languet et ne
lui avait laissé que la coque.
Année lySo. 20^
Ce prélat brille assurément :
Le songe-creux de sa marotte
Doit le rendre infailliblement
Digne aumônier de la Calotte ^.
EPIGRAMMES
L'EVEQUE DE SOISSONS
Sapons les fondements du parti janséniste,
Dit au pape Benoît l'évêque de Soissons;
Depuis près de cent ans ce parti nous résiste,
Pour le détruire enfin faisons-nous des raisons. —
Ils ont pour eux saint Paul et les autres Apôtres,
Ils ont saint Augustin, saint Prosper et tant d'autres :
Faisons des saints pour nous, dit l'évêque Languet. —
Je le veux, dit Benoît, voilà Grégoire Sept -. —
1. Il eut, en effet, un brevet satirique non d'aumônier,
mais d historiographe du régiment de la Calotte.
2. Benoît XIII ordonna d'insérer l'office de Grégoire VII
dans le bréviaire, comme celui d'un saint, et en fixa la fête
au 25 mai. Quelques Parlements de France défendirent par
arrêt de réciter cet office, et six évêques publièrent des
mandements dans le même sens.
2IO Clairamhault-Maurepas.
1\ est vrai, dit Languet, mais le parti s'en moque
Canonisons plutôt Marion Alacoque ^
Languet vient d'orner les vertus
De Marie Alacoque,
Dans un style obscène et confus
Dont tout Paris se moque.
Son frère même- le curé
S'écrie : A la bonne heure,
Voilà du papier assuré
Pour habiller mon beurre-.
Languet a fait un écrit
Dont tout Paris se moque.
Il est pourtant bel esprit,
Mais chacun crie après lui :
La coque, la coque, la coque !
1. « Les jansénistes disent qu'ils ont pour eux des saints
comme saint Paul, saint Augustin, etc., etc., que les mo-
linistes font des Alacoque pour avoir des saints de leur
côté. M. de Boissons dit qu'il n'y a que des hérétiques
et des sots qui trouvent son livre mauvais. » {Corresp. de
Marais.)
2. Le curé de Saint-Sulpice se faisait un gros revenu
du beurre qu'il faisait vendre à la maison de l'Enfant-
Jésus. (M.)
Année ijSo. 211
Halte-là ! petits et grands,
Si cet écrit vous choque ;
Deux prélats des plus savants
Approuvent, dans Orléans,
La coque, la coque, la coque.
Des Calottins l'ordre entier
D'un zèle réciproque,
Vient d'enjoindre à leur greffier.
D'inscrire au grand sottisier :
La coque, la coque, la coque.
Lorsque Soissons s'est vu choisi
Pour le conseil de conscience.
Il a dit : Grâce à Fleury,
Je deviens homme d'importance.
Et je prends tout droit le chemin
D'être précepteur du Dauphin.
Je vais faire en style dévot
L'histoire de sainte Alacoque ;
Qu'importe de passer pour sot
Et que tout le monde s'en moque,
Si je prends tout droit le chemin
D'être précepteur du Dauphin ?
212 Clairambault-Maurepas.
Pour ressembler à Fénelon
Languet a pris une Guyon ^
Qu'il canonise sans scrupule.
Languet, tu te tourmente en vain,
Tu ne seras que ridicule
Et point précepteur du Dauphin.
Un fou dit dans sa bicoque - :
Moïse est œuvre baroque.
Faisons de cette breloque
Un roman tendre et nouveau.
Languet, jaloux, le provoque.
Et lui dit pour réciproque :
Voilà Margot à la coque,
C'est un plus friand morceau.
Est-ce la foi, Languet, plutôt que l'espérance
Dont le saint motif t'a porté
A donner un livre à la France
Dont la pieuse extravagance
1. On sait que Fénelon, sous l'influence des idées mys-
tiques de M'"'= Guyon, avait écrit un livre des Maximes des
Saints, qui fut condamné par la cour de Rome.
2. Le P. Berruyer, auteur de YHistoire du Peuple de
Dieu. (M.)
Année ij3o. 2\
Partout blesse la vérité ?
On ne croit pas qu'un moliniste
Gratis se fasse apologiste
Du pur amour et de la charité.
LE SUPPLICE DE BAUDRIERS
HÉRAULT, ministre exécuteur
Du manège jésuitique,
Cesse désormais d'avoir peur'.
Pourquoi cette terreur panique,
Et d'archers ce nombre infini
1. Vers au sujet du nommé Baudrier, mis au carcan à
Paris pour avoir colporté des ouvrages contre la Constitution.
(M.) — On lit dans V Abrégé chronologique des événements de
la Constitution : « Le 2 mars, M. Hérault à la tête d'une
commission extraordinaire, condamne Baudrier à être mis
au carcan en place de Grève, pour avoir conduit des bal-
lots d'écrits contre la Constitution, et avoir déclaré que
sachant le contenu des ballots, il l'avait fait pour l'intérêt
de la vérité. »
2. « Le jour qu'il a fallu l'exposer, le peuple s'assembla,
et on le regardait comme un martyr ; il y eut même quel-
ques prêtres arrêtés qui se préparaient à chanter le Te
Deiwi. On ne l'exposa point, mais deux jours après il a
été mis avec grande compagnie d'archers, et il n'a point
chanté. Le jugement est affiché par tout Paris. Il a ré-
pondu dans son interrogatoire comme un fanatique ; il est
banni pour six ans. » [Corresp. de Marais.)
214 Clairambault-AIaurepas.
Pour escorter un misérable ?
Il sait que tu ne l'as puni
Que parce qu'il n'est pas coupable,
Et qu'il soutient la vérité
Du dogme de la sainte Eglise,
Dont ton cœur ne s'est écarté
Que par esprit de convoitise.
Tu sens comme tous les méchants
Les remords de ta conscience ;
La noirceur de tes jugements
Bannit de chez toi l'assurance.
A la naissance du Sauveur,
Tel fut d'Hérode le salaire ;
Il ne put rassurer son cœur
Quelque massacre qu'il pût faire;
Le ciel qui cherche à te toucher
T'a déjà privé de ta femme,
Ton frère est prêt à succomber ^;
L^n autre est mort d'un mal infâme-.
Attends donc comme Pharaon
Le comble du courroux céleste
Et qu'indigne de tout pardon,
Des tiens tu détruises le reste.
Pour nous charger d'indignes fers;
En tous lieux tu viens nous poursuivre
1. L'abbé avait essuj'é l'opération de li... (M.)
2. Il était mousquetaire; la chronique dit qu'il s'était
enfermé avec une fille pendant huit jours, et qu'il s'en
était tant donné qu'il tomba d'épuisement dont il est
mort. (M.)
ADRIENNE LECOUVREUR
0 Tragédienne (J)
Année ijSo. 215-
Et nous, des tourments des enfers,
Nous prions Dieu qu'il te délivre.
Quoi que tu fasses, calme-toi,
Jésus-Christ veut qu'on sacrifie
A l'amour de la sainte loi,
Les biens, le repos et la vie.
Des maux que l'on nous aura faits.
Il se réserve la vengeance.
Les martyrs n'opposaient jamais
La révolte à la violence ;
On vit le culte des païens
S'établir par l'effort des armes ;
Mais le triomphe des chrétiens
Est la foi, la paix, et les larmes.
LE TOiMBEAU
D'ADRIENNE LECOUVREUR^
Quel contraste frappe mes yeux !
Melpomène ici désolée.
Élève avec l'aveu des dieux
Un magnifique mausolée.
I. Adrienne LecomTeur, que ses contemporains regar-
daient comme la première tragédienne du temps, mourut,
dit-on, empoisonnée par la duchesse de Bouillon, qui lui
2i6 Clairamhault-Maurepas.
Ici la superstition*
Distinguant jusqu'à la poussière,
Fait un point de religion
D'en couvrir une ombre légère ^.
Ombre illustre, console-toi,
En tous lieux la terre est égale ;
Et lorsque la Parque fatale
Nous fait subir sa triste loi,
Peu nous importe où notre cendre
Doive reposer pour attendre
Le temps où tous les préjugés
Seront à la fin abrogés.
Les lieux cessent d'être profanes
En contenant d'illustres mânes :
Ton tombeau sera respecté.
S'il n'est pas souvent fréquenté
Par les diseurs de patenôtres,
Sans doute il le sera par d'autres
Dont l'hommage plus naturel
disputait l'amour du maréchal de Saxe. « Ses talents, dit
Bouhier, m'avaient paru supérieurs à ceux des Champ-
meslé, des Duclos et des Raisin. A la voix près, qu'elle avait
moins touchante et moins belle que les autres, elle l'empor-
tait fort à mon avis pour l'action et pour le jeu naturel. »
I. « M. le curé de Saint-Sulpice a été voir, au sujet de
cette mort. Monseigneur l'archevêque, et le curé n'a pas
voulu la laisser enterrer au cimetière. Il a fallu un ordre
de M. le lieutenant de police pour la faire enterrer dans un
chantier du faubourg Saint-Germain. Mais le plus plaisant
est que par son testament elle avait laissé deux mille livres
à Saint-Sulpice que le curé n'aura pas. » {Journal de
Barbier.)
Année ijSo. 217
Rendra ton mérite immortel.
Au lieu d'ennuyeuses matines,
Les Grâces en habit de deuil
Chanteront des hymnes divines
Tous les matins sur ton cercueil.
Sophocle, Corneille, Racine,
Sans cesse répandront des fleurs,
Tandis que Jocaste et Pauline
Verseront un torrent de pleurs.
Enfin pour ton apothéose
On doit te faire une ode en prose.
Ce chef-d'œuvre d'un bel esprit
Vaudra bien du moins un obit.
Méprise donc cette injustice.
Qui fait refuser à ton corps
Ce que par un plus grand caprice
Obtiendra Pelletier Des Forts.
Cette ombre impie et criminelle
A la honte du nom françois,
Quelque jour dans une chapelle
Brillera sous l'appui des lois.
Ainsi par un destin bizarre,
Ce ministre dur et barbare
Doit reposer avec splendeur.
Tandis qu'avec ignominie
A l'ombre d'une Cornélie
On refuse le même honneur ^.
I. « C'est Arouet, fameux poète, qui a faii cette pièce de
19
2i8 Clairamhault-Maurepas.
Pourquoi donc s'informer où gît la Lecouvreur ?
Pour sa gloire et pour son honneur,
Qu'importe de savoir où sa cendre repose?
Vous qui la connaissiez, dressez-lui des autels
Et donnez-lui l'encens qu'on doit aux immortels ;
Mais laissant son apothéose,
Disons plutôt qu'au lieu d'avoir perdu le jour
La Lecouvreur n'a fait que changer de séjour ;
Que celle qui faisait l'honneur de ce théâtre,
Celle dont tout Paris, longtemps admirateur.
Devint à la fin idolâtre; "
Celle pour qui Jocaste au gré du spectateur
Avait l'art d'exciter la pitié, la terreur ;
Celle enfin qui de Phèdre, avec son art suprême,
Peignait si bien l'amour, la haine et la fureur,
Etait Melpomène elle-même.
Sous le nom de la Lecouvreur,
vers. Il en voulait personnellement à M, le contrôleur
général Le Pelletier Des Forts qui, justement, a été chassé
du ministère. Quand il parle d'une ode en prose pour chef-
d'œu\Te, c'est pour se moquer de M. de La Motte, bel
esprit qui a fait des odes et dont la poésie sent la prose
dans ^laquelle il excelle. » {Journal de Barbier.) — Dans
son Epitre dédicatoire de Zaire, Voltaire a rappelé ce
triste refus de sépulture :
L'aimable Lecouvreur,
A qui j'ai fermé la paupière,
N'a pas eu même la faveur
De deux cierges et d'une bière.
Et que monsieur de Laubinière
Porta la nuit par charité
Ce corps autrefois si vanté
Dans un vieux fiacre empaqueté
Vers le bord de notre rivière.
Année ij3o. 219
Qu'est-il donc besoin qu'on l'enterre ?
Est-il chez les mortels des tombeaux pour les dieux?
C'est pour nous qu'ils ont fait la terre,
C'est pour eux qu'ils ont fait les cieux.
LA
NAISSANCE DU DUC D'ANJOU^
Je veux à mon maître
Boire comme un trou,
Il vient de nous naître
Un beau duc d'Anjou.
Vertubleu ! qwel homme, quel homme, quel homme!
Vertubleu ! quel homme que notre bon roi !
De cinq enfants père',
Agé de vingt ans !
1. « Le 5 août, naissance de M. le duc d Anjou, dont
la reine accouche heureusement. Cette seconde faveur du
ciel qui assurait d'autant plus la succession de la couronne
dans la maison royale, causa autant de joie en France
qu'elle donna de tranquillité sur cet objet à tous les princes
de l'Europe. Le roi assista au Te Deiim solennel qui fut
chanté à Notre-Dame, le 2 septembre, en actions de grâces
de cet heureux événement, et la reine vint elle-même dans
cette cathédrale le 6 novembre, remercier Dieu de ses bien-
faits. » {Journal historique.)
2. Ces cinq enfants étaient : Louise-Elisabeth et Anne-
220 Clair ambault-Maurepas.
L'aventure est fière :
Buvons mes enfants.
S'il était grand père
Dans dix ans d'ici,
La plaisante affaire,
Le vieillard joli !
Ma foi nos provinces,
S'il va de ce pas,
A tant de beaux princes
Ne suffiront pa?.
Cherchons-leur des titres ;
Versez-moi du vin ;
Ouvrons les registres
Du dieu du raisin.
Champagne et Bourgogne
S'offrent à mes yeux ;
Il est en Gascogne
Du jus précieux.
Ah ! pour notre sire
Quel contentement,
De se reproduire
Si facilement.
Henriette de France, nées le 14 août 1727, Louise-Marie,
née le 28 juillet 1728, le Dauphin et le duc d'Anjou qui
mourut en 1733.
Année ij3o. 22 1
Remplissez mon verre ;
Portons par nos chants
Au bout de la terre
Ses heureux talents.
Cher Bacchus, arrange
Tes bienfaits pour nous,
Règle la vendange
Sur des dons si doux.
Pour tant de naissances,
Vois ce qu'il nous faut,
Dans tes ordonnances
Songe qu'il fait chaud.
Que pour notre reine,
Des dieux bienfaisants,
Notre amour obtienne
S'il se peut cent ans.
Mon Dieu ! qu'elle est bonne !
Vidons nos flacons :
Les biens qu'elle donne
Suivent nos moissons.
Vertubleu ! quel homme, quel homme, quel homme !
Vertubleu ! quel homme, que notre bon roi !
222 Clair amhault- Maure-pas .
HARANGUE DE M. HÉRAULT
ECOLIERS DE SAINTE-BARBE i
Vexez goûter, tendre jeunesse,
Un sort plus doux;
Fleury vous montre la tendresse
Qu'il a pour vous.
Il vous ôte des précepteurs
Tous hérétiques.
Et vous donne pour conducteurs
La fleur des catholiques.
I. Le collège Sainte-Barbe abritait deux cents écoliers
pauvres, que l'on appelait Gillotins, en souvenir de Robert
Gillot, docteur de Sorbonne, qui, le premier, en avait re-
cueilli dans oe lieu. « Ces écoliers, dit Barbier, allaient en
classe au collège du Plessis. Il y avait un principal et sept
ou huit ecclésiastiques qui enseignaient cette jeunesse. Il
en sortait les meilleurs écoliers de Paris et les gens les
plus savants, mais d'une morale non convenable au temps,
parce que ces ecclésiastiques étaient grands jansénistes de
leur métier. » Aussi le cardinal Fleury et l'archevêque de
Paris résolurent-ils de les expulser. Le 7 octobre 1730, à
six heures du matin, « M. Hérault, lieutenant de police,
M. Moreau, procureur du Roi, le commissaire Lecomteet
autres, avec nombre d'archers sont entrés dans ce collège,
dont ils ont fermé les portes. M. le lieutenant de police a
fait un discours pathétique aux écoliers, pour leur faire
trouver bon l'ordre du Roi. On a chassé et renvoyé le
principal et les autres ecclésiastiques. On a évalué ce que
Année ij3o. 223
Ils arrivent de Saint-Sulpice,
Oh ! le saint lieu !
Rendez pour un si grand service
Grâces à Dieu;
Qu'entre eux et vous toujours l'ardeur
Soit réciproque :
Leur chef vous vient du grand auteur
De Marie Alacoque.
Enfants, écoutez leur parole
Avec respect,
Il ne viendra de cette école
Rien de suspect.
Vous aurez des livres pieux
Dont la lecture
Vous instruira mille fois mieux
Que la sainte Ecriture.
Reprenez, malgré tous les gardes,
Votre air serein;
pouvaient valoir les meubles de leur chambre, dont on
leur a délivré l'argent comptant, et on a substitué à leur
place des prêtres sulpiciens. Tous ces pauvres écoliers qui
étaient fort attachés à leurs maîtres, y ont marqué leur
mécontentement par leurs pleurs. Il y en a même qui ont
jeté des pierres à un jésuite qui regardait à une fenêtre du
collège. On a voulu les apaiser en leur donnant des pou-
lardes à souper, que le cuisinier qui demeurait depuis
trente ans dans la maison a dit n'y avoir point encore vu
manger. M. Hérault y a dîné et resté toute la journée. Le
lendemain et autres jours suivants, la plus grande partie
des parents a retiré les enfants. »
224 Clairamhault-AIaurepas.
Je veux vous nourrir de poulardes,
Et dès demain ;
Et pour que la troupe souvent
Soit régalée,
Je ferai par mon camp volant ^
Confisquer la Vallée ^.
LE DISCOURS
M. DE LA PARISIERE
L'abbé de La Parisière'
Dit au roi dans son discours :
Sire, prêtez-nous secours
1. Après l'exil de M. le Duc, la garde fut dans tous les
marchés. (M.)
2. On appelait la Vallée l'endroit du quai des Augustins
où se tenait le marché du gibier et de la volaille que les
paysans apportaient pour la provision de Paris.
3. Jean-César Rousseau de la Parisière, évêque de Nîmes.
Député à l'assemblée du clergé de 1730, il y fut chargé de
la harangue de clôture que l'on adressait au roi. Il se plai-
gnit vivement de ce que quarante avocats avaient signé un
mémoire en faveur de curés d'Orléans interdits, pour
revendiquer les droits du Parlement en matière d'appel
comme d'abus des censures ecclésiastiques. Ce mémoire fut
supprimé par arrêt du conseil du 30 octobre.
Année ijSo. 22^
Contre un mal que l'on doit faire.
Je n'en dirai pas le nom,
Mais ce mal nous désespère.
Je n'en dirai pas le nom;
Procurez-nous guérison.
Abbés et prélats ensuite
Aussitôt ont répété :
Sire, il a dit vérité;
Ordonnez une visite.
Nous n'en dirons pas le nom,
Mais nous en craignons les suites,
Nous n'en dirons pas le nom ;
Procurez-nous guérison.
Le roi, d'un air débonnaire.
Dit : J'ignore votre mal.
Mais Petit et Malaval ^
Prendront soin de votre affaire :
Ils n'en diront pas le nom,
Ils ont appris à se taire.
Ils n'en diront pas le nom ;
Recevez d'eux guérison.
I. Chirurgiens. (M.). On comprend sans peine la plai-
santerie. Elle frappait d'autant plus juste que le prélat
passait pour avoir des mœurs fort suspectes.
226 Clairambault-Alaurepa.
LA RECOMPENSE
DE L'AVOCAT DAUNARDi
Il faut que la cour se cotise
Pour dignement récompenser
Celui qui vient lui dénoncer
De nos avocats la sottise.
Le roi lui donnera, sans grande résistance,
Tout ce qu'il perdit hier à la réjouissance -.
Notre ministre cardinal,
Encore plus libéral,
Pour marquer sa grande largesse,
Au dénonciateur cédera sa noblesse.
Le sage et ferme d'Aguesseau
Lui donnera le quart du revenu du sceau ^.
La belle récompense !
1. « Un avocat, nommé Daunard, qui plaide bien, et a
beaucoup d'emploi, s'est voulu distinguer. Il a refusé de
signer le mémoire ou la première requête [pour les curés
d'Orléans] ; il a même dit que les quarante se tireraient
de la sottise qu'ils avaient faite comme ils pourraient ;
mais que, pour lui, il continuerait toujours de plaider
quand les autres cesseraient. Ma foi ! cette affaire a mal
tourné pour lui, car, à la rentrée, ceux qui étaient char-
gés des causes contre lui ont refusé de plaider. » [Journal
de Barbier.) Daunard fut rayé du tableau des avocats.
2. Le roi jouait et gagnait beaucoup.
3. A cause qu'il ne les a pas. [Note de Barbier.)
Année ij3o» 22^
Et Chauvelin lui léguera
Les présents qu'on lui offre, et qu'il refusera *.
Autre magnificence :
Portail lui fera son présent
De l'estime qu'il s'est acquise en Parlement -,
Et notre seigneur Vintimille
A tous les curés de la ville
Ordonnera avec rigueur
De boire à la santé du dénonciateur :
Ce qui, selon la foi que le prélat professe,
Lui fera plus de bien que non pas une messe ^.
Hérault au dénonciateur
Accordera le privilège,
D'écrire et vendre seul le mémorable siège
Qu'il fit à Sainte-Barbe, et dont il fut vainqueur ^.
Enfin tout le clergé de France
1. Sur ce qu'on a dit qu'en qualité de secrétaire d'Etat
des Affaires étrangères, il avait reçu de grosses sommes
pour le traité de Séville de la part des Anglais. {Note de
Barbier)
2. A cause de ce qui s'est passé lors du dernier lit de
justice du mois d'avril. [Note de Barbier.)
3. Notre archevêque : disant qu'il aime à boire et qu'il
n'est pas dévot. {Note de Barbier.)
4. Lorsqu'il est venu chasser les prêtres qui étaient au
collège de Sainte-Barbe. {Note de Barbier.) — L'on avait
gravé une estampe janséniste qui représentait le cardinal
et l'archevêque avec un héraut à leur tête, exécutant
leurs ordres ; le cadre était orné de devises sacrées, et au
bas se lisait cette inscription :
Fracta pietaiis incunabula,
Schola vertlalis everste
Dotntis hostibus tradita,
vu octobr. MDCCxxx.
228 Clairambault-Maurepas,
Lui fera pension
Non pas sur leur propre finance,
Mais sur le bien que fait la Constitution.
LES AVENTURES
MADEMOISELLE PELISSIER
Or écoutez^ grands et petits,
Ce qui se passe dans Paris
D'un juif avec une chrétienne,
Qui, comme une vilaine chienne,
Couche avec lui impunément.
Le tout pour avoir son argent.
Son mari qui est à Rouen
Est venu fort secrètement
I. « François Lopez Dulys, juif, né à Amsterdam, et
prodigieusement riche, fit, en 1729, un voyage à Paris. Il
s'y amouracha de la Pélissier, actrice de l'Opéra, peu jolie
et sans esprit ; il fallut bien des négociations pour en venir
à bout... Le mari de la Pélissier écrivit à Dulys que sa
femme était à son service s'il voulait donner 15,000 livres
pour elle et 10,000 livres pour lui. Le marché fut conclu,
et la Pélissier employa tout son art pour tirer de lui une
grande quantité de pierreries. » {Mélanges de Boisjoiirdain.)
Année lySo. 22<^
Et s'en est retourné de même
Après lui avoir fait son thème
Et donné son consentement
Pour duper cet indigne amant.
Elle part donc avec ce juif ^
Qui pue comme un quintal de suif,
Pour aller faire sa fortune,
Qu'elle dit n'être pas commune.
Enfin elle suit sans horreur
L'ennemi de notre Sauveur.
Elle se moque de cela
Et prend congé de l'Opéra :
Adieu, Paris, adieu parterre,
Tu ne nous feras plus la guerre.
Adieu, Francœur^, mon petit cœur.
Je te souhaite bien du bonheur.
Adieu tous mes anciens amis :
Je vais dans un autre pays
Que l'on appelle la Hollande,
Où personne ne vous demande
Si vous êtes juif ou chrétien,
Car tout cela ne sert de rien. —
1. Elle refusa de le suivre en Hollande, après le lui
avoir promis. (Cf. ci-après p. 253.)
2. François Francœur, entré fort jeune en qualité de
violoniste à l'Opéra, avait été admis dans la musique de la
Chambre du roi.
230 Clairamhault-Maurepas,
Il est sûr que quelque matin
Elle verra l'esprit malin
Qui fait sentinelle à sa porte.
Crains, Pélissier, qu'il ne t'emporte
Ou que tu ne périsse un jour,
Comme a fait monsieur Deschaufour.
LE TRIO COMIQUE
Ux riche juif et un dévot curé -
Voulant dévaliser une coquette fine
1. La liaison du juif Dulys avec la Pélissier eut d'abord
des suites comiques. Peu satisfait des infidélités de l'ac-
trice, le juif voulut rentrer en possession des diamants
qu'il lui avait donnés. « Il s'est plaint, dit Barbier, un peu
avant son départ, que la Pélissier lui en avait pris qu'elle
ne voulait pas lui rendre, qu'il voulait en avoir raison par
les voies de la justice, et que, pour cet effet, il avait laissé
une somme entre les mains du curé de Saint-Sulpice pour
poursui\Te cette affaire, et qu'il lui donnait ce qu'il en re-
tirerait. » Citée devant le lieutenant de police, la Pélissier
présenta un écrit par lequel le juif s'était engagé à ne rien
réclamer de ce qu'il lui avait donné, et Dulys fut débouté
de sa demande.
2. Languet de Gerg}', curé de Saint-Sulpice, et frère de
l'archevêque de Sens. Ce prélat, que Barbier appelle « un
bohème adroit et qui n'épargne aucun tour de souplesse
pour pouvoir venir à bout de faire achever les bâtiments
de son église » s'était chargé, comme on le voit, d'une
mission assez scabreuse.
Année lySo,
(Les noms ne font rien au marché
Puisque aisément on les devine),
Chacun de ces acteurs paraît fort occupé
A rempHr son rôle comique ;
Le juif y joue l'amant dupé,
La donzelle 3' défend la récolte lubrique;
Le curé, comme un bon pasteur.
Destinant tout à son saint édifice,
Entreprend de venger l'acteur
Par la dépouille de l'actrice.
Ah ! le plaisant événement !
Qu'il sera digne de mémoire!
Si le curé remporte la victoire.
Il gagne d'un seul coup le prix de plus de cent.
Qu'un cafard ait tiré d'une vieille lubrique ^
Par mal engin, jusqu'au dernier écu;
Que, par maint tour de pareille rubrique,
Loup dévorant, sous manteau de vertu.
Il tende un piège à tout sexagénaire ;
Que, fondateur d'un nouveau séminaire-.
1. M™^ de Cavoye, amie intime du curé de Saint-Sul-
pice, auquel elle avait fourni de l'argent pour ses construc-
tions. Les légataires de M"'® de Cavoye se plaignirent de
ses prodigalités dans un mémoire où il était dit « qu'elle
est conseillée par un directeur qui fait des bâtiments et
qui a besoin de grues ».
2. Le séminaire de l'Enfant-Jésus pour des demoi-
selles. (M.)
272 Clair ambault-Maurep as.
Où n'est admis que sexe féminin,
Dans ce sérail il ait double salaire :
La nuit jeune tendron, le jour profit et gain ;
Nouveau Midas, que toute la nature
Devienne de l'or en sa main,
Des fils de Loyola voilà la tablature.
Mais vouloir extorquer la dépouille d'un juif
Fruit d'un commerce affreux dont tout Paris murmure,
Ah ! curé, c'en est trop. Quoi ! d'un rabbin lascif,
De fille d'Opéra l'accouplement mesquif
Contribuera, prélat, à ta sainte entreprise ?
Ah ! quel ciment pour les murs de l'église !
Le vingtième jour de janvier,
La Pélissier fut circoncise.
Elle trompa son chevalier
Le vingtième jour de janvier,
Et fit un tour de son métier
Contre sa foi et son église.
Le vingtième jour de janvier
La Pélissier fut circoncise.
Pélissier disait à Soissons
Grave auteur de la Coque;
Un riche juif b Manon,
Année ij3o 233
Et tout Paris s'en moque;
S'il en arrive un Cupidon,
Prélat, daigne m'instruire,
Faut-il baptiser le poupon
Ou bien le circoncire ?
Il est vrai que pour mes appas ^
Un circoncis soupire,
Et que j'ai reçu maints ducats
Pour finir son martyre.
Quelle horreur ! quelqu'un me dira,
Qu'un juif vous entretienne.
Il est juif, tant qu'il vous plaira,
Mais la somme est chrétienne.
Un circoncis pour un baiser
M'offre mainte pistole.
Si j'allais le lui refuser,
Ce serait être folle ;
Allons ! Francœur,
Point de rigueur,
Il faut que je me rende. —
. C'est M"« Pélissier qui parle.
V.
234 Clairambault-AIaurepas.
Eh bien ! Manon, rendez-vous donc,
Mais partageons l'offrande. —
Je consens que de mes ducats
Francœur entre en partage ;
Mais, si de tes charmants appas
Il fait encore usage,
Ma Pélissier,
Sans nul quartier
Je le fais circoncire. —
Fi donc, rabbin.
C'est son engin
Qui m a servi de lyre.
LES
GÉMISSEMENTS DE LA FRANCE
Que deviendra donc notre France '.
Hélas ! mon Dieu,
On n'y voit plus que violence
Presqu'en tous lieux.
Interdit, exil et prison.
Insulte, outrage.
Fruit de la Constitution,
Des jésuites l'ouvrage.
Année ij3o. 235
De l'ancienne Sorbonne on chasse
Tout bon docteur ^,
Il n'y reste que la Carcasse ^
Oui fait horreur.
Du pieux Durieux l'on détruit
La sainte école ^ ;
Toutes tes sources l'on tarit,
O divine parole !
Nos plus éclatantes lumières
Sous le boisseau,
Font voir en terres étrangères
1. Au prima mensis de novembre, le syndic de Sor-
bonne, Romigni, en vertu d'une lettre de cachet, ôta
toute voix active et passive et même les émoluments, à
tous les docteurs qui avaient appelé depuis 1720, ou qui
avaient adhéré aux lettres pastorales des évêques de Mont-
pellier et de Senez. Grâce à cette mesure, et malgré
les protestations des docteurs exclus, la Constitution fut
reçue.
2. « La faculté de théologie, ainsi dénuée de ses mem-
bres les plus éclairés et les plus intrépides, reçut la dé-
nomination burlesque de Carcasse, image allégorique de
son état nul ou passif. Ce n'était plus ce corps scienti-
fique, l'oracle de la France, en matière de doctrine, dont
toute l'Europe et le monde chrétien respectaient et admi-
raient les décisions : assemblage de membres pusilla-
nimes, intimidés par les menaces, ou d'ambitieux ar-
dents, éblouis parles promesses, c'était un simulacre vain,
dont l'intrigue faisait mouvoir et dirigeait les ressorts. »
{Vie privée de Louis XV.)
3. Sainte-Barbe. (M.) — Durieux, docteur de Sorbonne
et principal du collège du Plessis, avait continué la libé-
ralité du chanoine Gillot en faveur des deux cents pau-
vres écoliers élevés à Sainte-Barbe.
236 Clairambault-AIaurepas.
Maint autre Arnauld.
Les amis de la vérité
Et de l'Église
Sont tenus en captivité ;
Peuples, quelle surprise !
Cher Desessarts, quel est ton crime ^ ?
Chacun le sait.
La charité, dont Dieu t'anime,
Fut ton forfait.
Qu'un abbé nourrisse des chiens,
En cour il brille;
Pour avoir nourri des chrétiens
Tu souffres la Bastille.
Mais qu'ont fait Joubert - et Nivelle ^
Pour être pris ?
Ils ont expliqué, pleins de zèle,
Les saints Écrits.
Est-ce un mal de t'interpréter.
1. L'aîné des deux frères Desessarts, Alexis, prêtre du
diocèse de Paris, s'était fait remarquer par son opposition
à la bulle.
2. L'abbé François de Joubert, soupçonné de collabora-
tion aux Nouvelles ecclésiastiques^ fut enfermé à la Bastille
le 14 novembre 1730, et en sortit le 23 décembre, pour être
exilé à Montpellier.
3. L'abbé Gabriel-Nicolas Nivelle, agent zélé du jansé-
nisme, fut enfermé quatre mois à la Bastille, pour avoir
colporté chez les curés de Paris une requête anticonstitu-
tionnaire.
Année ij3o. 237
Sainte Écriture?
Est-ce un mal d'en faciliter
Au peuple la lecture ?
Pour sa piété l'on soupçonne
Un crocheteur;
Sans autre crime on l'emprisonne
Comme un voleur;
On frappe, sans distinction
De sexe et d'âge,
Des saints dont la religion
Fait l'unique partage.
Fidèles, frémissez de crainte,
Vos directeurs
Vous sont enlevés par contrainte,
Et vos pasteurs;
Vous êtes livrés à des loups
Pour vous conduire,
Ils vous paraissent bons et doux.
Mais c'est pour vous séduire.
Ils feront régner l'ignorance,
La fausse paix ;
Elargiront les consciences ;
Par leurs délais.
Ils flattent d'un fatal repos
Loin des alarmes.
Mais suivront d'efflroyables maux
Et d'éternelles larmes.
238 Clairamhault-AIaurepas.
Préservez- moi par votre grâce,
O mon Sauveur !
Du loup qui s'ingère à la place
De mon pasteur.
Plutôt mourir que d'accepter
La bulle inique
Que l'on voudrait substituer
A la foi catholique.
Saints confesseurs, par vos prières
Soutenez-nous;
Par votre exemple et vos lumières,
Instruisez-nous;
Conservés dans la vérité
Par vos souffrances,
Nous vivrons dans la charité
Formés par l'espérance.
NOELS DE L'ANNÉE 1730
Pauvres prélats !
Vous voilà bas.
Traités comme des pieds plats
I. Les hommages de la nouvelle Sorbonne à la crèche
du Sauveur. Çsl.) — Les deux copies de cette pièce que
Année lySo. 239
Par nos seigneurs les avocats.
Courez tous à l'étable
Quand le Sauveur n'y sera plus:
Courez tous à l'élable
Vous serez bien reçus;
L'âne rira,
D'aise il braira.
Dans la Carcasse qu'il verra,
Que d'amis il y trouvera.
Le grand Colas ^
Haranguera,
Le syndic argumentera,
Et l'âne docteur on fera.
Ce bourriquet,
Dit-on, s'est fait
Couper les oreilles tout net.
Pour pouvoir mettre le bonnet.
Le moine grand-,
En arrivant,
nous avons eues sous les yeux étaient incomplètes et
inexactes ; pour établir le texte, nous avons dû les fondre
ensemble et transposer les couplets dont l'ordre logique
se trouvait interverti.
1. Docteur moliniste. (M.)
2. Le moine Laine, docteur moliniste. Çsl.)
240 Clairambault-Maurepas.
Le saluera comme parent,
Et lui fera son compliment.
A ce discours,
L'âne à son tour
Dira : Cousin, en ce grand jour
Partagez l'honneur de ma cour.
Ami baudet,
Dira Languet,
De la Coque amant indiscret,
Ne suis-je pas auteur parfait ?
Fade orateur.
Sot harangueur;
Nîmes, de son discours mal fait,
Recevra mille camouflets.
Anes mîtrés.
Anes crottés et rebâtés
Docteurs bâtés
Arriveront de tous côtés.
Du Luc^ viendra.
Qui portera
Mandement qui foudroiera.
Mais que point on ne publiera.
I. L'archevêque de Paris.
Année ij3o. 241
Bissy suivra,
Oui conduira
Les enfants noirs de Loyola,
Hussards du docteur Molina.
Nîmes y sera,
Il y verra
Ses créanciers, il sortira
Par la fenêtre et s'enfuira -.
A Lan guet, là.
L'âne dira
Que l'approbateur il sera
Du premier livre qu'il fera.
* Qu'il fera beau
Voir ce troupeau
A l'âne tenir des propos
Et braire avec lui par échos.
Sur le sujet
Du faux décret^
On interrogera baudet,
Il opinera du bonnet.
1. Pour esquiver ses créanciers, l'évêque de Nimes s'était
échappé de son hôtel par une fenêtre.
2. « Le sieur Romigni et autres molinistes de Sorbonne
avaient voulu faire revi^Te le Décret du sieur Le Rouge
de 1714, déclaré faux par la Faculté en 1716. » {Abrégé
chro7iol.)
V. 21
242 Clair ambault-Maurepas.
Un grand repas
L'on servira,
La Carcasse s'y remplira
De foin, de son, et crèvera.
Chacun boira
Tant qu'il voudra,
A son gré pourpoint remplira
Et Vintimille y baffrera.
De son réduit,
Avant la nuit,
L'âne en fourrure fut conduit
Jusqu'à la Sorbonne à grand bruit.
Avec serment.
En arrivant.
Il accepta joyeusement
La bulle du pape Clément.
Il prêchera.
Disputera,
Quelques curés desservira,
A Sainte-Barbe enseignera.
Que de combats
Il livrera !
Tous les appelants qu'il ven^a.
Contre eux à l'instant écrira.
Année ij3o. 243
Un tel docteur,
Un tel recteur,
A la Carcasse fait honneur,
De ses membres il est la fleur.
Pauvres prélats !
Vous voilà bas,
Traités comme des pieds plats
Par nos seigneurs les avocats.
Courez tous à l'étable.
Quand le Sauveur n'y sera plus ;
Courez tous à l'étable,
Vous serez bien reçus.
EPIGRAMMES DIVERSES
SUR FLEURY ET CHAUVELIX
L'ux, orné du cardinalat,
Ne veut que paix et que simplesse ;
L'autre, grand ministre d'État,
N'est connu que par sa souplesse,
Son mérite est au cofFre-fort ^.
Dirai-je mon conjiteor?
I. Il a donné 200,000 livres à la princesse de Carignan
pour être en place. (M.)
244 Clairamhault-AIaurepas.
Il gouverne tranquillement,
Grâce au Parlement d'Angleterre
Pour nous détruire entièrement,
Il ne faut pas faire la guerre.
Comme l'Anglais est le plus fort.
Quoi qu'il fasse, nous aurons tort.
SUR M. DE LA PARISIERE
Pour éviter des juifs la fureur et la rage,
Paul dans la ville de Damas
Descend de sa fenêtre en bas;
La Parisière en homme sage,
Pour éviter ses créanciers,
En fit autant ces jours derniers.
Dans un siècle tel que le nôtre.
On ne laissera pas d'être surpris, je crois,
Qu'un de nos prélats, une fois.
Ait pu prendre sur lui d'imiter les Apôtres.
SUR MADEMOISELLE DAXGEVILLE"
Jeuxe Dangeville, à quoi bon
Prendre l'habit de Cupidon ?
1. Par J.-B. Rousseau.
2. Jouant le rôle de Cupidon. (M.) — Elle avait débuté
en 1730, à l'âge de 16 ans, dans le Médisayit de Destouches.
Année ij3o. 245
Déjà vous régnez dans Cvthère.
Les autels vous sont résen^és ;
Xous le savons, vous le savez,
Les Amours ont trahi leur mère
Pour vous seule qui la bravez :
De leur parure ils ont affaire ;
Sans besoin vous vous en servez,
N'empruntez jamais rien pour plaire,
Car, en fait d'appas, vous avez
Bien au delà du nécessaire.
Sous les atours de Cupidon,
Vénus, rencontrant Dangeville,
La prit pour ce malin garçon,
La méprise est assez facile.
Ah ! dit la reine des amours,
Mon fils embellit tous les jours.
SUR MADEMOISELLE DE RETZ
Sans altérer votre sagesse,
Vous le pouvez, jeune comtesse,
Faire cocu ce vieux poltron.
I. A propos de son mariage avec le comte de Chabot,
ci-devant chevalier de Rohan. (M.)
V. 21.
246 Clair ambault-Maurepas.
Votre honneur même vous en somme,
Il ne vous ferait qu'un fripon;
Couchez avec un honnête homme.
SUR MADAME DE LA FARE
Lorsque vous vîtes Courcillon
Avec un air farouche
Venir faire le carillon
Jusque dans votre couche,
Il fallait, l'ayant aperçu
A travers la nuit sombre.
Lui tourner au plus tôt le c...
Pour apaiser son ombre.
I. « M™" de La Fare, fille de Paparel, rêva la nuit
qu'un ancien ami, Courcillon, mort dix ans auparavant,
lui apparaissait et lui disait gaiement : Nous nous diver-
tissons bien là-bas ; nous vous y verrons aussi là-bas. Il
est vrai qu'elle avait déjà eu un léger commencement
d'indisposition. Elle mourut au bout de huit jours, frap-
pée de la prophétie de Courcillon. » {Mém. du marquis
d'A rgenson.)
ANNÉE 1731
UN HERCULE EN ENFANCE
Qu'un lâche adulateur, sur l'appât du salaire,
Bassement te prodigue un encens mercenaire;
Que, gravant ton portrait sur l'or chéri de lui ^,
De l'empire français il te fasse l'appui;
Qu'il vante sans pudeur tes vertus cardinales.
Qu'il y joigne s'il veut les trois théologales,
Qu'il dise que le ciel te fit pour enseigner
Au docile Louis le grand art de régner;
Qu'il chante de Soissons le congrès inutile,
Le massacre d'Embrun, le traité de Séville - ;
1. Le duc d'Antin présenta le premier jour de l'an 1731,
au cardinal, une médaille où ce ministre est gravé avec cette
inscription: AND REyE HERCULI DE FLEURY
REGNI ADMINISTRO; au revers de laquelle est
une colonne sur son piédestal, surmontée d'un globe
fleurdelisé. Aux quatre coins les vertus cardinales avec
cette légende : VIRTUTES REGNI ADMI-
NISTRA. (M.)
2. Le traité de Séville (9 nov. 1729) avait terminé les
négociations du congrès de Soissons.
24H Clair ambaul t-AIaurepas.
Que de ta politique admirant le ressort
Il place dans tes mains de l'Europe le sort ;
D'Antin le veut : d'Antin, né pour la sersùtude,
Savant dans ce métier par une longue étude.
Pour moi Fleury plus libre avec le fier Anglois,
Le solide Germain et le sage Gaulois,
Des éloges d'un sot justement je m'offense,
Et je ris des travaux d'un Hercule en enfance.
Confondant du passé le faible souvenir,
Ebloui du présent sans parer l'avenir,
Et dans l'art de régner décrépit et novice ;
Punissant la vertu, récompensant le vice ,
Fourbe dans le petit et dupe dans le grand,
Tel est ce cardinal accablé de son rang.
LA
VAILLANCE DE FLEURY
Au roi qui, l'autre jour, disait au cardinal :
Si l'on vient à tirer l'épée.
Qui prendrai-je pour général ?
Ce ministre s'offrit pour commander l'armée.
Année ijSi. 249
Sire, dit-il, la France a vu des cardinaux ^
Par vos prédécesseurs choisis pour généraux;
Ne puis-je pas comme eux acquérir de la gloire.
Immortaliser ma mémoire,
Exposer mes jours pour mon roi,
Par quelque signalé service,
]SIériter les bontés qu'il daigne avoir pour moi ?
Dans le métier de Mars je ne suis point novice,
J'ai déjà des commencements
Capables de donner l'alarme aux Allemands.
A la tête des molinistes.
Je fais depuis longtemps la guerre aux jansénistes,
Et sans quartier et sans pitié
J'en ai déconfit la moitié;
J'ai fait des prisonniers sans nombre ;
Le reste craint jusqu'à mon ombre.
Ces jours passés, par un détachement
Commandé par un lieutenant^
Dont on connaît la noble audace,
1. Richelieu, Sourdis et La Valette. (M.). — Le cardinal
de Richelieu avait commandé l'armée d'Italie, en 1625, et
dirigé le siège de La Rochelle contre les protestants,
en 1628, avec le titre de grand maître et surintendant
général de la navigation. Henri d'Escoubleau de Sourdis,
archevêque de Bordeaux, chef du conseil du roi en l'armée
navale, battit à Gattari les Espagnols (1638), qu'il avait
chassés des îles Sainte-Marguerite. Louis Nogaret d'Eper-
non, cardinal de La Valette et archevêque de Toulouse
sans avoir reçu les ordres sacrés, s'était démis de ses fonc-
tions ecclésiastiques pour commander successivement les
armées d'Allemagne, dAlsace, de Picardie et d'Italie. (1634-
1639-)
2. M. Hérault^ lieutenant de police. (M.)
250 Clair ambault-Maurepas.
Je fis de grand matin attaquer une place ^.
Avant midi la garnison
Se rendit à discrétion,
Et par le commandant me fit demander grâce.
Après ces exploits glorieux,
Oui, sire, j'oserai vous dire
Que vous ne pouvez faire mieux
Pour la gloire de votre empire,
Que de me donner promptement
Le bâton de commandement.
Le zèle, les talents, le cœur, la vigilance,
Suppléeront à l'expérience ;
Il faut de l'argent pour les frais,
Même beaucoup, et vous n'en avez guère,
Mais ce que j'ai donné pour ménager la paix
Je le retirerai pour soutenir la guerre,
Et ce que j'ai donné, sire, monte si haut.
Que j'en aurai plus qu'il n'en faut
Pour entretenir vos armées,
Quand la guerre devrait durer plusieurs années.
Ici finit le cardinal,
Et le roi lui promit qu'il serait général.
Peut-on douter qu'un tel athlète
N'efface Richelieu, Sourdis et La Valette ?
I. Le collège de Sainte-Barbe. (M.)
Année lySi. 2^)1
LE ROI AU PARLEMENT
Le roi vint en son Parlement^
Pour un sujet bien important,
Il s'agissait d'un coup d'Etat.
Alléluia.
Il fallait faire avec éclat
Triompher Rome et Loyola,
Il vint donc exprès pour cela.
Son chancelier au bon parti
Tout nouvellement converti -
Sa rhétorique déploya.
1. Fleury, qui avait préparé par la rétractation du car-
dinal de Noailies et les sévérités déployées contre la Sor-
bonne, le triomphe de la bulle Unigenitus, adressa, le
30 août, au Parlement, une déclaration qui obligeait tous
les ecclésiastiques du royaume à xtcoxovc purement et sim-
plement la Constitution. Cet envoi fut mal accueilli par
les magistrats, et le ministre prévoyant que la déclaration
serait rejetée, la fit enregistrer d'autorité dans un lit de
justice que le roi alla tenir le 3 avril au Parlement.
2. L'abbé Pucelle, janséniste fougueux, s opposa à l'en-
registrement, et fit remarquer que ce qui 1 étonnait le plus
dans cette affaire, c'était de voir la déclaration soutenue
par le chancelier, autrefois adversaire de la bulle. Quantum
mîitatîis ab illo, dit-il à d'x\guesseau, que 1 on appela dès
lors par raillerie le chancelier Mutatits.
252 C lairambaul t-AIaUi
Messieurs, dit-il aux Sénateurs,
Le roi condamne vos lenteurs,
Vite, enregistrez donc cela.
Secondez notre bon dessein,
Devenez le Sénat romain,
C'est un beau nom que celui-là.
On remontra très humblement,
Très fortement, très vivement.
Puis, après, on enregistra.
Ceux qui se disent compagnons
De Jésus que nous adorons
Chantèrent tous en ce jour-là.
Vintimille, tout transporté,
Au lieu de Benedicite
But sa rasade et s'écria :
AUchiia!
Année lySi. 253
LES
INFORTUNES DU JUIF DULYS
PÉLissiER, Marseille a des chaînes^
Bien moins funestes que les tiennes.
Sous tes fers on est accablé,
Sans que jamais rien tranquillise,
Quand on les porte on est volé,
On est roué quand on les brise.
Admirez combien on estime
Les coups d'archet plus que la rime :
Oue Voltaire soit assommé^
1. Le juif Dulys, qui était en intrigue avec laPélissier,
prit une haine contre Francœur, violon de l'Opéra qui
était aussi en intrigue avec elle. Dulys lui avait fait pré-
sent de cinquante mille li\Tes de diamants sur ce qu'elle
lui avait promis de passer en Hollande avec lui ; quand il
fut sur son départ, elle ne voulut point partir. Lui, piqué
de cela, dès qu'il fut en Hollande, chargea un laquais qu'il
avait, de venir à Paris et de faire assassiner Francœur, ce
qui n'a pas réussi. Mais ce laquais qui s'était mis en œuvre
de faire ce que son maître lui avait commandé ayant été
pris fut rompu, et Dulys le fut en effigie. CM.). — Le Châ-
tekt ne les avait condamnés qu'à être pendus, mais sur un
appel à niinima la Tournelle les condamna à la roue.
2. Les chaînes des galères.
3. Voltaire reçut des coups de bâton, l'affaire n'eut au-
cune suite. (M.). — Le chevalier de Rohan, qui avait attiré
V. 22
234 Cl airambault-AIaurepas.
Thémis se tait, la cour le joue;
Que Francœur ne soit qu'alarmé^
Le complot seul mène à la roue.
La vengeance n'est point permise :
Thémis défend toute entreprise
Qui tend à nuire à son prochain ;
Mais, puisque le roi l'autorise,
On doit brûler une p....
Qui sans scrupule judaïse ^.
Le héros de la sjmagogue
Qui te mit richement en vogue,
Voltaire dans un lâche guet-apens, ne fut pas inquiété et
Voltaire qui voulut en tirer vengeance fut mis à la Bastille.
1. Il est \Tai que l'alarme fut chaude. « Si j'étais à la
place de Francœur, déclare Barbier, je tremblerais tou-
jours ; il y a bien à appréhender avec un homme (Dulys)
qui a tant d'argent et qui doit être piqué personnellement
par une condamnation pareille, qui d'ailleurs a tout son
bien en pa3^s étranger. »
2. L'avocat Barbier est bien de cet avis : « Puisqu'on a
été si rigide dans cette affaire, écrit-il, et qu'on veut sui-
vre les ordonnances, il fallait décréter M"*^ Pélissier, car
la voilà véhémentement soupçonnée d'avoir eu commerce
avec un juif, ce qui est défendu sous des peines. D'ailleurs
c'est une gueuse qui par son libertinage est cause de tous
ces malheurs. Ayant un amant comme Dulj's, qui lui a fait
beaucoup de bien, elle ne devait pas être en débauche
avec Francœur. Cela seul méritait de la faire enfermer ;
hiais parce qu'on a besoin de M"^ Pélissier à l'Opéra de
Paris, on l'a laissée là et on regarde cela comme une gen-
tillesse. » On voit par là que les gens de théâtre commen-
çaient déjà à prendre dans la société une importance
excessive.
Année ij3i. 255
Dans un triste état est réduit.
Tu le fis ta dupe idolâtre,
Sur l'échafaud il n'est conduit
Que pour t'avoir vue au théâtre.
Que Dulys soit mis à la roue
Et que Francœur de lui se joue,
Cela paraît impertinent.
Mais si Thémis voulait bien faire,
Pélissier irait pour dix ans
Habiter la Salpêtrière.
Malepeste, quelle colère
Dans ce petit dieu de Cythère !
Passe pour mettre son bandeau,
Je lui pardonne toute ruse;
Mais qu'Amour se fasse bourreau,
Ma foi, ce trait est sans excuse.
Manon Francœur, quel avantage !
Thémis pour toi fait le partage ;
La Grève venge tes plaisirs,
Ta gloire immole ta victime,
Après d'illicites soupirs,
Ton arrêt, déesse, est un crime.
Sirène par ta voix et par ta trahison.
Jamais le tendre amour n'éclaira tes mystères.
Le principe grossier de tes feux adultères
256 Clair ambault-Maurepas.
Étonne moins encor l'honneur que la raison !
Infâme Dalila d'une nouvelle espèce,
La force de Dulys était dans sa richesse.
Si ton perfide cœur en fait un assassin,
Tu devrais partager l'honneur de son destin.
Viens repaître tes yeux d'un spectacle barbare,
Vois ton bienfaiteur au gibet ;
Il est vrai qu'il n'est qu'en portrait,
Cette réflexion qu'inspire le Tartare
Doit te causer quelque regret.
Pour consoler ton cœur de boue,
Le portrait de Dulys t'offre un secours certain,
Ce juif, représenté sur une infâme roue,
Est moins déshonoré qu'il ne l'est dans ta main.
REQUÊTE
DE DEUX CHIENNES 1
Mouche et Plutonne -, c'est le nom
De deux barbettes de renom,
Qui sont vos très humbles servantes
Et qui viennent, très suppliantes,
1. Présentée à M> Gauche, gouverneur du Palais-Royal,
par deux chiennes qui appartiennent au garde qui fait
la ronde dans le jardin du Palais-Royal. (M.)
2. Chiennes qui appartiennent audit garde.
Année ijSi, zy
Par devers vous crier merci
Pour cas qui les met en souci.
C'est au sujet d'une ordonnance
Qui fait une expresse défense
A tout incivil animal
D'entrer dans le Palais-Royal ,
Et surtout à la gent canine.
Cet ordre, en effet, les chagrine,
Mais leur respect est le plus fort ;
Elles sentent qu'on n'a point tort
D'agir avec cette rudesse
Envers tous ceux de leur espèce.
Jadis, ils osèrent gâter
La demeure de Jupiter,
Mais leur punition fut telle
Qu'aucun n'en rapporta nouvelle ;
Ce qui fait que chiens de leur nez
S'entrefont fête où vous savez.
Ceci peut être une imposture,
Mais comme on craint que telle injure
Ne se commette de la part
De ces animaux, sans égard
Pour les lieux les plus vénérables,
On ne veut point que leurs semblables
Entrent désormais dans celui
Qu'on doit respecter aujourd'hui,
Tant pour les beautés qu'il enserre
Que pour le maître qu'on révère.
Les suppliantes cependant,
Sans condamner aucunement
V. 22.
;5g Ciairambault-AIaurepas.
L'équité de cette ordonnance,
Voudraient pour elles seulement
Qu'on pût avoir quelque indulgence,
Vous remontrant très humblement
Qu'une semblable complaisance
Ne peut tirer à conséquence;
Qu'il est chiens et chiens dans Paris.
Celles-ci sont chiennes d'un prix
Qui vaut bien qu'on leur fasse grâce,
Les distinguant entièrement
Des vils animaux de leur race.
Car, sans parler qu'en les voyant
Un des premiers princes du sang
Fut charmé de leur gentillesse
Et daigna leur faire caresse,
On peut, sans risque, être garant
De leur réser^-e et leur sagesse.
Tant on prit soin correctement
De bien diriger leur jeunesse.
Permettez donc que, librement.
Elles puissent avoir entrée
Dans cette enceinte révérée,
Qui de Paris fait à présent
Les délices et l'ornement.
Si vous honorez leur prière
De cette faveur singulière,
Plutonne vous remerciera
Et Mouche vous caressera.
Si vous aimez qu'on vous caresse ;
Comme elle vous divertira,
Année itSi
'59
Si vous voulez voir son adresse,
Sa légèreté, sa souplesse.
Leur maître aussi vous répondra,
Car il est bon qu'il en réponde,
Que sur elles il veillera.
Si bien qu'il ne se passera
Rien de déshonnête et d'immonde
Dans ce rendez-vous du beau monde.
De plus, il vous assurera
Que, plus sages dans leur conduite
Que bien des filles d'Opéra,
Nulle des deux ne permettra
Qu'aucun galant vienne à sa suite.
Ainsi, soyez en sûreté
Contre toute incongruité
De la part des deux suppliantes,
Oui sont vos très humbles ser\'antes.
LE
TOMBEAU DU DIACRE PARIS
Humble et vrai pénitent, au sortir du berceau,
Paris ne sut que prier et se taire;
I. Le diacre François de Paris, janséniste convaincu,
appelant et réappelant au futur concile, mourut en 1727,
260 Cl air amb ault-AIaurep as.
De la bulle il pleura le ténébreux mystère,
Pour elle à Dieu s'offrit, victime volontaire.
Et contre elle appelant descendit au tombeau
Mais, par un prodige nouveau,
Sa cendre, aujourd'hui salutaire,
De la bulle devient le terrible fléau *.
Pourquoi de Lo3'ola la cabale empirique
De ce tombeau, célèbre en miracles féconds,
dans une modeste maison du faubourg Saint-Marcel, où il
avait passé les dernières années de sa vie, distribuant tout
son bien aux pamTes, et fut enterré dans le petit cimetière
de Saint-Médard. Les adversaires de la bulle songèrent à
exploiter la vénération dont il était l'objet, pour soutenir
leur parti chancelant, et, dès 1728, publièrent impudemment
une foule de miracles accomplis sur son tombeau. Le car-
dinal de Xoailles avait ordonné des informations à ce
sujet ; on les interrompit sur les instances deM.de Chau-
velin, et il ne fut presque plus question du diacre Paris
jusqu'en 173 1.
I. L'avocat Barbier constate, avec une bonhomie rail-
leuse, la résurrection de cette superstition janséniste, qui
prit tout d'un coup des proportions extraordinaires : « Il
arrive, dit-il, une mauvaise aventure aux molinistes et
constitutionnaires. Ce M. Paris, qui est mort en 1727,
était resté tranquille pendant quelque temps, c'est-à-dire
sans faire de miracles. Ma foi ! il a repris vigueur ; depuis
deux mois, il y a toujours une afïluence de monde éton-
nante à son tombeau, quelque éloigné qu'il soit. Nombre
de carrosses, des hommes comme des femmes, des personnes
de distinction. Il y a eu plusieurs miracles, qui tombent
assez A'olontiers sur les gens paral3'tiques ; le peuple
chante de lui-même un Te Deiim ; cela fait grand plaisir
aux jansénistes dont il faisait corps. >> ,
Année ijSl. 261
Fuit-elle avec horreur l'approche : est-ce orgueil ? Non !
Serait-ce jalousie ou cause antipathique ?
Non ! je devine la raison
Du vieux mal appelé péché philosophique,
A la Société, suivant la foi publique,
Aussi cher sans comparaison
Que XUnigenitiis forgé dans sa boutique,
Elle craint trop la guérison.
Partisans de l'erreur, venez à ce tombeau ^,
Vous verrez tous les jours un miracle nouveau.
Ici loge Paris, la parfaite copie
Du célèbre Ouesnel, ce monstre d'hérésie;
Il occupa ses jours (belle dévotion !)
A l'imiter en tout comme un digne patron :
Fut-il rien de plus noble ? Il méprisa l'Éghse,
En voilà bien assez pour qu'on le canonise.
Ce saint fut peu soumis au décret émané
Pour foudroyer l'erreur d'un livre empoisonné.
Selon lui, le Sauveur ne permet plus à Pierre
De paître ses agneaux et d'en être le père ;
Il est, après cela, dans le séjour divin,
Il a pour compagnons et Luther et Calvin.
I. Épitaphe de François de Paris par les jésuites. (M.)
262 Clairambault-AIaure
pas.
Jésuites aveuglés, venez à ce tombeau ^,
Dieu pourra faire en vous un miracle nouveau.
Mais non. vous n'êtes que l'exécrable copie
De l'affreux Molina, père de l'hérésie.
Vous avez tous pour lui grande dévotion,
Et vous le chérissez comme un digne patron.
En voilà bien assez pour qu'on le canonise.
Votre cabale impie a renversé l'Eglise;
Vous avez arrêté le décret émané
Qui foudroyait d'un coup son livre empoisonné.
Selon vous, le Sauveur avait permis à Pierre
D'être de Molina le véritable père.
Entrez, après cela, dans le séjour divin.
Xon : mais vous irez voir et Luther et Calvin.
Girard, jésuite, et Paris, appelant ^,
En miracles féconds mais d'un goût différent.
Ont toujours, de tout temps, pensé si peu de même
Que pour guérir ils ont un différent système.
Paris sur son tombeau reçoit le patient,
Girard sur la malade, au contraire, s'étend.
1. Réponse aux jésuites sur les mêmes rimes. (M.)
2. Parallèle de M. de Paris, avec le P. Girard. (M. —
Sur le P. Girard, Cf. ci-après, p. 274.)
Année ijSi. 26\
Des miracles sans équivoque,
Venez les voir, monsieur Languet
Ce n'est pas Marie Alacoque,
C'est un appelant qui les fait K
LES^
MIRACLES DU DIACRE PARIS^
Apprenez, troupeau sévère.
Que Paris le réfractaire
Triomphe après son trépas !
1. Les jansénistes, pour attirer la foule à Saint-Médard
et entretenir la crédulité populaire, firent graver une
estampe représentant l'abbé Paris à mi-corps, et les mains
jointes devant un crucifix, avec cette légende : « François
de Pâj-is, diacre, mort en odeur de sainteté, le i*^"" mars
1727^ âgé de trente-sept ans. » Autour de son écusson on
lisait cette réclame : « Tel était M. de Paris, auprès delà
croix de J.-Ch., unissant les travaux de la pénitence, les
douleurs de son corps à celles de son Sauveur, dont il
imitait la charité. So?i tombeau se visite avec concours à
Saint-Médard, au faubourg Saint-Marcel-Vez-Paris. » Le
lieutenant de police fit arrêter les imagiers; mais le branle
était donné ; les pèlerinages ne se ralentirent pas ; « tant
y a, remarque Marais, que ni le ministre, ni la police, ni
l'archevêque ne peuvent empêcher le cours de cette dévo-
tion ou superstition populaire. »
2. Les molinistes n'épargnèrent point leurs railleries au
bienheureux Paris : cette pièce en est la preuve.
264 Clairamhault-AIaurepas
Frères, exaltons,
Canonisons
Cet homme-là !
Nous mettrons l'Eglise à quia/
Laissons gronder Rome,
Le crédit de ce saint homme
Bientôt l'anéantira.
Frères, exaltons,
Canonisons
Cet homme-là!
Nous mettrons l'Église à quia!
On lui fait maintes neuvaines,
Il fait miracles à centaines,
Le badaud chantant s'en va :
Il en fait ci^
Il en fait là.
Il en fait tout du haut en bas.
Que parmi nous on travaille
A confirmer la canaille
Dans l'aveuglement qu'elle a;
Culbutons ci.
Culbutons là,
Culbutons tout du haut en bas !
Chaque malade, en silence
Cachant sa convalescence,
Sur son tombeau s'écrira :
Année Ij3i. 265
Miracles ci^
Miracles là,
Miracles tout du haut en bas.
Malgré notre décadence
Et sa propre conscience,
On l'a vu jusqu'au trépas
Appeler ci,
Appeler là,
Appeler tout du haut en bas.
Il monte au ciel de la sorte,
Mais Pierre étant à la porte,
Tout surpris de le voir,
Le traita ci.
Le traita là.
Le traita tout du haut en bas.
Mais Paris avec constance
Appela de sa sentence,
Et des cieux dégringola.
S'en allant ci,
S'en allant là,
S'en allant tout du haut en bas.
N'éventons point cette affaire,
Mais imposons au vulgaire,
Car nos élus sans cela
S'en iront ci.
S'en iront là,
23
>.66 Clairamhault-AIaurepas,
La, la, la, la,
S'en iront tout du haut en bas ^.
LE MANDEMENT
DE M. DE VINTIMILLE2
J' AVONS SU que notre archevêque
Donnait un écrit qui disait
1. Bien que Voltaire ne soit pas une autorité en matière
religieuse, il est permis de lui emprunter son explication,
parfaitement rationnelle, des prétendus miracles opérés à
Saint-Médard : « Quelques personnes du parti, qui allèrent
prier sur le tombeau, eurent l'imagination si frappée, que
leurs organes ébranlés leur donnèrent de légères convul-
sions. Aussitôt la tombe fut environnée du peuple ; la
foule s'y pressait jour et nuit. Ceux qui montaient sur la
tombe donnaient à leurs corps des secousses, qu'ils pre-
naient eux-mêmes pour des prodiges. Les fauteurs secrets
du parti encourageaient cette frénésie. On priait en langue
vulgaire autour du tombeau : on ne parlait que de sourds
qui avaient entendu quelques paroles, d'aveugles qui
avaient entrevu, d'estropiés qui avaient marché droit
quelques moments ; les prodiges étaient même juridique-
ment attestés par une foule de témoins qui les avaient
presque vus, parce qu'ils étaient venus dans l'espérance de
les voir... Le tombeau du diacre Paris fut le tombeau du
jansénisme dans l'esprit de tous les honnêtes gens. Ces
farces auraient eu des suites sérieuses dans des temps
moins éclairés. Il semblait que ceux qui les protégeaient
ignorassent à quel siècle ils avaient affaire. » [Siècle de
Louis XIV)
2. Mandement du 25 juihet 1731. (M.)
Année ij3i. 26y
Que je n'étions tous que des bêtes
De voir plus clair qu'il ne voyait;
S'il pouvait donner la brelue,
Sans doute qu'il arriverait.
Que sa pièce n'étant plus lue,
Personne alors ne crierait,
Comme voilà qui est fait !
Vos mandements sont des oracles,
Au Seigneur ils vont expliquer
Les règles qu'il doit pratiquer
Pour faire des miracles.
A tort on est scandalisé ^
Du mandement que Vintimille
I. « Le mandement de M. l'archevêque contre les mi-
racles du bienheureux Paris est lâché, mais ce n'est que
de la poudre en l'air ; on y court plus que jamais, et les
miracles ne cessent point. On trouve mauvais que l'arche-
vêque ait joint à son mandement deux rapports de méde-
cins et de chirurgiens où la physique des menstrues est
expliquée tout au plus clair. Les femmes disent qu'il ne
faut pas révéler ces secrets ; qu'on leur a manqué de res-
pect et de bienséance en public, et que cela ne devait
point être à la suite de la lettre épiscopale, et, en effet,
ils n'avaient qu'à vendre ces deux feuilles séparées pour
éviter la jonction que l'on dit être obscène ;]& l'ai entendue
nommer ainsi par une femme d'esprit. » {Coj-resp. de
Marais.)
268 Clairamhault-AIaurepa.
A fait répandre dans la ville,
Disait un docteur avisé;
C'est un usage invariable,
Quand un saint est canonisé,
D'écouter l'avocat du diable.
Ton mandement, gros Vintimille,
Est rejeté de tes curés,
On trouve que tu dégobilles
Plusieurs morceaux mal digérés.
FACETIES
SUR
^ MONSEIGNEUR DE VINTIMILLE
Notre archevêque est à Conflans ^
Comme un grand solitaire,
Comme un grand so... comme un grand solitaire.
I. A Conflans près Charenton se trouvait la maison de
campagne des archevêques de Paris. Harlay de Champ-
vallon, qui l'avait achetée en 1672 au duc de Richelieu, la
fit rebâtir à neuf et la légua à ses successeurs. EJUe était
Année ij3i. 269
L'unique soin de son troupeau
Toujours le so... toujours le sollicite.
Dans ses études il était
Le plus beau des... le plus beau des écoles.
Il pourrait sans s'incommoder
Vivre de son... vivre de son domaine.
C'est le miroir d'un saint parfait,
C'est un vrai poj... c'est un vrai portrait d'ange.
Il est l'auteur du mandement,
C'est lui qui m'en... c'est lui qui m'en assure.
Ce mandement est un écrit
Oui sert au eu... qui sert au curé sage.
On dit qu'il fait pendant la nuit
De rudes pé... de rudes pénitences.
Il se fait servir en mangeant
Toujours en porc... toujours en porcelaine.
Il se purge après ses repas
Avec des ro... avec des rocamboles.
située sur la pente d'un coteau, avec une vue charmante
sur la Marne et sur une vaste plaine, et comprenait une
île dans ses dépendances.
V. 23.
270 Clair ambault-Maurepas.
Pour vaincre la tentation,
On le voit sous... on le voit sous les armes.
Il devrait, pour être connu,
Porter son baptistaire.
Porter son ba... porter son baptistaire.
LE BENIDICITE
MONSEIGNEUR DE VINTIMILLE
Ouvrons les yeux, levons la tête.
Le temps d'abomination
Que Dieu prédit par son prophète
Vient de paraître dans Sion.
Ecce.
Des ministres, dont le faux zèle
Ne tend qu'à détruire la loi,
Prêchent la morale nouvelle
Et tâchent d'éteindre la foi
Nunc.
Un prélat sans inquiétude
La met dans un très grand danger,
Année l'jSl. 2'j\
Et fait sa principale étude
De savoir bien entonner
Benedicite.
Disciple des enfants d'Ignace,
Il croit que l'on peut se sauver
Sans avoir besoin de la grâce
Et sans être obligé d'aimer
Domimim.
Il veut que dans son diocèse
On suive, sans examiner,
Une doctrine si mauvaise,
Sinon il ferait exiler
Omnes ^.
Entêté des fausses maximes.
Il commence à persécuter •
Des docteurs qui n'ont d'autres crimes
Que de vouloir toujours rester
Servi Domini.
Vous en rendez bon témoignage,
Vous qu'il tâche à remercier.
Que ne met-il pas en usage
Pour vous faire tous succomber,
Oui statis.
I. Tous les appelants. (M.)
272 Cl air amhault- Maure-pas.
Mais par un courage héroïque
Et des discours pleins de ferveur,
Vous confondez ce politique
Qui voudrait bien semer l'erreur
In domo Domini.
Semblables aux premiers fidèles,
Vous êtes prêts à endurer
Les morts même les plus cruelles
Plutôt que de scandaliser
In atriis domus Dei nostri.
Jaloux du salut de vos frères,
Vous voulez en eux confirmer
La foi qu'ont enseignée vos pères
Et les empêcher de marcher
In noctibus.
Ah ! quel bonheur pour vous, fidèles,
D'avoir de si grands défenseurs.
Tâchez de répondre à leurs zèles;
Mais pour l'obtenir du Seigneur,
Extollite maniLS vestras.
Suivez toujours ces guides sages
Qui, bien loin de vous égarer.
Sauront plutôt vous préserver
De l'erreur et de l'esclavage.
Benedicite Dominum.
Année lySi,
Et toi, prélat qui, sans scrupule,
Exerces tant de cruautés
Pour faire accepter une bulle
Si contraire à la vérité,
Bcnedicat te Doinimim.
Loin de faire tant de ravage,
Tu devrais plutôt imiter
Les vertus des saints personnages
Que tu t'efforces d'éloigner
Ex Sion.
Car ta conduite et ta morale
Scandalisent fort aujourd'hui :
Or, en matière de scandale.
Tu sais quel malheur pour celui
Oui fecit.
Mets donc ordre à ta conscience,
Eloigne de toi les flatteurs
Qui pourraient causer ton malheur,
Veux-tu perdre par complaisance
Cœhcm.
Hélas ! que je plaindrais ton sort
Si tu n'avais pour l'autre vie
D'autre appui que leurs passe-ports
Quand il faudra quitter la vie
Et terrain.
274 Clairambault-Maurepa
LE P. GIRARD ET LA CADIEREi
Chez les jésuites de Toulon
Est arrivé grand carillon ;
Un recteur, outré de colère,
Au confesseur Girard a dit :
Eh fi ! méritez-vous, mon père,
De porter un si saint habit?
I. « Nos bons amis les jésuites sont malencontreux. En
même temps que les affaires de la religion, les miracles
de M. Paris, les persécutions qu'on a faites à tous les
prêtres, leur ont attiré, on peut le dire, la haine de la
plus grande partie de Paris. Il est arrivé une diable d'his-
toire au recteur de la maison des jésuites de Toulon,
homme de cinquante ans, appelé le P. Girard, qui fait un
procès épouvantable au parlement d'Aix, dans lequel il
n'est accusé que d'avoir suborné une pénitente de dix-huit
ans, nommée M'"' Cadière, de l'avoir ensorcelée, de lui
avoir fait un enfant, et de l'avoir fait avorter. Nombre de
mémoires imprimés de part et d'autre se distribuent publi-
quement à la porte des promenades et des spectacles. »
[Journ. de Barbier) — Bien qu'il soit difficile de se pro-
noncer sur une affaire aussi grave, il paraît résulter de
l'examen impartial des faits que la Cadière était une exta-
tique, dont les ennemis des jésuites mirent habilement à
profit les divagations. Sous l'influence du P. Girard, elle
avait eu des extases et des visions; un carme janséniste
qui remplaça le jésuite lui fit avouer ce qui s'était passé
entre elle et son ancien directeur, et rendit publics ces
aveux qui ne tardèrent pas à être commentés, amplifiés, et
même indignement travestis.
Année Ij3l. 275
Quoi donc ! des filles ! quelle erreur
A séduit votre lâche cœur ?
Il est vrai que, plein d'indulgence
Pour nos pauvres convalescents,
Nous leur en laissons par souffrance,
Mais pour vous c'est un contre-sens.
Il vous sied bien d'être galant,
Autant vaudrait être appelant;
Que dira-t-on de cette époque?
Prétendez-vous, esprit gâté,
D'une autre jNIarie Alacoque ^
Enrichir la société ?
Quel était votre égarement
Ou plutôt votre aveuglement?
Pour une fille, je vous prie,
Vo3^ez quel trouble et quel fracas !
La Grande et Petite-Ecurie -
Nous causerait moins d'embarras.
Pour assoupir ce bruit fatal,
Il vous faut un peu d'air natal.
Allez, partez en diligence,
Le légat est de nos amis,
1. Plaisanterie sur l'archevêque de Sens. [Note de Bar-
bier)
2. Les pages de la grande et petite écurie. (AW<? de
Barbier.)
276 Clairamhault-Maurepas.
Bientôt dans l'étroite observance
Par ses soins vous serez remis.
Un jésuite admirant
De la jeune Cadière
La beauté,
Pour contenter ses feux,
Prit la route ordinaire :
La rareté !
En faveur de son choix
Pardonnez au bon père
La curiosité.
LA COLOMBE ET LE CORBEAU^
On raconte que par le monde
Est un pays où des corbeaux
I. « Un poète provençal a fait une très jolie fable qui
est l'aUégorie de l'affaire du P. Girard et de la Cadière ;
les vers en sont tendres et doux dans l'affaire du monde
qui paraissait le moins susceptible de ce style, et cepen-
dant ils vous paraîtront de bonne main, » écrit Marais à
Bouhier, en lui envoyant cette pièce, qui est une para-
phrase du vers :
Dat ventant corvîs, vexât censura columhas.
Année iy3i. 277
L'engeance cruelle et féconde
Insulte impunément au reste des oiseaux,
Que dans les accès de leur haine,
L'aigle même, leur souveraine,
Se voit parfois en butte aux traits
De ces redoutables sujets.
C'est dans cette contrée indigne
Qu'une jeune colombe aussi blanche qu'un cygne,
D'un de ces oiseaux dangereux,
Fort âgé, mais plus cauteleux,
A ses avis trompeurs s'étant abandonnée.
Devint la proie infortunée.
Et de ses jeunes ans oubliant la candeur
Bientôt du vieil oiseau prit toute la noirceur.
— La blancheur de votre plumage.
Ma fille, disait-il, est un signe certain
Que la faveur du ciel dans votre premier âge
Vous prépare un heureux destin.
Les rares qualités dont vous êtes comblée
Font voir à quel bonheur vous êtes appelée.
Voulez-vous cultiver ces beaux commencements,
Ayez soin de répondre à mes empressements.
Une colombe jeune et belle
A besoin d'un ami fidèle
Qui toujours l'encourage et borne ses désirs
Aux soins de modérer ses timides soupirs.
Gardez-vous d'écouter le funeste ramage
Des hôtes séduisants du plus prochain bocage :
Leurs accents dangereux dans votre jeune cœur
Jetteraient sûrement le poison de l'erreur.
V. 24
278 Clair ambault-Maurepas.
Libre de tout souci, tranquille et solitaire,
Écoutez seulement là voix de votre père.
A sa tendre amitié, ma fille, livrez-vous ;
Vous l'aimez, il vous aime ; est-il rien de plus doux ? —
La colombe, à ces mots, simple autant que soumise,
De ce vieux papelart ignorant l'entreprise,
Sans contrainte à genoux découvre ses attraits ;
Elle s'expose à tous ses traits.
Mais bien^t, connaissant le mal qui la possède,
La colombe en gémit, en cherche le remède.
Tandis que le trompeur rit de ses vains efforts,
Et chasse adroitement sa honte et ses remords.
Cependant un ramier, ami de la colombe,
Qui voit bien qu'à regret la pauvrette succombe,
L'anime, l'encourage à quitter ce séjour
Où le corbeau rusé la traitait en vautour.
Quelle fut sa douleur, quand rendue à soi-même.
Rappelant du corbeau le cruel stratagème,
Ses noirs empressements, ses soins insidieux,
Sur son illusion elle jette les )^eux;
Qu'elle vit que de son plumage
La beauté, la blancheur n'étaient plus le partage I
Sa plainte aigrissant ses soupirs,
Vainement elle veut cacher ses déplaisirs.
Les bois voisins en retentissent.
Les fidèles échos à leur tour en gémissent.
La Renommée instruit de ces forfaits nouveaux
L'aréopage des oiseaux ;
A l'instant leur zèle s'anime.
Et des dieux outragés demande la victime.
Année l'jSi. 2y^
La colombe n'a pour appui
Que ses larmes et son ennui;
Le cerbeau plus rusé fait agir ses confrères,
De la faible vertu terribles adversaires,
Le crédit, la faveur, marchent devant leurs pas.
La colombe se plaint, on ne l'écoute pas.
Les oiseaux assemblés l'accusent de folie,
Sa plainte n'est que calomnie ;
Et Thémis, sur ses yeux appuyant son bandeau,
Voit la colombe noire et blanchit le corbeau.
Je parle à vous, sexe débile,
Qui cherchez les sentiers que montre l'Evangile;
Au choix d'un conducteur réfléchissez beaucoup.
Sous la peau de l'agneau souvent l'on trouve un loup.
OUBLIEZ-VOUS
ET LAISSEZ FAIRE
Père Girard n'est plus jésuite,
Il ne veut plus tergiverser;
Amour Giton, Girard vous quitte,
Avec Vénus il veut chasser;
I. Les chansons sur le P. Girard et la Cadière fournies
par les Recueils mss. suffiraient à composer un volume.
« Tout cela, dit M. Ch. Nisard, est d'un libertinage à le
disputer aux Priapées, et est bien plus spirituel ; car c'est
28o Clairambault-Maurepas,
Ces mots sont sur sa gibecière :
Oubliez-vous et laissez faire.
Par le chasseur on doit entendre
Un directeur savant dans l'art
D'amuser fille et la surprendre.
Or, lui disait le papelart
Avecque sa gamme ordinaire :
Oubliez-vous et laissez faire.
L'innocente Alix y fut prise,
Il la prenait ; à résister
La pauvre enfant n'était apprise ;
Le fourbe sut en profiter.
Gagnons le ciel, dit-il, ma chère,
Oubliez-vous et laissez faire.
Un jour, ma sœur, vous serez sainte,
Allez, c'est là votre destin;
Mettez donc bas mouchoir et crainte,
Laissez-moi baiser votre sein
Et toucher votre reliquaire ;
Oubliez-vous et laissez faire.
Ah ! mon père, je suis fervente.
Qu'il soit fait à votre désir,
dans ces œuvres de démon que les chansonniers ont mis
le plus de soin. » Mais il était impossible de tout publier,
et nous avons dû nous borner à un choix de pièces rap-
pelant les principaux détails de cette triste affaire.
Année Ij3l
Dit cette fille haletante
De quiétisme et de plaisir.
Elle dirigea sa prière,
Oublia tout et laissa faire.
IMPRECATIONS
CONTRE LE
PARQUET DU PARLEMENT D'AIX^
De Quille, Gueidan et Ripert,
Vils esclaves d'un jésuite,
Vous qui condamnez de concert
Une vierge par lui séduite,
On voit bien l'esprit qui vous guide,
Et que la faveur de la cour,
Oui vous ronge comme un vautour,
A votre jugement préside.
Le ciel, vengeur de tels forfaits.
Saura bien punir votre crime.
I, M. de Gueidan, avocat général, M. de Guille, procu-
reur général, M. de Ripert, procureur général, avaient,
par leurs conclusions, condamné la Cadière à être pendue
et au préalable appliquée à la torture ordinaire et extraor-
dinaire, et avaient innocenté le P. Girard. (M.)
V. 24.
282 Clair ambault-Maur ep as.
Et la cour, par un juste arrêt,
Sauver l'innocente victime.
Qu'à jamais les races futures
Parlent de vous avec horreur,
Qu'on n'en parle qu'à contre-cœur;
Que vos trois noms soient trois injures,
Que vos femmes soient adultères ^ ,
Vos proches ligués contre vous- ;
Que vos fils, honteux comme hibous ^,
Rougissent d'avoir de tels pères ;
Qu'en France et dans l'Europe entière,
Ayant nommé vos trois noms.
On fasse trois pas en arrière
_ En signe d'exécration.
Que votre inquiète paupière
S'ouvre à tout moment et sans fruit.
Que l'image de la Cadière
Vous persécute jour et nuit,
Que devant l'Etre souverain
Bans un an cités à répondre.
Aggravant sur vous trois la main,
Il puisse à jamais vous confondre.
Que les foudres et les orages
Tombent sur vos postérités,
1. Ils sont tous les trois jaloux de leurs femmes soup-
çonnées de galanterie. (M.)
2. M. de Gueidan plaide contre son père et ses frères.
Les deux autres ont aussi des procès contre leurs pa-
rents. (M.)
3. Le fils de M. de Guille fut obligé de quitter le service
des galères par rapport à son père. (M.)
Année Ij3l. -283
Que les torrents fassent ravage
Dans vos champs et propriétés;
Qu'il ne reste de vos trois races
Qu'horreur et malédictions,
Et qu'à l'envi on se surpasse
En horribles imprécations !
L'ARRÊT
DU PARLEMENT D'AIX
Or écoutez, petits et grands,
Quel est l'arrêt des plus criants
I. Le jugement fut prononcé le 10 octobre, et le public
qui attendait impatiemment la condamnation du P. Girard,
fut totalement déçu par la teneur de l'arrêt : « C'est bien
cette fois-ci qu'on peut dire parîuriunt montes, nascitur
ridiciihis mus, écrivait Marais à son ami Bouhier. Le pro-
cès d'Aix a été jugé, et toutes les parties ont été mises
hors de cour. La Cadière, le P. Girard, le carme, le jaco-
bin, l'ecclésiastique n'ont soin qu'à s'embrasser et oublier
tout. On dit qu'il y a eu douze voix pour brûler le jé-
suite, et douze pour le mettre hors de cour, ce qui a fait
un partage qui a passé à l'avis le plus doux ; voilà une
compensation des conclusions qui pendaient la fille. L'ar-
rêt renvoie le jésuite à M. l'évêque de Toulon pour être
admonesté, et l'on ne doute pas que l'admonestation ne
soit des plus tendres ; si l'évêque faisait bien, il l'admones-
terait d'aller ailleurs exercer ses talents. »
284 Clair ambault-Maurep as.
Que le Parlement de Provence,
Autrefois un des bons de France,
A rendu sans aucun égard
Pour blanchir le père Girard.
Ce jésuite, infâme bigot,
Méritait au moins le fagot,
Pour avoir séduit la Cadière
De la plus damnable manière
Avec d'autres filles aussi
Qu'il dirigeait à sa merci.
Quoique convaincu pleinement,
Par son propre aveu seulement,
L'arrêt le décharge de crime
Et le renvoie en bonne estime
Au juge églisier qui déjà
Avait sauvé ce scélérat.
Puisqu'on lave ainsi l'accusé
Et qu'il est en tout excusé.
Les accusateurs sont coupables
Et par conséquent punissables ^.
Non, ils ont dit la vérité;
Par grâce tous ont liberté.
I. Aussi est-ce avec juste raison que Barbier se de-
mande « comment, l'arrêt étant passé au plus doux à la
décharge du P. Girard, est-il possible qu'on ne lui donne
ni dommages et intérêts, ni réparation, après les crimes
infâmes dont on l'a accusé. »
Année lySi. 285
Oh ! quel étrange jugement.
Oui de lui-même se dément;
Quelle en sera la conséquence ?
Du sacrement de pénitence
Chacun redoutant les abus,
Se confesser ne voudra plus.
Les directeurs par ce canal
Peuvent faire impunément mal ;
Corrompre même les Lucrèces,
Usurper toutes nos richesses,
S'il s'en trouve de bons entre eux.
Ils sont interdits en tous lieux.
Ministres du pouvoir suprême,
Sacrés interprètes des lois,
Par quel contraste et quel désir extrême
Avez-vous partagé vos voix?
Vous déshonorez à la fois
Votre nom et le diadème.
Si Girard de Cadière est l'affreux suborneur,
Il faut, pour en sauver l'honneur.
Que dans le feu le tartufe périsse ^ ;
I. « La bonne ville de Paris, qui est janséniste depuis
la tête jusqu'aux pieds, est fort irritée contre l'arrêt, qu'on
regarde comme très injuste. On voulait absolument que
le P. Girard fût brûlé. La veille que la nouvelle pouvait
arriver d'Aix par la poste, qui était lundi 15 de ce mois,
286 Clairamhault-Maurepas.
Si la Cadière, sans pudeur,
Est noire calomniatrice,
Que ne sent-elle la rigueur
D'une éclairée et sévère justice?
Je ne saurais me figurer comment
Ce couple entier peut paraître innocent :
Si l'un des deux n'est point exempt de crime,
Je ne saurais trouver de détour ni de rime
Pour l'exempter de châtiment.
Esclaves vils du corps jésuitique,
De cet horrible corps déshonorés amis,
Par votre infâme politique
Vous devenez l'objet de l'horreur de Thémis.
PIECE PAYSANNE
L'ARRET DU PARLEMENT D'AIX
Sais-tu, Colin, ce qu'an dit à Paris ?
Par lajnorguienne y sont bian ébaudis,
le bruit fut général dans Paris qu'il était arrivé un courrier
extraordinaire, et que le P. Girard, non seulement avait
été jugé, mais qu'il avait été réellement pendu et brûlé. Le
lendemain, on apprit tout le contraire. {Journ. de Barbier.)
Année lySi. 287
Te souvian-t-il de cette la Cadière
Dont je luisions les factotums naguère;
Comme ai disait que le père Girard
Drès qu'il était avec aile à l'écart,
Après avoir bian varouillé la porte,
La visitait comme une bête mortel
Pis la tâtoit et la lentiponait
Tant qu'un biau jour ce vilain maladrait
L'avait rendue, à ce qu'aile disait, mère;
Et pis encore, le plus mal de l'affaire,
C'est que le drôle avait su bian et biau
Envoyer ça tout d'un coup à vauliau ;
Que finement il avait, par adresse,
Embabouiné en allant à confesse.
Où son haleine était un franc poison
Qui partroublait aux filles la raison.
Tant y a qu'après elles deveniont folles,
N'aimiont point Guieu, faisiont cent cabrioles ;
Pourquoi disiant qu'il était un sorcier
Et n'aviant pu de l'y se défier.
Dame j'étions en si grande colère
Que je voulions que l'an brûlît ce père
Et qu'en l'y fit répartition d'honneur.
Si les discours des autres étions menteurs.
Car je disions, si c'était calomnie,
La chienne doit être, ma foi, punie ;
Au lieu que si c'est vrai ce qu'aile nous dit,
I. « Je vous avoue que la bête morte, qui représeote
l'extase, m'a bien fait rire », écrit Marais à Bouhier.
288 Clairamhault'Maurepas.
Faudrait griller ce Lucifer maudit.
Au diable ! ces monsieurs de Provence,
Avont à tous baillé pleine indulgence;
C'est la besogne à Jean cogne-fétu
Qui a plus mis, plus enfin a perdu;
Et nanmoins l'an dit que les jésuites
De ça pour rien n'avons pas été quittes,
Qu'il a fallu pour ce biau jugement
Aux juges d'Aix lâcher biaucoup d'argent.
S'ils n' avont pas fait pendre la Cadière,
C'est qu'il avont l'himeur trop minagère,
Et c'est jarni leur faute assurément
Car ils n'avont payé tout simplement
Que pour sauver Girard de la brûlure.
y pouviont mieux tarminer l'aventure :
S'ils aviont pris, par ma foi, mon avis,
En les aurait tout à leur gré sarvis.
Y n'y fallait que redoubler la dose,
Ils auriont eu, ma foi, tout autre chose.
Les Provenciaux sont comme les Normands,
Plus recevont, plus y sarvont les gens.
Encor dit-on qu'an envoyé ce prêtre
Cheux son prélat pour l'y laver la tête.
En est bian sûr qu'y ne l'y dira rian,
Mais stapendant ça ne sonne pas bian.
A-t-on jamais baillé des pénitences
Qu'à ceux qu'aviont mauvaises consciences ?
C'est donc l'y qu'est styla qu'a plus mal fait.
Ça saute aux yeux et se voit clar et net.
Les bons caffards en ont grand chagrinage,
Année Ij3i,
Y soupirent, grinçont les dents de rage,
Car dans le fond y sentont comme nous
Que ce n'est pas ainsi qu'en est absous.
Il eût fallu, pour leur bailler victoire
Et rapiécer un tantinet leur gloire,
Que ceux qu'en dit pire que pendre d'eu.'c,
Fussiant punis comme calomnieux,
Ou l'en dira toujours qu'en leur fait grâce,
Et que vêla leux tours de passe-passe,
Qu'ils avont tant de finances et d'amis,
Que tout le mal qu'ils font leur est permis;
Mais, maugré ça, dès qu'on verra les drilles
En crira garre aux garçons comme aux filles.
EPI GRAMMES
L'ARRET DU PARLEMENT D'AIX
Girard, plein d'une ardeur infâme,
D'une fille fait une femme,
Et la fait passer pour catin.
Mais le Parlement plus habile,
Usant du pouvoir souverain,
D'une femme fait une fille.
2S
200 Clair ambàult-Maurepas.
J'admire cet arrêt, tout y tient du prodige,
Le crime et la vertu, mis au même niveau,
Y sont l'étonnement des aigles du barreau.
On n'y voit de Thémis ni trace ni vestige.
Mais on découvre enfin que l'or est le prestige
Oui noircit la colombe et blanchit le corbeau.
Un jésuite brûlant d'une impudique flamme.
Peut vivre impunément dans un commerce infâme.
Corrompre la jeunesse et faire pis encor,
Braver même nos rois jusque dans la Bastille.
Tous ces crimes en lui ne sont que peccadille ;
Il peut tout entreprendre avec sa poudre d'or.
Si le fameux Cartouche eût eu cette ressource,
Il couperait encor et la gorge et la bourse.
Indignes juges de Provence,
Girard sera, malgré vos dents,
Par arrêt de toute la France,
Noir en dehors, noir en dedans.
Que votre bêtise est extrême,
Vile troupe de magistrats.
Vous vous êtes noircis vous-même
Pour blanchir le plus noir de tous les scélérats.
Année i jSi . 2^1
Oui, Pilate a nos yeux paraît moins exécrable :
Il fit quelques efforts pour sauver l'innocent.
Du moins pour son arrêt il ne prit point d'argent
Et vous en recevez pour sauver un coupable.
Excusez notre procédé S
Le ministre nous a mandé
De sauver un des coqs d'Ignace,
Et cette abominable race
Nous a gagné par tant d'argent,
Que l'on n'a pu faire autrement.
On n'a point vu le phénix naître -,
Eh donc ! chaque chose a son temp>
On le verra bientôt paraître.
Puisqu'on a vu le merle blanc.
Qu'un scélérat évite le trépas,
Que par le crédit et la brigue
Girard ait pu sortir d'intrigue,
Cela ne me surprend pas ;
1. Réponse des juges de Provence aux attaques dirigées
contre eux.
2. Impromptu d'un Gascon, en parlant du P. Girard. (M.)
Cl airambaulî-31 ourevas.
Mais qu'à sa mort pour saint on nous le donne ^,
Et qu'on nous croie assez bénais
Pour penser qu'on juge des faits
Au ciel comme au parlement d'Aix,
C'est là ce qui m'étonne.
LES DEMELES DES AVOCATS
On ôte sourdement, malgré les vœux de l'ordre ^,
Maraimberg ^ du tableau ; pour causer ce désordre,
1. Cette pièce doit être de l'année 1733. On lit à cette
date dans le Journal de Barbier : « Le 4 de ce mois d'août,
le fameux P. Girard est mort dans la maison des jésuites à
Dôle. On a répandu qu'il était mort en odeur de sainteté. »
2. « Ce fut vers ce temps que les avocats prirent le
titre à! ordre ; ils trouvèrent le terme de co7-ps trop commun ;
ils répétèrent si souvent Vordre des avocats, que le public
s'y accoutuma, quoiqu'ils ne soient ni un ordre de l'État,
ni un ordre militaire, ni un ordre religieux, et que ce mot
fût absolument étranger à leur profession. » (VOLTAIRE.)
3. L'avocat Maraimberg avait fait imprimer (nov. 1730)
un mémoire en faveur des curés d'Orléans, avec la signa-
ture de quarante avocats, parmi lesquels treize seulement
avaient eu connaissance de l'acte. Comme ce mémoire
avait provoqué l'irritation de la cour, il fut question de
ra3-er Maraimberg du tableau, mais les trois quarts des
avocats se prononcèrent en sa faveur. Alors le bâtonnier
sortant, Tartarin, de concert avec Normant et quelques
autres, cédant aux suggestions de Fleury, raya Maraim-
berg de son autorité privée.
Année !j3l. 293
Normant en trahison a surpassé Daunard,
Le lâche Tartarin a porté l'étendard;
Si Julien l'Apostat était encore en vie,
Un Julien de Prunay lui tiendrait compagnie.
L'aveugle Duhamel faisant le connaisseur
A jugé du tableau comme il fait la couleur.
Portail, bien autrement, veut avoir la victoire
Et remporter surtout et l'honneur et la gloire.
Depuis longtemps il court après le grand cordon ;
Fallait-il l'acheter aux dépens de son nom !
S'il le paye, il est vrai, du prix de sa naissance,
Il lui coûtera moins que tout ce que l'on pense ;
Son bisaïeul fameux, la lancette à la main,
Faisait, sans contredit, trembler le genre humain.
Le prince le connaît d'une conduite sage
Et l'arrêt du conseil en est le témoignage ^ .
A ne plus plaider de la vie
Vous vous résoudrez vainement ' ;
1. Le 7 septembre avait été rendu, par le Parlement,
un arrêt qui établissait « que la puissance temporelle est
indépendante de toute autre puissance, et qu'à elle seule
appartenait de contraindre les sujets du roi, et que les
ministres de l'Eglise étaient comptables au Parlement,
sous l'autorité du monarque, de l'exercice de leur juridic-
tion. Il fut cassé le lendemain par un arrêt du conseil.
2. Au mois d'août, la cour autorisa par arrêt du con-
seil, nonobstant l'appel comme d'abus interjeté par le
procureur général, la publication d'une ordonnance de
V. 25.
2p4 Clairambault-Maurepas.
Sans savoir pourquoi ni comment.
Vous reprendrez bientôt l'envie.
Dans ma jeunesse
Les Cicérons du temps.
Aidés des Parlements
Contre les courtisans,
Soutenaient l'innocent,
Le peuple et la noblesse.
Aujourd'hui ce n'est plus cela,
Ministre subtil.
Parlement docile,
Normant est facile,
Son corps imbécile,
Et l'ordre va
Cahin, caha.
Pau\Tes avocats de Paris,
Pourquoi changez-vous d'avis ^ ?
l'archevêque de Paris qui déclarait hérétiques les quarante
avocats favorables aux curés d'Orléans. Les avocats s'abs-
tinrent dès lors de plaider et dix d'entre eux furent exilés.
I. Ils reprirent leurs fonctions, au mois de novembre,
lors delà rentrée du Parlement. «J'ai eu raison, remarque
Barbier, de dire que le public n'approuverait pas la
démarche des avocats; aussi n'ont-ils pas été longtemps
sans avoir le petit couplet de chanson sur des airs qui ont
été chantés à la foire dernière, à l'Opéra-Comiquc. »
Année iiSi.
7^1. 295
Croyez-vous que dans la gloire
Fleury vous rétablira?
L'on vous en ratisse, tisse, tisse !
L'on vous en ratissera.
j:.E LYNX^
Au milieu des travaux où brille ta prudence,
Hérault, je te demande un instant d'audience;
Daigne me l'accorder et souffre que ma voix
Loin du monde et du bruit t'appelle dans les bois.
D'autres, pour acquérir l'honneur de ton estime,
Pourront avec éclat prendre un effort sublime.
Mon style manque d'art, mais sa simplicité
Fait rendre à la vertu ce qu'elle a mérité.
Certaine chronique rapporte
Que, dans une forêt pleine d'oiseaux divers
Et d'animaux de toute sorte.
Entra jadis l'esprit pervers ;
Aussitôt les larcins, les meurtres, le carnage,
I. A M. Hérault, conseiller d'État, lieutenant général
de police. (M.) — Cet apologue flatteur pour le magistrat
doit être l'œuvre d'un moliniste ; on verra ailleurs (Cf. t. VI,
année 1732) comment les jansénistes traitaient leur adver-
saire.
2()6 C laira m bau It-Ma urepcs.
Les trahisons, le brigandage,
Y vinrent déployer leur coupable fureur.
La raison du plus fort emportait la balance.
Le vice triomphait, la timide innocence
Perdait ses soupirs et ses peines.
Sultan lion, dont lame généreuse
Souffrait avec chagrin de pareils attentats,
Résolut d'extirper du sein de ses Etats
Cette licence dangereuse.
Pour remplir un projet si .beau,
Il se servit du ministère
D'un lynx qui suivait le flambeau
De l'équité la plus austère.
A son aspect les crimes confondus
Cherchèrent en vain un asile ;
Sa vigilance et ses soins assidus
Rendirent la forêt tranquille.
I-e pigeon du vautour méprisa la fureur
Et l'innocent agneau vit le loup sans terreur.
Sage magistrat, cette fable
X'a point l'obscurité des énigmes du Sphinx.
Paris de son repos à tes soins redevable
Verra facilement que ma Muse équitable
Xe songeait qu'à toi seul, en dépeignant le lynx.
Année ijSl. 297
L'ETAT DE LA FRANCE
Tout change aujourd'hui dans la France,
Nouveau rival de Richelieu,
Fleury s'arme de violence,
L'avocat se plaît au silence,
Le conseil semble croire en Dieu.
Le Parlement devient traitable
Par la crainte des châtiments,
Vintimille quitte la table
Pour composer des mandements;
Les curés, d'un ton charitable,
A leurs prélats font des leçons.
On brave Rome et ses oracles.
L'appelant produit des miracles,
Les jésuites font des poupons.
Qu'elle était triomphante
Notre vieille cour !
Sous la même tente,
La gloire et l'amour
Conquêtes brillantes
Ou fêtes galantes
Marquaient chaque jour.
298 Clairambault-Maurepas.
Le gros jeu qui possède
Kos guerriers oisifs
N'était qu'intermède
De plaisirs plus vifs.
Aujourd'hui quel ennui
Devant le noir scrupule
Tous plaisirs ont fui.
Et c'est de la bulle
Que chacun postule,
Tout bien, tout appui.
L'Espagnol trompé nous maudit^
L'Anglais rusé s'en est dédit,
L'empereur partout envahit.
Le pape en fureur interdit.
L'archevêque a bon appétit,
D'Aguesseau pour et contre écrite
Chauvelin a tout le crédit,
L'inutile Ony ^ dépérit,
Le magistrat tonne et faiblit,
Le fier avocat s'applaudit,
Le guerrier fainéant vieillit.
Le seul financier s'enrichit;
Le peuple languissant gémit,
I. Philibert Orry, comte de Vignori, ancien intendant
de Soissons, de Perpignan et de Lille, avait été appelé
en 1730 au contrôle générel des finances, vacant par la
retraite de Le Pelletier Des Forts.
Année lySi. 299
Le royaume accablé périt.
Le bénin cardinal s'en rit^
Le roi rien ne fait, rien ne dit,
Ainsi l'a ce vieux prêtre instruit.
TABLE DES MATIERES
Pages.
Introduction historique : Le règne de
Louis XV, Ministère du duc de Bourbon et du
cardinal Fleur}- i
ANNÉE 1724.
Le duc de Bourbon r
Le Mariage du duc d'Orléans 4
Les Princesses 6
Epître au prince de Tingry &
Gazette de Chantilly 9-
L'Air grave 14
Les Exploits de Madame de La Vrillière 16
La Joie de M. de La Vrillière 18
Momus fabuliste 19
Les Prélats et la bulle Unigenihcs 20
Epigrammes diverses 23
ANNÉE 1725.
Les Trois Ducs au Parlement 29
La Vanité de Dodun 3^
V. 26
302 Table des matières.
Pages.
Le Jansénisme de l'abbesse de Chelles 37
Les Exploits du duc de Bourbon 40
Le Mariage du roi 43
Marie Leczinska 47
La Disgrâce de 'SI. d'Ombreval 49
Conseils à la Reine 51
Epigrammes sur le Gouvernement 53
Épigrammes diverses 57
ANNÉE 1726.
Le Passé et le Présent 65
Les Portraits de la cour 68
Les Deux ministres 70
La Disgrâce du duc de Bourbon 73
Le Ministère de M. le Duc 77
Le Rappel de Le Blanc 85
Épître à M. Le Pelletier Des Forts 88
L'Aventure de M. de Montempuis 92
Epigrammes diverses loi
ANNEE 1727.
Les Quatre vertus cardinales 105
Le Génie de Des Forts 107
Les Auteurs de l'édit des rentes 109
Le Concile d'Embrun m
L'Eglise romaine 122
Le Coche 127
Les Regrets de Madame de Prie 131
Table des matières. 303.
ANNÉE 1728.
Pages.
La Consultation des avocats de Paris 133
Remercîment des Jansénistes aux avocats de Paris. 138
Portrait de M, Bou5m d'Angervilliers 141
Le Chat de Petitpied I43
Les Talents du cardinal Fleurj' 145
La Rétractation du cardinal de Noailles 149
Les Conseillers de Noailles I54
Les Infortunes d'un cadet de Gascogne 160
Épigrammes diverses 162
ANNÉE 172g.
Le Péril des princes 169
Épitaphes du cardinal de Noailles 170
Portrait de M. de Vintimille, archevêque de Paris. . 172
Confession de l'archevêque de Paris I75
Le Savetier de la Constitution I77
L'Opéra nouveau ^79
Les Tableaux de Tardif 181
La Naissance du Dauphin 183
Le Lys de Versailles 187
Dialogue paysan sur la naissance du Dauphin. . . 189-
La Joie de Paris à la naissance du Dauphin. . . 192-
Comment faire ? 201
ANNÉE 1730.
Requête aux avocats de Paris 2o3
L'Évêque de Soissons et Marie Alacoque. .... 206-
504 Table des matières.
Pages.
Epigrammes sur l'évêque de Soissons 209
Le Supplice de Baudrier 213
Le Tombeau d'Adrienne Lecouvreur 215
La Naissance du duc d'Anjou 219
Harangue de AL Hérault aux écoliers de Sainte-
Barbe 222
Le Discours de La Parisière 224
La Récompense de l'avocat Daunard 226
Les Aventures de Mademoiselle Pélissier 228
Le Trio comique 230
Les Gémissements de la France 234
Noëls de l'année 1730 238
Epigrammes diverses 243
ANNÉE I73I.
Un Hercule en enfance 247
La Vaillance de Fleury 248
Le Roi au Parlement 251
Les Infortunes du juif Dul3-s 253
Requête de deux chiennes 256
Le Tombeau du diacre Paris 259
Les Miracles du diacre Paris 263
Le Mandement de M. de Vintimille 266
Facéties sur Monseigneur de Vintimille 268
Le Benedicite de Monseigneur de Vintimille. . . . 270
Le P. Girard et la Cadière 274
La Colombe et le Corbeau 277
Oubliez-vous et laissez faire 279
Imprécations contre le Parquet du Parlement d'Aix. 281
L'Arrêt du Parlement d'Aix 283
Table des matières. 3^5
Pages.
Pièce paysanne sur l'arrêt du Parlement d'Aix. . • 286
Épigrammes sur l'arrêt du Parlement d'Aix. ... 289
Les Démêlés des Avocats ^^2
Le Lynx. ' ^^
L'État de la France ^^7
iC.
^crK!>^^
TABLE DES PORTRAITS
Pages.
Le Duc de Bourbon I.
Le Cardinal Fleury XXV
Madame de Tencin 117
Monseigneur de Vintimille 173.
Adrienne Lecouvreur 215
Î3
/p'i
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